Pour vos clients en affaires, vous recherchez sans doute tous les trucs pour leur faire économiser un maximum d’impôt chaque année. L’une des façons les plus courantes d’y arriver est d’incorporer son entreprise. Pour diverses raisons, cette option peut ne pas être choisie ou possible.
Dans ce cas, les possibilités sont réduites, mais la technique de la mise à part de l’argent (MAPA) constitue sans doute l’une des techniques les plus efficaces pour réduire la facture fiscale des clients entrepreneurs. Bien qu’elle soit relativement connue (de nom du moins), revoyons ensemble la façon de l’appliquer afin de respecter les règles de l’art.
Règles de base
L’objectif poursuivi par la MAPA est de rendre déductibles des sommes qui, sans cette technique, ne le seraient pas. Évidemment, l’entrepreneur doit avoir des dettes personnelles pour qu’on puisse utiliser cette technique. Les intérêts versés sur un prêt hypothécaire personnel sont l’exemple le plus courant de ce type de sommes.
Afin de bien faire les choses, il faut comprendre le chemin à suivre pour se rendre au but. Il existe un grand principe en fiscalité selon lequel lorsqu’une dépense est faite dans le but de gagner un revenu – d’entreprise ou de bien -, cette dépense est déductible à l’encontre du type de revenu pour lequel elle a été faite, dans la mesure où elle est raisonnable. Or, des intérêts versés sur un prêt servant à l’exploitation d’une entreprise entrent dans cette catégorie, ce qui est confirmé par le célèbre alinéa 20 (1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu.
La technique de la MAPA nécessite notamment la séparation des comptes bancaires. Un compte où seront déposés les revenus d’entreprise et un autre compte où seront payées les dépenses d’entreprise. Une marge de crédit doit être ouverte et liée à ce compte de dépenses. Il faut s’assurer que cette marge n’est utilisée que dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise afin que les intérêts soient totalement déductibles.
Ce n’est pas tout : elle doit être utilisée au maximum dans ce cadre. Cela signifie qu’aucune dépense d’entreprise ne doit être effectuée avec les liquidités disponibles (dans l’autre compte notamment). Tout doit être payé avec la marge de crédit. Ainsi, le solde de cette dernière peut augmenter relativement rapidement, ce qui augmente les intérêts afférents.
Pendant ce temps, du fait que les liquidités ne soient pas utilisées dans l’exploitation de l’entreprise, elles deviennent disponibles pour les dépenses personnelles de l’entrepreneur. Que fait-il en priorité ? Il rembourse ses dettes (prêt hypothécaire, etc.) plus rapidement, diminuant ainsi ses intérêts non déductibles au profit des intérêts accrus de la marge de crédit. Avec le temps, il aura donc transformé des intérêts non déductibles en intérêts déductibles.
Le temps nécessaire à cette transformation varie évidemment d’une situation à l’autre. Pour estimer ce temps, il suffit de considérer les dépenses d’entreprise annuelles par rapport au solde hypothécaire (ou toute autre dette). La relation entre les deux nous donnera un ordre de grandeur quant au nombre d’années requis.
Par exemple, si les dépenses d’entreprise sont de 100 000 $ par année et qu’il reste 400 000 $ de prêt à rembourser, on peut estimer à environ quatre années le temps nécessaire pour rendre les intérêts déductibles.
Lorsque le prêt hypothécaire est totalement remboursé, rien n’empêche de souscrire un autre prêt hypothécaire qui servira à rembourser la marge. Les intérêts seront ainsi entièrement déductibles, parce qu’ils n’auront servi qu’à des fins commerciales, alors que le taux d’intérêt sera fort probablement inférieur, à cause de la garantie fournie par l’immeuble. On combine alors une économie fiscale à une économie financière.
Les arrêts de la Cour suprême du Canada dans les causes Ludco et Singleton en 2001, le folio S3-F6-C1 de l’ARC du 6 mars 2015 au paragraphe 1.34 ainsi que la décision anticipée 2002-0180523 confirment que cette façon de faire ne causera aucun problème au contribuable.
Situations particulières
Cette technique permet notamment de rendre déductibles des intérêts et d’économiser de l’impôt. Cependant, certains éléments doivent être pris en compte avant de la mettre en oeuvre.
Évidemment, si les dettes remboursées sont des dettes où le conjoint est co-emprunteur ou tout simplement si le conjoint est un conjoint légal (marié ou uni civilement), il y a enrichissement du conjoint par l’entrepreneur.
Dans le cas des conjoints de fait, ce problème peut être réglé à l’aide de la convention d’union de fait qui peut reconnaître cet enrichissement au moment d’une séparation.
Pour les conjoints légaux, la situation est plus délicate. La résidence principale faisant partie du patrimoine familial, cet enrichissement ne peut être compensé directement.
Comme solution, le conjoint bénéficiant de l’enrichissement de l’autre peut simplement assumer une partie plus importante des dépenses familiales. De cette façon, le piège qui guette habituellement les conjoints légaux est justement la solution à l’iniquité résultant de l’application de cette technique.
Notons que la taxe sur les produits et services (TPS) et la taxe de vente du Québec (TVQ) perçues dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise ne doivent pas entrer dans le compte de revenus mais bien dans celui des dépenses, car ce n’est pas un revenu…
Il faut surtout faire attention à ne pas «contaminer» la marge de crédit avec un montant quelconque qui servirait à des fins personnelles.
Par exemple, les sommes relatives à la portion personnelle de l’utilisation d’une automobile, les primes d’assurance personnelle ainsi que les dépenses non admises telles qu’une cotisation annuelle à un club de golf (même pour fins d’affaires) devraient être payées à partir du compte de revenus ou d’un autre compte, c’est-à-dire personnellement. Dans ce cas, il suffit de rembourser le montant ainsi non admissible dans le compte de la marge à partir du compte de revenus ou d’un autre compte personnel.
Si jamais une contamination avait quand même lieu, ce n’est pas un drame. Alors que l’ARC a déjà refusé la totalité de la déduction, elle s’est ravisée en 2007, notamment dans l’interprétation technique 2007-0221071E5 où elle explique qu’elle accepte une déduction au prorata des sommes. Cette position est réitérée dans le folio S3-F6-C1 aux paragraphes 1.42 et 1.43. Cependant, il est beaucoup plus simple de ne pas contaminer la source de l’emprunt.
Autre point : les intérêts sur la marge de crédit doivent être payés avec les ressources de l’entrepreneur, et non celles de son conjoint. Les comptes conjoints sont donc à proscrire…
Autres utilisations
Il n’est pas nécessaire que le revenu dégagé de cette stratégie soit du revenu d’entreprise. Comme nous l’avons vu, l’alinéa 20(1)c) LIR permet de déduire des intérêts dans la mesure où ils servent à gagner aussi un revenu de bien. Le revenu de location ou les revenus de placement sont des revenus de bien.
Cela signifie qu’on peut utiliser cette technique pour un immeuble à revenus. La marge de crédit sert ici à payer toutes les dépenses relatives à la location de l’immeuble. Notons que le remboursement d’un autre prêt hypothécaire existant sur l’immeuble, le cas échéant, est également permis à même la marge, même si une partie du remboursement sert à payer des intérêts sur l’autre prêt. C’est l’alinéa 20(1)d) traitant des intérêts composés qui permet cette situation.
D’autre part, si on est un propriétaire occupant de l’immeuble locatif, ou bien on applique la règle de proportionnalité de la déduction, ou bien on dépose un montant équivalent à sa portion personnelle dans le compte de dépenses afin de déduire la totalité des intérêts.
On aura aussi compris qu’un client n’est pas obligé de ne rembourser que ses dettes hypothécaires pour bénéficier de la MAPA. Si on a contracté un prêt REER ou CELI, on comprend que le résultat est le même… et que tout emprunt qui pourrait être contracté personnellement qui est évité grâce à cette technique améliore la situation… On pourrait encore rajouter l’insulte à l’injure en rendant des intérêts déductibles pour un prêt issu d’une dette d’impôt.
Même s’il ne s’agit pas d’un scénario de MAPA proprement dit qui transforme graduellement de l’intérêt non déductible en intérêt déductible, il existe une autre façon d’arriver au même résultat lorsqu’on possède des actifs suffisants.
Il s’agit ici de payer ses dettes dont l’intérêt n’est pas déductible à l’aide de placements personnels et de réemprunter, tout juste après, afin de remplacer les placements liquidés. On transforme ainsi une dette ordinaire en un «prêt levier» en une seule journée. La notion de placements ici comprend aussi le capital investi dans une société par actions privée ou dans une société de personnes. L’arrêt Singleton traite exactement de cette situation.
À noter qu’au Québec, les frais d’intérêt déductibles sont limités aux revenus de placement imposables, c’est-à-dire les intérêts, dividendes et gains en capital imposables de l’année. Si les frais d’intérêt sur la dette sont supérieurs à cette somme, la différence peut être reportée trois ans dans le passé ou indéfiniment dans le futur.