«C’est une chose de suivre des indicateurs, c’en est une autre de les placer dans un casse-tête», souligne Michel Doucet.
«Par exemple, ce qui compte, ce sont les bénéfices des entreprises et la croissance économique. Or, les deux tiers de la croissance viennent de la consommation. Ces consommateurs travaillent-ils ? Si oui, ont-ils un bon travail, à temps plein ? Sont-ils optimistes ? Est-ce qu’ils épargnent ou est-ce qu’ils dépensent ?» demande-t-il en rafale.
André R. Chabot, président de Gestion de portefeuille Triasima, est du même avis.
«C’est essentiel de regarder les bonnes choses, mais aussi de les regarder de la bonne façon», dit-il. De plus, il est important de comprendre «comment tous ces éléments s’influencent».
André R. Chabot se concentre sur les changements perceptibles dans un indicateur et sur l’accélération de ces changements, plutôt que sur le niveau de l’indicateur.
Concrètement, il emploie ce qu’il appelle une «approche descendante». «Je regarde avant tout les données sur la croissance mondiale, puis celles sur la croissance aux États-Unis, dans la zone euro et dans les pays émergents, notamment en Chine.»
Quant à Michel Doucet, il est un adepte du Baltic Dry Index, un indice des prix du transport maritime des cargaisons sèches en vrac dans le monde. «Si les navires marchands ne bougent pas, ce n’est pas bon signe», souligne-t-il.
Les deux experts s’intéressent aussi beaucoup aux données sur l’emploi.
André R. Chabot dit surveiller plus particulièrement la création d’emploi, et surtout, la moyenne sur trois, et même six mois.
Michel Doucet précise qu’il regarde aussi, en parallèle, les données sur les investissements en machinerie et en équipements. «Si on n’investit pas et qu’on n’embauche pas, ça ne ment pas», lance-t-il.
À l’affût d’une baisse
Même s’il ne se considère pas comme un pessimiste, Peter Routledge, analyste à la Financière Banque Nationale, observe ces temps-ci des indicateurs qui lui permettraient de détecter une baisse de la demande et même une récession.
Il traque les ventes au détail, parce qu’il soupçonne que ce sera le premier domaine où une certaine forme de désendettement des consommateurs se manifestera.
Il entrevoit, sans pour autant le prédire, un scénario dans lequel une baisse des prix des maisons entraînerait une baisse de la valeur «perçue» des individus, qui provoquerait à son tour une chute de la consommation.
«Je surveille aussi beaucoup les statistiques sur les défauts de paiement des cartes de crédit, puisque c’est la première dette pour laquelle les gens sont en défaut», explique-t-il.
Peter Routledge suit beaucoup les sondages menés auprès des investisseurs et des économistes quant à la direction de ces taux.
Il surveille aussi les attentes des consommateurs en matière d’inflation. «Quand elles sont basses, ce n’est pas bon signe pour l’avenir, dit-il. Ça nous dit qu’il n’y a pas de pression à la hausse sur les taux d’intérêt.»
Prendre du recul
Quelles sont, selon nos experts, les données dont on doit se méfier, et celles qui sont de moindre importance ?
Pour sa part, Michel Doucet juge qu’il faut prendre les statistiques sur les ventes de biens durables avec un gain de sel. «Il suffit que General Electric n’ait pas livré un avion F-35 pour qu’on enregistre une chute.»
De façon plus générale, il déplore que certaines chaînes d’information continue fassent grand cas de toutes sortes d’indicateurs sans prendre suffisamment de recul.
«Auparavant, on faisait des moyennes mobiles de trois mois et on pouvait discerner une tendance. Aujourd’hui, on ne voit plus la forêt, on est dans la forêt. Il faut faire un pas en arrière, éteindre l’écran, réfléchir», suggère-t-il.
André R. Chabot, lui, croit que le prix des matières n’a plus la même importance qu’avant, principalement en raison des avancées technologiques qui permettent de produire plus avec moins.
De son côté, Peter Routledge ne prête plus autant d’attention au taux de chômage, parce qu’il s’agit d’un «indicateur tardif».
«Le taux de chômage nous informe sur le passé. En ce moment, la situation des ménages est stable, mais fragile. À un certain moment, la situation pourrait changer, et ça, j’ai besoin de le savoir six mois à l’avance.»
Aller sur le terrain
Michel Doucet suggère même de prendre le pouls de l’économie d’une manière plus directe.
«Je me promène dans les artères commerciales et dans les galeries marchandes. Sinon, comment voulez-vous savoir si les gens consomment ?» lance-t-il.
«Quand je vais à l’épicerie, je parle au gérant et au boucher. Je leur demande ce que les gens achètent, comment vont les ventes de steak haché.»
Le coiffeur, le courtier immobilier et l’entrepreneur en construction sont autant de sources d’informations utiles pour Michel Doucet.