Voilà, entre autres, l’un des messages que plusieurs membres de l’industrie financière ont transmis à Mathieu Simard et Hugo Lacroix, respectivement conseiller en fonds d’investissement et directeur principal des fonds d’investissement à l’Autorité des marchés financiers (AMF) à l’occasion d’une consultation sur l’option d’abandonner les commissions intégrées, le 12 mai dernier.
Lors de l’événement, plusieurs ont souligné que l’abolition possible des commissions de suivi amputerait la valeur de leur bloc d’affaires.
« Si les commissions disparaissent, le financement des blocs d’affaires devient impossible, parce qu’il n’y a plus de valeur intrinsèque. Les jeunes ne peuvent pas acheter l’entreprise, parce qu’elle ne vaut rien sur le plan comptable », a prévenu Yves Boucher, conseiller en placement chez Industrielle Alliance Valeurs mobilières.
Si ce scénario pessimiste se concrétisait, plusieurs clients deviendraient alors orphelins et devraient s’en remettre aux émetteurs de fonds pour avoir du service à la clientèle. Yves Boucher anticipe même que ces clients orphelins se tourneraient alors vers les conseillers des succursales bancaires.
« L’employé d’une grande institution va être astreint à atteindre les objectifs s’il veut conserver son emploi », a dit Yves Boucher. Selon lui, l’atteinte de ces objectifs, tels des quotas de vente, peut être synonyme de « conflits d’intérêts ».
Guy Duhaime, président du Groupe financier Multi Courtage, est moins pessimiste, mais craint aussi qu’une éventuelle abolition des commissions ne réduise la valeur des blocs d’affaires.
« Je me mets dans la peau d’un débutant. On lui dit : » Tu as zéro source de revenu garanti, mais il faut que tu m’achètes [mon bloc d’affaires] parce que ça vaut quelque chose. » Quel incitatif on donne à notre jeunesse pour devenir des gens d’affaires? » a-t-il critiqué.
Il a rappelé au régulateur que les cabinets et les conseillers ont des dépenses élevées pour maintenir les services aux clients et que les revenus des commissions de suivi aident à les payer : « On a des dépenses hallucinantes sur le plan des logiciels, des frais d’exploitation d’un bureau. »
De plus, Guy Duhaime souligne qu’il est actuellement difficile, pour un conseiller de la relève, de faire financer l’achat d’un bloc d’affaires et que les conditions de l’emprunt sont souvent étouffantes. La situation risque d’empirer si les commissions intégrées étaient prohibées.
Les travers des honoraires
L’un des avantages des commissions intégrées est le fait que les clients fortunés financent indirectement les services aux clients moins aisés, d’après François Bruneau, vice-président administration et investissement, Groupe Cloutier Investissements. Il appelle cette forme de répartition : « interfinancement ».
« Il y a aussi un phénomène d’interfinancement des conseillers expérimenté vers des conseillers en début de carrière. Les conseillers expérimentés vont recevoir la même commission de suivi ou le même honoraire de service que les jeunes », a-t-il expliqué. Selon François Bruneau, cette situation est bénéfique pour la profession.
« Quand on passe à un modèle à honoraire, un conseiller en début de carrière va avoir de la difficulté à justifier le même niveau de rémunération qu’un conseiller de 30 ans de carrière, a-t-il poursuivi. Et tout le monde sais que de revenir devant un client cinq ans plus tard et lui dire : « J’ai cinq ans d’expérience supplémentaire, je vais augmenter mon honoraire », ça passe plus ou moins bien. »
Une éventuelle abolition des commissions créerait une barrière à l’entrée dans la profession presque insurmontable pour les conseillers indépendants, selon Éric F. Gosselin, représentant en épargne collective chez Services en placements PEAK. Lors de la rencontre, il a caricaturé ainsi une conversation hypothétique entre un conseiller débutant et son client : « « Je vais te facturer 3500 $ pour gérer ton portefeuille. Je sais que ça fait juste 2 mois et demi que je travaille, mais ne t’inquiète pas ça va bien aller. » C’est impossible que ça se produise. »
Cette barrière risque de pousser les nouveaux venus à devenir des employés d’institutions financières plutôt que des indépendants, a noté Éric F. Gosselin : « Les jeunes n’auront pas d’autre choix de devenir un employé d’une institution financière avec des objectifs de vente qui n’ont rien à voir avec les besoins des clients. »
Si les commissions étaient supprimées, le recrutement de nouveaux conseillers serait difficile, car ceux-ci devraient « faire du bénévolat ou quasiment en commençant », a estimé Serge Bérubé, directeur de la succursale de Terrebonne chez PFSL Investments Canada : « On va peut-être se retrouver [à devoir recruter] des gens qui sont plus vieux et qui ont moins le goût d’aider les jeunes [clients]. »