Rémi Tremblay croit qu’il faut simplement placer l’être humain au centre des priorités. «On a créé des visions mécaniques du travail, dit-il. Mais dans le fond, nous sommes tous des êtres humains regroupés pour produire.»
Il reste que tous ces individus qui composent l’organisation n’ont pas les mêmes objectifs. Comment concilier les intérêts conflictuels des employés, des chefs d’entreprise, des actionnaires et des clients ? Rémi Tremblay avance une solution : mettre de côté l’ego afin de défendre le bien commun de l’organisation.
Toutefois, si l’idée de bannir le «chacun pour soi» peut sembler séduisante, elle n’est pas pour autant facile à appliquer.
«Cela implique qu’on mobilise les membres d’une organisation autour d’un même objectif, remarque Ghislaine Clot, vice-présidente et chef de pratique Leadership chez CFC Dolmen. Pour ce faire, il faut prendre soin d’engager les employés dans le processus et d’inventer de nouvelles formes de partenariat.»
«Il faut en fait réussir à se libérer des dualités comme « moi ou l’autre », « blanc ou noir », poursuit-elle. Il faut remplacer le « ou » par le « et ».»
Défendre le bien commun exige aussi qu’on sache le discerner. Or, très souvent, les organisations sont obsédées par la valeur générée pour les actionnaires. Et pour créer cette valeur, certains dirigeants n’hésitent pas à demander à leurs employés d’accélérer la cadence. Mais à quel prix ?
Au Canada, on estime à 14 G$ par an les coûts liés au stress en milieu de travail. «En réalité, lorsqu’un supérieur demande d’accélérer le rythme, si on l’informait que le rendement demandé pourrait créer des problèmes de santé chez sept employés, il se raviserait», pense Rémi Tremblay.
Par ailleurs, lorsqu’on défend le bien commun, la faillite de l’organisation n’est pas envisageable, car l’enrichissement de chacun dépend de sa survie.
Naturellement, les gestionnaires et les dirigeants d’une organisation doivent apprendre à discerner et à doser ces choses. Or, ce dosage fait appel à leurs compétences émotionnelles.
Place aux émotions
Développer l’intelligence émotionnelle des cadres et des dirigeants peut être bénéfique pour une organisation. Cela permet aux leaders d’accroître leur sensibilité et d’être à l’écoute des autres.
«Être leader, c’est écouter, saisir et sentir, insiste Rémi Tremblay. On peut être un gestionnaire bien intentionné, mais si on ne connaît pas l’autre, on ne saura pas où il se situe et on ne l’aidera pas à évoluer.»
Cependant, cette intelligence émotionnelle n’est pas innée. Même si certains individus ont un meilleur potentiel que d’autres, il est important qu’ils travaillent leur sensibilité et leur mode d’expression.
Par cet effort, les gestionnaires et les dirigeants muscleront leur quotient émotionnel. Ils apprendront en outre comment réagir en situation de crise, comment collaborer avec divers types de personnalités, comment gérer leur énergie au travail, etc.
«Pour se développer de la sorte, il faut de l’humilité et il faut s’arrêter, dans un monde qui va de plus en plus vite», note Ghislaine Clot.
Il faut aussi éviter de s’y prendre de la mauvaise façon. «Les leaders veulent souvent changer leur capacité en une heure ou deux, explique Louis Baron, professeur et chercheur au Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG-UQAM. Mais lorsqu’il est question de leadership, on ne fait pas appel à la même partie du cerveau. Alors que le cortex, qui assimile les connaissances, est rapide, le siège des émotions, qui doit s’éveiller, est très lent. Le gestionnaire ou le dirigeant doit donc accepter de se donner du temps pour modifier ses façons de faire.»
De plus, les formations ne suffisent pas. Les experts recommandent en effet l’encadrement d’un mentor, d’un coach ou d’un guide. Ce dernier, qui peut ou non être un collègue, discutera de l’approche avec le leader et lui donnera de la rétroaction.
Cet espace de réflexion permettra au gestionnaire de discuter de ce qui lui arrive et de réfléchir sur lui-même. «Il y a aussi l’effet étau, ajoute Louis Baron, où, à force de parler d’une chose, une personne sera à un certain moment obligée de donner un coup de barre et de passer de la parole à l’acte.»
«Ce processus est difficile à démarrer, prévient Rémi Tremblay. Mais ensuite, c’est aussi simple que d’aller faire une promenade.»