Parmi les répondants, il n’est pas toujours évident qu’ils vendent directement de l’assurance collective. En effet, certains ont indiqué qu’ils le faisaient «en partenariat avec une firme spécialisée». Cela laisse entrevoir un nombre encore plus restreint de praticiens, puisque ceux-ci, fort probablement, se contentent de diriger des clients potentiels vers un cabinet spécialisé.
Par ailleurs, 70 % des répondants déclarent ne pas vendre d’assurance collective ; et un nombre étonnamment élevé dit expressément ne pas vouloir en distribuer. Parmi ces derniers, certains expliquent ce choix : «Trop compliqué et trop de paperasse !» lance l’un. «C’est plus d’ouvrage», dit un autre. Selon un troisième, «un autre permis, ce serait de trop». Un autre, laconique, estime même que «c’est un milieu de requins».
Revenus généreux
Quel est donc ce métier qui semble susciter tant de résistance ? Un attrait majeur tient à sa rémunération. «Elle est intéressante et les gens en assurance collective gagnent bien leur vie», affirme André Di Vita, représentant en assurance collective de personnes et vice-président développement au Centre national de courtage d’assurance. Les commissions sont fort généreuses et, selon différents témoignages, s’échelonnent de 5 % à 10 % des primes annuelles.
«De façon générale, la commission va être de 10 % pour un petit client (soit une PME de 10 à 20 employés), puis elle baisse selon le volume», explique Pascal Beaulieu, associé chez Trinome Conseils. Notons que cette commission est partagée avec l’agent général, qui s’en réserve de 20 à 50 %, indique Alain St-Pierre, représentant autonome en assurance collective.
Deux aspects rendent la rémunération encore plus attrayante. Tout d’abord, celle-ci «va continuellement en augmentant, parce que les clients grossissent et les coûts montent continuellement», dit Alain St-Pierre. Ensuite, 90 % de la commission est payée d’un coup au début de l’année. Mais il y a un hic : si le client s’en va, par exemple après six mois, le représentant est tenu de rendre à l’assureur la moitié de la commission reçue.
Hyper-sollicitation
Aux avantages pécuniaires s’oppose une grande instabilité des clients. Ceux-ci sont constamment sollicités par concurrents et assureurs, et beaucoup changent de représentant. C’est ce qui explique probablement, pense Alain St-Pierre, le commentaire du sondage qualifiant le secteur de «milieu de requins», bien qu’il ne soit pas d’accord avec cette perception. Recruter un client peut exiger beaucoup de travail et «ça prend plusieurs années avant d’entrer dans son argent, affirme Pascal Beaulieu. Et si tu perds dès l’année suivante ton client, tu n’entres tout simplement pas dans ton argent.»
Cette mobilité des clients est liée au problème le plus central de cette industrie, selon André Di Vita : la hausse constante des coûts des régimes, liée au prix des médicaments toujours en hausse, au vieillissement des participants et à leur mode de vie souvent malsain (mauvaise alimentation, manque d’exercice, sédentarité).
Or, parce que les coûts augmentent, les clients veulent les contenir, et parce qu’ils veulent les contenir, ils écoutent les sollicitations des vendeurs et des assureurs qui leur promettent des primes moins élevées. Toutefois, le plus souvent, ces rabais ne tiennent que pour une première année ; dès la suivante, le client se retrouve avec des primes plus élevées encore, surtout s’il n’a pas réussi à mettre en place des mécanismes pour amenuiser les réclamations de ses employés.
Ainsi, la sollicitation est ininterrompue. «Les vice-présidents, ressources humaines, chez mes clients me disent qu’ils se font appeler à peu près tous les jours», affirme André Di Vita. Ce n’est certainement pas le cas dans le monde de l’assurance vie, fait-il valoir, où un client peut rester avec la même compagnie et la même prime toute sa vie.
Cette situation entraîne une des exigences essentielles du métier de représentant en assurance collective de personnes : le besoin de demeurer très proche des clients, de façon à les convaincre de ne pas succomber au chant de la concurrence. «Il faut être prêt à faire l’éducation des clients si on ne veut pas les perdre», soutient Pascal Beaulieu.
«La difficulté n’est pas de vendre un contrat, mais de le renouveler, confie André Di Vita. C’est là que le rôle de conseiller commence à jouer pour montrer au client comment il peut maîtriser ses coûts plutôt que de simplement se déplacer vers un autre assureur.»
À tout ce travail de conseil et de renégociation s’ajoute un soutien administratif assez imposant : recueillir les informations sur les entreprises et les réclamations des bénéficiaires, analyser et expliquer aux clients les appels d’offres, multiplier les rencontres avec les bénéficiaires, adapter les fichiers informatiques de calcul pour la retenue des primes sur les salaires. C’est à cet aspect que s’adresse sans doute l’objection tirée du sondage : «Trop de paperasse !» juge Alain St-Pierre.
Pour spécialistes seulement
Les particularités de l’assurance collective de personnes contribuent à tenir une majorité de conseillers à distance. «C’est un job de volume, et je ne sais pas si je veux avoir ce volume-là, sans compter le fait qu’il faut faire les renouvellements chaque année», lance Jean-François Rémillard, conseiller en sécurité financière et en épargne collective au Groupe Mathieu Turgeon. «Je préfère avoir affaire à des clients qui ont des objectifs à plus long terme.»
Même son de cloche du côté de Frédérick Bouchard, représentant en sécurité financière et en épargne collective chez Planica Services financiers. «La guerre des coûts, les négociations de renouvellement, c’est un travail à refaire chaque année, juge-t-il. Dans mon livre à moi, c’est un travail à temps plein.»
C’est pourquoi ces deux conseillers se contentent de diriger des clients vers des maisons spécialisées comme Trinome Conseils et d’autres. En agissant ainsi, «c’est certain que je laisse de l’argent sur la table, reconnaît Jean-François Rémillard, mais j’ai quand même un certain revenu, et sans toute la cuisine à faire.» Et, avantage non négligeable, ajoute-t-il, «j’ai accès à la base de données des participants aux régimes des entreprises que je leur ai recommandées !»