Cernons d’abord le profil de l’investisseur à contre-courant. Sa position ne se résume pas à faire le contraire de la foule, ce qui relèverait simplement d’une crispation névrotique.

«Un contrarian s’assure de penser pour lui-même et de ne pas suivre le troupeau qui, à court terme, a toujours raison», explique Edward von der Linde, fondateur de la firme Linde, Hansen & Co., au New Jersey. Fonder cette firme aussi récemment qu’en 2009 indique chez ce gestionnaire une attitude définitivement à contre-courant. «On ne croise pas beaucoup de gens qui recherchent notre type d’approche», dit-il.

Le style valeur, et même la valeur profonde, tracent un autre trait caractéristique de l’investisseur à contre-courant. «Contrarian et valeur sont souvent synonymes», constate Irwin Michael, gestionnaire de portefeuille chez ABC Funds, à Toronto, et contrarian émérite. «La valeur se trouve dans ce que la plupart des investisseurs dédaignent, ajoute-t-il. Les titres qu’on achète sont en grande partie ceux que les gens vendent.»

C’est dire que l’horizon du contrarian s’étend à long terme, même à très long terme. «Si on suit le troupeau, c’est pour savoir où il sera dans trois, cinq ou dix ans», fait ressortir Edward von der Linde.

Analyse convergente

Farouches individualistes dans leurs choix d’investissement, les contrarians se recoupent toutefois dans leur analyse des marchés. Elle prend la forme d’un paradoxe : au cours des dernières années, les investisseurs ont fui les actifs risqués pour se réfugier en grande partie dans des actifs encore plus risqués.

Les politiques monétaires des banques centrales, notamment les trois phases de détente monétaire de la Réserve fédérale américaine, ont radicalement abaissé les rendements des titres obligataires.

«Pour trouver des rendements plus élevés, les investisseurs se sont déplacés vers des actifs risqués, alors que plusieurs d’entre eux n’auraient pas dû s’y aventurer», avance Jean-Pierre Couture, économiste et stratège, marchés émergents, chez Hexavest, à Montréal, une firme connue pour ses tendances contrarian.

Ainsi, les investisseurs se sont réfugiés dans les obligations, tout particulièrement dans les titres de dette à rendement élevé des entreprises et des pays émergents «où les risques de toutes sortes se multiplient : risques politiques et risques de change», constate Edward von der Linde.

La situation est telle que Jean-Pierre Couture n’hésite pas à parler d’une bulle en formation dans les titres à revenu fixe. Edward von der Linde et lui en tirent la même conclusion : se tenir loin de la dette des entreprises et des pays émergents. À la rigueur, de tout le secteur obligataire.

Chérir les mal-aimés

Où l’adepte contrarian investit-il en 2013 ? Réponse prévisible : dans les secteurs mal aimés, qui répugnent pour l’instant au marché, mais qu’il redécouvrira sans doute dans un avenir plus ou moins proche.

Jean-Pierre Couture privilégie en premier lieu les titres aurifères. «L’or est en hausse de 9 % en 2012, et le marché boursier mondial, de 11% ; mais les titres aurifères, eux, sont en baisse de 14 %.» Ce découplage entre le prix de l’or et les titres aurifères annonce une occasion à saisir.

Certes, la hausse des coûts de production de l’or explique en partie que les titres aurifères ne suivent pas la croissance du métal précieux. «À présent, ces hausses de coût plafonnent», observe-t-il. Est-ce que cela annonce une remontée des titres aurifères ? Pas nécessairement, reconnaît le spécialiste, qui ajoute, candide : «On le souhaite».

L’autre choix de Jean-Pierre Couture est inattendu : les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). Tout d’abord, note-t-il, les titres des pays émergents ont montré une sous-performance relative aux titres des économies développées. Tandis que ces derniers grimpaient de 21 % au cours des deux dernières années, ceux des pays émergents augmentaient de 12 %. Or, «la sous-performance des pays du BRIC est aussi importante par rapport aux pays émergents en général que celle des pays émergents l’est par rapport aux pays développés : ils ont perdu 5 %», rapporte l’économiste.

Cette sous-performance des pays du BRIC tient à la forte présence des secteurs cycliques dans leur économie : matières premières et, surtout, énergie. «On pense que cette sous-performance se reflète déjà dans le prix des actions, ce qui indique une occasion de revenir.» Comment ? «Ce sont les pays eux-mêmes que j’achèterais, par exemple avec des fonds négociés en Bourse qui suivent ces pays.»

Ce thème de l’énergie se retrouve chez Irwin Michael, mais avec un investissement plus près de chez nous, dans des titres canadiens. «Les secteurs du pétrole et du gaz, croyons-nous, incluant les services, sont bon marché en ce moment, dit ce gestionnaire. Et certains titres ont l’avantage supplémentaire de payer des dividendes de l’ordre de 4 et 5 %.»

Comme tant de praticiens de la philosophie valeur, Edward von der Linde n’est pas à l’affût de secteurs ou de régions économiques, mais de titres individuels. Il constate toutefois qu’une région est prometteuse entre toutes pour les 10 à 15 prochaines années : les États-Unis et, plus encore, l’ensemble de l’Amérique du Nord.

Les 22 titres dans son portefeuille, concentrés dans les titres de moyenne capitalisation, ont un trait commun : les profits de la société sont en-dessous de leur potentiel réel et une nouvelle administration, depuis peu en poste, a de bonnes chances de ramener l’entreprise à sa pleine rentabilité.

Parmi ces entreprises, une forte proportion oeuvre en télécommunications, mais c’est un hasard. C’est ainsi que le gestionnaire américain mise sur des sociétés comme Alcatel-Lucent, Tellabs et Sierra Wireless, dans le secteur des télécoms, mais aussi Brown Shoes et Avon.

«Toutes ces entreprises attendent de retrouver leur niveau normal de rentabilité, dit-il. Puisque de tels titres sont aussi bas, si on se trompe, on risque seulement de perdre un dollar ; si on a raison, on peut en gagner trois ou quatre.»