L’important soutien fiscal et monétaire fourni par le gouvernement a permis à de nombreux Canadiens de se tirer assez bien d’affaire au cours des sept premiers mois de la pandémie de la COVID-19. La reprise économique reste toutefois très incertaine et repose largement sur la trajectoire qu’empruntera le virus, ont déclaré les experts lors d’un panel du Global Risk Institute qui s’est tenu virtuellement le 8 octobre.
Les mesures de relance directes et indirectes mises de l’avant par le gouvernement, évaluées à 20 % du PIB canadien, ont permis d’éviter une crise de solvabilité et de retarder une phase de désendettement « qui a caractérisé tous les cycles économiques de l’histoire moderne jusqu’à présent », soulignait Stéfane Marion, économiste en chef et stratège de la Banque Nationale, pendant le panel.
Bien que l’effondrement de la rémunération réelle soit le plus élevé jamais enregistré, notait Stéfane Marion, il a été plus que compensé par les transferts massifs de l’État aux ménages, qui ont fait grimper le taux d’épargne à 28 %. Les ventes au détail ont également connu une reprise en forme de V, malgré la persistance d’un taux de chômage élevé.
« C’est incroyable : en pleine récession, on a vu la plus forte augmentation du revenu disponible réel de l’histoire », a-t-il déclaré, indiquant que les aides gouvernementales avaient peut-être été trop généreuses.
Peter Levitt, vice-président exécutif et trésorier à la CIBC, a déclaré que le soutien du gouvernement a conduit les banques à accepter beaucoup plus d’argent en dépôts qu’elles n’en distribuent en prêts. Cela signifie que les banques n’ont pas eu à dépendre des liquidités de la banque centrale.
Cependant, la stabilité de ces dépôts reste inconnue à ce stade, rapportait Peter Levitt, lors du même panel. La progression a été « extraordinairement rapide » et l’argent sur les comptes de chèques a essentiellement une échéance d’un jour, ce qui rend risqué de placer ces fonds dans des actifs illiquides tels qu’une hypothèque de cinq ans.
Selon Peter Levitt, les dépôts sont « très dépendants » des programmes de soutien du gouvernement qui prendront fin à un moment donné, ce qui signifie que les clients pourraient devoir retirer des fonds tout aussi rapidement.
« Il est important de noter que la mesure du risque de crédit n’a jamais été aussi complexe, car elle repose sur une confluence de facteurs qui n’ont jamais été vus auparavant, a-t-il commenté. L’interaction entre les mesures d’arrêt économiques, le chômage, les programmes de soutien gouvernementaux et le comportement humain définit le risque de crédit futur. »
Heureusement, disait-il, les bénéfices élevés des banques canadiennes continuent d’agir comme un important amortisseur de chocs, et les niveaux de capital devraient être suffisants pour résister aux pertes.
Dans le discours d’ouverture du sommet, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a reconnu que les grandes banques canadiennes disposent de « solides réserves de capital et de liquidités, d’une base d’actifs diversifiée et de la capacité de générer des revenus ».
Les institutions financières ont permis à près de 800 000 ménages de retarder les paiements de leurs hypothèques depuis le début de la pandémie, en plus des reports enregistrés sur les marges de crédit et les cartes de crédit, a affirmé Tiff Macklem. Alors que les reports ont permis de maintenir les paiements de la dette à un bas niveau, la période de report de paiement de six mois se termine pour la plupart des emprunteurs, rendant les prochains mois « cruciaux ».
La reprise des paiements « se passe plutôt bien », a déclaré Tiff Macklem, la « grande majorité » des paiements hypothécaires reprenant leur cours normal.
Au-delà de la reprise immédiate, les investisseurs doivent réfléchir aux tendances mondiales à plus long terme qui se sont accélérées pendant la pandémie, a déclaré Jonathan Hausman, directeur général et responsable des relations stratégiques mondiales du Régime de retraite des enseignants de l’Ontario.
S’exprimant lors du panel avec Stéfane Marion et Peter Levitt, Jonathan Hausman a déclaré que la pandémie – en particulier le déséquilibre qu’il a accentué auprès des plus pauvres – a fait de l’inégalité sociale un problème majeur. « C’est le moteur de l’agenda social qui, je pense, aura un grand impact sur les investisseurs, un grand impact sur nos entreprises en portefeuille et un grand impact sur notre politique à l’avenir », a-t-il déclaré.
Jonathan Hausman a signalé que les investisseurs devraient se préparer à une période prolongée de baisse des rendements moyens. Le nationalisme économique croissant va fragmenter les marchés et réduire les bénéfices des entreprises en interrompant les chaînes d’approvisionnement et en mettant fin à l’arbitrage du travail. L’accent politique mis sur l’inégalité aura également des répercussions sur l’impôt sur les sociétés.
« Les titres à revenu fixe sont à toutes fins pratiques absents des options en matière de rendement bêta pour le moment, ce qui rend la construction de portefeuille vraiment difficile », a-t-il souligné.
Il y a également une divergence croissante entre les gagnants et les perdants, car une intervention importante du gouvernement crée des opportunités idiosyncrasiques, a-t-il dit.
La mauvaise nouvelle pour le Canada est que la fragmentation du marché est particulièrement néfaste pour les nations commerçantes, et le Canada ne doit pas s’attendre à ce que les volumes d’échanges reviennent aux niveaux d’avant la pandémie, a-t-il déclaré.
Avec les dépenses publiques massives qui vont se poursuivre, Stéfane Marion a affirmé qu’un ancrage fiscal serait nécessaire – à terme.
« Cela fait partie de notre culture canadienne d’avoir ces ancrages fiscaux », assurait-il, ajoutant qu’il était favorable à une dette nette par rapport au PIB.
Plus d’un tiers de la dette du Canada est détenue par des investisseurs étrangers, a-t-il dit, et ils exigeront une voie vers la durabilité fiscale. Mais il n’existe pas de plan directeur pour faire face à une pandémie, a déclaré Stéfane Marion, et se dit prêt à donner au gouvernement fédéral quelques mois de marge de manœuvre supplémentaire.