«J’ai changé mon fusil d’épaule [à l’égard des perspectives économiques]», a-t-il affirmé, non sans étonner le parterre de quelque 120 analystes financiers réunis à l’invitation de l’Association CFA Québec, le 28 septembre, à Québec.
Conscient du fait que son revirement ne plaît à personne, François Trahan a prié à plusieurs reprises ses auditeurs «de ne pas tirer sur le messager».
Comment se protéger
Les services financiers seraient le secteur boursier le plus à risque aux États-Unis, avance François Trahan.
Il recommande même aux gestionnaires de portefeuille d’augmenter leur exposition aux titres à revenu fixe.
Du côté des actions, il préfère aux titres cycliques et aux multinationales, les sociétés américaines actives sur le marché intérieur, notamment dans les secteurs des biens de consommation, des soins de santé, des services publics et des télécommunications.
Quand on lui objecte que les titres «défensifs» sont très chers, il répond que leur évaluation pourrait encore augmenter avec le ralentissement anticipé.
Pour l’instant, François Trahan juge les ratios cours/bénéfices des titres américains plutôt normaux. Mais à son avis, un ralentissement du commerce international pousserait le dollar américain à la hausse. Et il rappelle qu’en période de crise, une remontée du billet vert est associée à une baisse des ratios cours/bénéfices, contrairement à la tendance habituelle.
Des signes de ralentissement
C’est une nouvelle analyse des indices précurseurs qui a amené le stratège boursier à revoir ses prévisions.
Selon François Trahan, l’indice ISM (pour l’Institute for Supply Management, qui prédit le niveau d’activité manufacturière) devrait bientôt culminer à 52 points, à «52,5 si on a de la chance» aux États-Unis. C’est moins élevé que les sommets observés lors des cycles précédents (59,5 points en 2011 et 57,1 en 2014).
Dès le printemps, l’indice devrait repasser sous la barre des 50 points, seuil qui indique un ralentissement de la croissance de l’économie, dit François Trahan.
Et l’indice ISM devrait rester sous pression durant la majeure partie de 2017, puisque la moyenne des périodes baissières de l’indicateur avancé au cours des 30 dernières années (en excluant 2008) a été de 14 mois pour une perte de 12 points.
En outre, depuis la dernière crise, les ménages américains ont eu tendance à augmenter leur taux d’épargne, malgré la baisse des taux d’intérêt et le faible coût du crédit. Cela empêche la consommation de prendre le relais.
Nombreux facteurs de risque
Depuis les années 1980, les investisseurs se sont habitués à des atterrissages en douceur pour 79 % des cycles. Mais cette fois-ci, le stratège vedette évalue plutôt à 79 % la probabilité d’une chute plus abrupte, car il associe au ralentissement aux États-Unis plusieurs facteurs qui augmentent le risque d’une crise financière.
Parmi ceux-ci, le fait qu’un peu partout dans le monde, les autorités monétaires ont moins d’outils qu’auparavant pour stimuler l’économie de leur pays.
L’expert va d’ailleurs jusqu’à s’interroger sur l’efficacité des assouplissements quantitatifs.
De plus, les États-Unis reprennent un rôle prépondérant dans la croissance de l’économie mondiale. Et le commerce international représente plus de la moitié du PIB mondial.
Les importations américaines liées au cycle économique intérieur jouent donc un rôle croissant dans les économies qui sont dominées par leurs exportations, comme celles de la Corée du Sud et de Taïwan. Même le Canada, où les exportations comptent pour environ un tiers du PIB selon la Banque mondiale, peut subir un «lourd impact».
La zone euro a longtemps servi de tampon aux ralentissements américains. Cependant, en raison d’un cycle décalé dans le temps, la nouvelle synchronisation des économies européenne et américaine accroît les risques à la baisse pour l’économie mondiale.
Problèmes structurels
À ces inquiétudes s’ajoutent les problèmes «structurels» de plusieurs autres grandes économies.
Par exemple, la surcapacité industrielle développée par la Chine serait liée au fait que les investissements totaux (État, collectivités territoriales, entreprises, ménages) comptent maintenant pour près de la moitié du PIB. Cornerstone Macro juge ce niveau «historiquement insoutenable».
L’économie japonaise est pour sa part touchée par une forte décroissance démographique. François Trahan rappelle que le pays compte maintenant davantage de citoyennes âgées de 80 ans et plus que de fillettes de 10 ans et moins. Le spécialiste se demande même si ces deux économies asiatiques ne sont pas à risque d’être neutralisées par le ralentissement de la consommation américaine.
Même si les exportations totales représentent seulement 22 % du PIB de la Chine et 18 % de celui du Japon, l’évolution du volume d’affaires avec les États-Unis pourrait faire en sorte que «ça passe ou ça casse» pour ces pays.
Risque Trump ?
Interrogé sur les enjeux de la campagne présidentielle américaine (la démocrate Hillary Clinton et le républicain Donald Trump étaient alors coude à coude dans les sondages), l’expert a rappelé qu’un programme d’investissements massifs dans les infrastructures peut prendre deux ans avant de stimuler l’économie. «Ce n’est pas assez rapide.»
La réduction des impôts promise par les républicains requerrait aussi l’approbation des deux Chambres, ce qui n’est pas acquis dans l’éventualité d’une victoire de Donald Trump.
Par contre, un président républicain pourrait annuler sans autorisation les négociations de libre-échange, ce qui représente «un risque pour le commerce mondial».
Rappelons que François Trahan a obtenu en 2015 le titre de meilleur stratège financier des États-Unis, une distinction qui lui a d’ailleurs été décernée 9 fois au cours des 12 dernières années. La firme Cornerstone Macro a des bureaux à New York et à Washington.