Certes, l’avenir s’avérera un peu plus difficile, mais pas autant qu’on nous l’annonce en véhiculant deux données largement répandues : seulement 22 % des Canadiens ont un régime de retraite et seulement 31 % injectent de l’argent dans des REER, rapporte Fred Vettese. Conclusion : les futurs retraités seront vraiment pauvres.
C’est faire abstraction de quelques réalités fondamentales, jugent les deux auteurs.
45 % ou 70 % ?
Tout d’abord, ceux-ci remettent en question la règle selon laquelle, au moment de la retraite, il faut toucher 70 % de nos revenus de pré-retraite. «Si 70 % devait être votre vraie cible, aussi bien abandonner la partie», écrivent les auteurs.
Selon leurs calculs, la cible réelle pour la grande majorité des ménages canadiens s’établit entre 45 %, pour les plus hauts salariés, et 55 %, pour la plus grande part de la classe moyenne, y compris les célibataires.
Par exemple, pour un couple avec deux enfants dont le revenu avant retraite est de 78 000 $, le revenu après retraite devrait être de 35 600 $, soit 46 % du niveau de la pré-retraite.
Comment les auteurs arrivent-ils à ce taux ? Tout d’abord, ils acceptent les réductions déjà intégrées dans la règle des 70 % (élimination de diverses déductions fiscales, réductions d’impôts, partage des revenus entre époux, etc.)
Cependant, c’est oublier trois autres postes importants qui se trouvent radiés du budget : l’hypothèque, les dépenses pour les enfants et les nombreuses dépenses liées à l’emploi (auto-essence-assurances, nourriture, vêtements, etc.).
Qu’en est-il des 20 % de la population la moins nantie et dont les revenus moyens sont de 29 000 $ ? Il n’y a pas lieu de s’en inquiéter outre mesure : «Ils auront plus de revenus après impôt à leur retraite qu’ils n’en avaient lorsqu’ils travaillaient» .
Toutefois, la retraite à un âge plus avancé n’est-elle pas alourdie par des frais de santé décuplés ? «Oui, mais ce sont des frais pris en charge en grande partie par les régimes publics de soins de santé», répond Fred Vettese.
D’une part, les besoins des retraités sont moindres que ce qu’on annonce, d’autant plus qu’aussi incroyable que cela puisse paraître, le taux d’épargne irait croissant au fur et à mesure de la retraite. Une étude de l’actuaire torontois Malcolm Hamilton «établit que le niveau d’épargne des gens à 85 ans est de 18 %», indique Fred Vettese.
D’autre part, il faut tenir compte d’une donnée cruciale, et souvent négligée, les Canadiens ont beaucoup plus de ressources disponibles que ce qu’on nous laisse entendre en général.
Les auteurs parlent de quatre «piliers» de richesse. 1) Les deux régimes de pension fédéraux : la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti ; 2) la Régie des rentes du Québec (RRQ) ou le Régime de pensions du Canada ; 3) les régimes de pension privés et les REER ; 4) la résidence principale, la résidence secondaire, les investissements hors régimes, le CELI, les actions d’entreprises.
Or, le pilier quatre est la partie habituellement «dissimulée» dont on parle peu par rapport à la retraite. Pourtant, les avoirs qui y sont accumulés, soit 3,7 billions de dollars (3 700 G$) représentent le double de tous les avoirs contenus dans les piliers 1, 2 et 3 (1,86 billion de dollars ou 1 860 G$).
Quand on combine tous ces avoirs avec des besoins de revenus moindres (45-55% du revenu de pré-retraite), on se retrouve avec une situation qui n’a guère les contours d’une crise.
Plus ardu
Par ailleurs, on ne peut accuser les deux auteurs de se cacher la vérité, car ils reconnaissent volontiers que l’avenir présente des défis particuliers. En premier lieu, il est impératif de déplacer l’âge de la retraite de 62 ans à 67 ans. On s’en inquiète beaucoup, mais le processus de changement est entrepris aux niveaux gouvernementaux et les forces du marché du travail vont faire en sorte que les gens vont «spontanément» retarder leur retraite à 67 ans.
En raison du déclin démographique, «l’économie aura besoin des travailleurs plus âgés», dit Fred Vettese. Ce nouveau seuil de 67 ans se mettra en place aussi naturellement qu’à l’époque précédente, sous l’afflux des boomers et de millions de femmes dans le marché du travail, on a visé à retirer les travailleurs plus tôt du marché du travail pour faire de la place à la relève.
De plus, deux forces feront en sorte que les gens devront user davantage de prudence avec leurs avoirs clés : la maison et les placements. «Les meilleurs jours sont derrière nous», écrivent les auteurs : le marché de l’immobilier va plafonner et les rendements boursiers seront plus modestes, oscillant entre 4 et 6 % par an. Et qu’en est-il des déficits importants dont souffrent la grande majorité des caisses de retraite ? «Un facteur mineur, juge-t-il. Ça tient aux taux d’intérêt qui sont artificiellement bas en ce moment. Quand ceux-ci remonteront, les fonds se renfloueront.»
La crise annoncée n’aura donc pas lieu, selon Fred Vettese et Bill Morneau. Les Canadiens ne sombreront pas dans la misère et tous les ajustements requis pour assurer un niveau de retraite décent se mettront en place au fur et à mesure.
Le sort des Québécois est toutefois moins clair, croit Fred Vettese. La tendance des trois facteurs de l’emploi, de l’immigration et de la fertilité, est positive au Canada, mais négative au Québec.
Par ailleurs, le financement de la RRQ a urgemment besoin d’être ajusté, ajoute-t-il. Tous ces facteurs font en sorte que l’avenir de la retraite s’annoncera probablement plus cahoteux au Québec.
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