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réglementation des valeurs mobilières tentent de mettre en place des garde-fous qui permettent l’innovation tout en garantissant une protection adéquate des investisseurs.

En janvier, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont lancé une consultation sur des propositions de restrictions concernant l’investissement en cryptomonnaies par des fonds d’investissement accessibles au public et l’établissement d’exigences pour les avoirs en cryptomonnaies des fonds.

Les propositions limiteraient les investissements en crypto aux fonds communs de placement alternatifs. Elles limiteraient également les investissements en cryptomonnaies que les fonds peuvent effectuer aux actifs négociés sur une bourse reconnue et aux actifs fongibles — en d’autres termes, pas de jetons non fongibles (NFT). Les propositions interdiraient également l’utilisation des cryptoactifs dans les opérations de prêt de titres, les mises en pension et les transactions similaires.

Les ACVM souhaitent codifier les exigences imposées aux gestionnaires de fonds dans les autorisations accordées par les régulateurs à certains des premiers fonds cryptographiques au monde, tout en intégrant les positions de principe énoncées dans les orientations du secteur.

« Nous pensons que cela peut faciliter le développement de nouveaux produits dans l’espace tout en garantissant que des mesures appropriées d’atténuation des risques sont intégrées directement dans le cadre réglementaire des fonds d’investissement », indique l’avis des ACVM concernant les propositions.

Les changements proposés ont été bien accueillis par les défenseurs des investisseurs, mais pas par l’industrie.

Le groupe consultatif des investisseurs de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) affirme dans ses observations être favorable à la limitation des types d’actifs contenus dans les fonds cryptographiques.

« Les investissements dans les cryptoactifs non négociés en Bourse présentent trop de risques pour que ces investissements puissent être largement accessibles aux investisseurs de détail, dit le Comité consultatif des investisseurs. Les avantages potentiels pour les investisseurs de détenir des cryptoactifs non fongibles sont limités, tandis que le risque de préjudice pour les investisseurs est élevé. »

Le groupe consultatif des investisseurs a également appelé les ACVM à se pencher sur les risques posés par les investisseurs qui s’exposent aux cryptoactifs par l’intermédiaire de fonds d’investissement traditionnels.

« Le groupe est préoccupé par la concentration potentielle de cryptoactifs dans une structure  de fonds traditionnelle, en particulier ceux qui utilisent une approche d’allocation d’actifs tactique et sont mis à la disposition des investisseurs de détail », indique le groupe consultatif des investisseurs.

Cependant, de nombreux acteurs de l’industrie financière traditionnelle et du secteur des cryptomonnaies estiment que les limites imposées par les régulateurs sont trop restrictives et représentent un pas inquiétant dans la mauvaise direction.

L’Alternative Investment Management Association (AIMA) estime que le fait de limiter les avoirs des fonds aux cryptoactifs (ou aux dérivés basés sur les cryptomonnaies) qui sont échangés sur des bourses réglementées limite effectivement les choix au Bitcoin et à l’Ether. À l’heure actuelle, aucun autre cryptoactif ne se négocie directement, ou n’a de dérivés qui se négocient, sur un marché boursier réglementé.

« Nous craignons que ces dispositions strictes n’étouffent le développement des marchés et des produits et n’incitent les investisseurs à se tourner vers des marchés moins réglementés et des produits offrant une protection inadéquate aux investisseurs », résume l’AIMA.

L’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) s’est fait l’écho de cette préoccupation.

« Bien que nous comprenions les préoccupations des ACVM en matière de convenance, nous soumettons respectueusement que les investisseurs peuvent être mieux protégés s’ils sont en mesure d’obtenir une exposition aux cryptoactifs par le biais d’un produit d’investissement réglementé, tel qu’un fonds public de cryptoactifs, plutôt que d’acheter des cryptoactifs directement », explique l’ACCVM.

L’AIMA recommande aux régulateurs d’exiger que les fonds investissent dans des actifs échangés sur des plateformes reconnues d’échange de cryptomonnaies. Le groupe met également en garde contre l’exclusion totale des NFT.

L’AIMA s’est également prononcée contre la proposition de l’ACVM d’interdire les cryptoactifs en tant que garantie dans les opérations de prêt de titres.

« Bien que des défis puissent exister actuellement, il est concevable que des mesures de protection puissent être mises en œuvre au fil du temps, faisant de l’utilisation des cryptoactifs pour les prêts de titres … une option viable », explique l’AIMA.

Les groupes de l’industrie ont également signalé que l’approche proposée risque de court-circuiter les progrès dans un domaine où les régulateurs canadiens ont déjà ouvert la voie.

Alors que la Securities and Exchange Commission des États-Unis n’a approuvé le lancement de fonds d’investissement basés sur les cryptomonnaies qu’au début de cette année, la CVMO l’a fait en 2019. C’est dès cette époque que le gestionnaire de fonds 3iQ, basé à Toronto, a demandé l’approbation du régulateur pour l’un des premiers fonds communs de placement en cryptomonnaies au monde.

Le personnel de la CVMO s’est d’abord opposé au fonds, mais l’a finalement approuvé à la suite d’une audience devant le tribunal de la CVMO. Le comité d’audience a conclu que 3iQ avait répondu de manière adéquate aux préoccupations de l’organisme de réglementation en matière de protection des investisseurs concernant l’autorisation des fonds d’investissement à détenir des cryptomonnaies, telles que les nouvelles questions de liquidité, d’évaluation et de garde.

Depuis lors, une poignée d’autres gestionnaires de fonds ont obtenu l’approbation d’une variété de fonds communs de placement et de fonds négociés en Bourse basés sur les cryptomonnaies. Les conditions de ces approbations initiales de prospectus et les orientations réglementaires ultérieures constituent maintenant la base des règles proposées par les ACVM.

Ces propositions vont à l’encontre de l’objectif des ACVM qui est de permettre le développement de nouveaux produits, soulève 3iQ.

« Nous pensons que la fourniture d’un produit réglementé et efficace est essentielle pour la protection des investisseurs », souligne l’entreprise dans son mémoire, arguant que des limites strictes sur les fonds réglementés conduiraient les investisseurs vers des marchés non réglementés ou des alternatives d’investissement sous-optimales.

Et restreindre l’utilisation des cryptomonnaies dans les transactions de prêt limitera la compétitivité, avertit l’entreprise.

« L’interdiction pure et simple des activités de prêt est une approche brutale qui prive les gestionnaires d’actifs de la possibilité d’innover au Canada », résume 3iQ.

La société reconnait que, bien que la restriction stricte de l’accès à la cryptomonnaie puisse être une réponse évidente aux fraudes et aux échecs très médiatisés qui ont marqué le secteur au cours des dernières années, « se pencher sur l’offre de produits réglementés permettra en fait de mieux protéger les consommateurs. »

3iQ est d’avis que la disponibilité de ses premiers fonds crypto a probablement empêché au moins certains investisseurs canadiens d’utiliser des plateformes offshore, telles que FTX Trading, pour s’exposer à la cryptomonnaie.

« L’existence de produits cryptographiques réglementés a probablement réduit le préjudice pour les investisseurs canadiens en facilitant l’accès à la classe d’actifs d’une manière sûre. C’est pourquoi nous croyons maintenant, à la lumière de l’effondrement récent de FTX, que les ACVM (et la CVMO) devraient […] continuer à favoriser l’innovation pour protéger les investisseurs », soutient 3iQ.

Le comité de politique et de plaidoyer du Consortium canadien de la blockchain suggère quant à lui que le secteur émergent de la cryptomonnaie a besoin d’un régime réglementaire sur mesure.

« L’industrie canadienne des cryptoactifs nécessite une surveillance statutaire distincte [et potentiellement un régulateur indépendant] au lieu d’intégrer les exigences relatives aux plateformes de négociation dans la législation existante sur les valeurs mobilières, affirme le rapport. Sans cette séparation, la confusion relative à la réglementation des valeurs mobilières continuera de nuire aux préoccupations du secteur. »

La mise en place d’un nouveau régime pour superviser le secteur des cryptomonnaies nécessiterait une législation, cependant, et il n’y a aucun signe que les décideurs politiques, à quelque niveau que ce soit, poursuivent cet objectif.