« Nous avons obtenu une victoire morale sans compensation financière ! » indique Jean-Marc Milette, dans un courriel échangé avec Finance et Investissement.
Rappelons que le duo de conseillers en placement a été congédié par VMD en novembre 2011 pour motif qu’ils n’avaient pas déclaré les activités qu’ils avaient sur des comptes offshore de quatre ou cinq clients. Ce manque de transparence est à l’origine du bris de confiance qui a mené à leur congédiement.
Or, Marc Dalpé et Jean-Marc Milette ne croient que ces motifs soient vrais étant donné que VMD connaissait l’existence de ces comptes et ne leur a jamais enjoint de s’en départir. Pour eux, VMD ne cherchait seulement qu’une excuse pour résilier leur contrat, lequel ne convenait plus à la firme de courtage. En mai 2013, Marc Dalpé et Jean-Marc Millette ont déposé une requête à la Cour dans laquelle ils réclamaient 5,2 M$ à VMD.
Le tribunal a toutefois rejeté cette réclamation étant donné que les parties avaient signé, deux semaines après leur congédiement, une transaction et quittance dans le cadre d’une action en injonction qui visait à faire respecter une clause de non-sollicitation qui les liait. Le juge Benoît Moore ne s’est pas rendu aux arguments de Marc Dalpé et Jean-Marc Milette qui estimaient que la quittance ne concerne que la question de la non-sollicitation. La Cour rejette aussi la contre-poursuite de VMD, qui accusait les conseillers d’abus de procédure, laquelle demande leur réclamait 316 546 $, selon le jugement de la Cour supérieure.
« Le Tribunal conclut que, bien que non abusif, le congédiement des demandeurs [Jean-Marc Milette et Marc Dalpé] ne repose pas sur un motif sérieux et aurait donc dû être précédé d’un délai-congé [lire : indemnisation]», lit-on dans la décision du juge Benoît Moore.
Jean-Marc Milette attend pour le moment les recommandations de leurs avocats afin de décider s’ils vont porter le jugement en appel.
Rémunération plus élevée que déclarée
Selon le jugement, Marc Dalpé et Jean-Marc Milette ont reçu respectivement 75 000 $ et 52 468 $ en rémunération pour les activités des comptes offshore qu’ils ont supervisés de 2003 à 2011. « Rappelons que Marc Dalpé avait déclaré, lors de l’enquête d’octobre 2011 [menée par VMD sur les comptes offshore], une somme approximative de 1000 $ par année », lit-on dans le jugement.
Dans une entente entérinée avec une formation d’instruction de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), Marc Dalpé et Jean-Marc Milette ont remis cette rémunération reçue, et ont payé 15 000 $ chacun en amendes, plus 10 000 $ en frais à l’OCRCVM.
« Le fait pour les demandeurs d’agir off book, c’est-à-dire à l’extérieur des livres de VMD, constitue une infraction grave qui empêche cette dernière d’assurer la surveillance à laquelle elle est obligée afin de veiller à ce que les courtiers ne participent pas à des activités criminelles (…) Tout cela constitue donc des pratiques condamnables justement sanctionnées par l’OCRCVM », lit-on dans le jugement de la Cour supérieure.
« Le Tribunal rappelle, comme le plaide VMD, qu’il revient aux courtiers personnellement de connaître et d’être à jour sur la réglementation applicable. Ici, les demandeurs ont violé ces règles sur une longue période de temps et l’ignorance ou l’incompréhension qu’ils invoquent à cet égard ne constituent pas une défense valable », peut-on lire dans ce document.
Congédiement qui « excède le nécessaire »
Par contre, selon le Tribunal, « VMD a fait preuve d’empressement » et « le congédiement (…) excède ici le nécessaire », lit-on dans le jugement de la Cour supérieure.
Le juge a retenu comme facteurs atténuants « le nombre peu élevé de clients visés (entre 4 et 9) sur 2500 », le fait que les clients sont connus des conseillers, « le faible montant d’actifs concernés, soit moins de 1 M$ sur 950 M$ d’actif sous gestion ». Parmi les autres facteurs, on note « le peu de transactions effectuées dans les comptes clients », « l’inexistence de transactions en valeurs mobilières dans les comptes personnels des demandeurs [Marc Dalpé et Jean-Marc Milette]» et « l’absence de préjudice pour les clients ».
« L’absence d’intention des demandeurs d’agir à l’insu de VMD afin d’éviter la surveillance de celle-ci est également importante et ressort clairement de plusieurs éléments », lit-on dans le jugement.
« D’abord, au moment des négociations avec VMD, Dalpé divulgue l’existence de ces comptes à [Jean-Pierre De Montigny, président de VMD au moment de l’embauche de Dalpé et Milette, en 2003]. Ce dernier témoigne que pour lui, à l’époque, la question des comptes offshore n’est pas une priorité d’autant qu’elle est marginale dans le book de Dalpé et Milette. Il dit donc à Dalpé que VMD n’offre pas de tel service, qu’il doit laisser les comptes là où ils sont et n’y rien changer », apprend-on dans le jugement.
Cette transparence dans les agissements de Marc Dalpé et Jean-Marc Milette « se comprend aussi par les pratiques de l’industrie qui, à une certaine époque, développe sans complexe le marché des comptes offshore », écrit le juge. « À une certaine époque, le Mouvement Desjardins entretient aussi une relation pour ce genre d’activités auprès de la Laurentian Bank & Trust Co », aux Bahamas. Cette procédure prend fin en 2003, selon le jugement.
« Jamais, avant septembre 2011, VMD ne réalise-t-elle les activités de 9 courtiers qui, pourtant, à tout le moins pour les 5 qui ont témoigné, gèrent leurs relations avec Crédit Agricole Suisse (Bahamas) à partir de leur bureau, y reçoivent leurs appels téléphoniques, font ouvrir leur courrier par leur adjointe et utilisent le système informatique de VMD. Comment peut-on expliquer que les conversations portant sur ces comptes demeurent insoupçonnées? Pourtant, celles-ci sont toutes enregistrées et VMD possède depuis 2005 un moteur de recherche afin de procéder à des contrôles », écrit le juge.
À cette question, l’un des membres du département de conformité de VMD, Sylvain Perreault, répond que les mots Bahamas ou Nassau ne peuvent être utilisés comme mots clés parce qu’ils auraient donné un grand nombre de résultats, parce qu’ils réfèrent à une destination de vacances, apprend-on dans le jugement : « Le Tribunal avoue trouver cette réponse plutôt surprenante et, pour le moins, peu convaincante ».
« Il y a ici une passivité qui, sans nécessairement impliquer une tolérance institutionnelle, doit être prise en compte à titre de circonstance atténuante », écrit le juge.
Pas de complot de VMD
Par ailleurs, le juge analyse l’interprétation de Marc Dalpé et Jean-Marc Milette selon laquelle l’enquête de conformité « n’est qu’un leurre pour justifier un congédiement dont le manque de profitabilité du contrat les liant à VMD est la cause réelle ». « On ne peut exclure que VMD ait voulu tirer avantage de la situation. Cela ne suffit pas pour conclure à un pur complot de sa part, les demandeurs ayant posé, rappelons-le, des gestes contraires à la réglementation », lit-on dans le jugement.
Toutefois, les moments de l’enquête du département de conformité sur les comptes offshore et ceux des conversations sur la renégociation du contrat de travail des conseillers entre ceux-ci et leurs patrons Yves Néron et Bruno Desmarais « se conjuguent d’une manière surprenamment concomitante », convient le Tribunal.
Selon le jugement, le 13 septembre 2011, pour la première fois depuis plusieurs années, VMD transmet à Marc Dalpé et Jean-Marc Milette un formulaire de déclaration d’activités extérieures. Puis, le lendemain, le département de conformité reçoit la télécopie d’où partent les premiers soupçons. Yves Néron témoigne d’ailleurs qu’on l’informe dès ce moment de l’existence d’une enquête.
« Dès le 29 septembre, VMD est donc essentiellement au courant de tout. Pourtant, non seulement rien ne semble bouger du côté du département de la conformité avant le 28 octobre, mais, durant cette même période, les discussions ont lieu pour renégocier le contrat de travail des demandeurs (…) Le 26 octobre 2011, une rencontre entre les demandeurs d’une part et Néron et Desmarais d’autre part se termine par un échec. Quelques jours plus tard, l’enquête officielle démarre. Le 3 novembre, les demandeurs sont congédiés », lit-on dans le jugement.
Indemnité théorique de 3,3 M$
N’eût été la transaction et quittance, Marc Dalpé et Jean-Marc Milette auraient eu droit à 12 mois de délai-congé, ce qui correspond à une indemnité de 1,64 M$ chacun, a calculé le Tribunal.
Ces montants comprennent une indemnité pour la perte de revenu d’une année, ainsi qu’un dédommagement pour la diminution de leur actif sous gestion. L’actif sous gestion des conseillers est passé de 945 M$, en octobre 2011, à 562 M$, en novembre 2017. « Cette diminution de l’actif sous gestion irradie donc au-delà de l’année suivant le congédiement, durée du délai-congé. S’il est donc raisonnable d’ajouter une partie du bonus [à l’embauche chez Richardson GMP] aux revenus touchés en 2012, il importe d’en réserver une autre part pour pallier le capital perdu au-delà de cette année », lit-on dans le jugement.
Selon ce document, Marc Dalpé et Jean-Marc Milette ont « chacun reçu un bonus à la signature de 2,45 M$ ainsi que 250 000 actions de catégorie F de Richardson GMP, actions dont la valeur n’a pas été établie de manière convaincante ». Selon VMD, ces revenus doivent être pris en compte et par conséquent, les conseillers n’auraient pas subi de perte de revenu. Cet argument n’a pas été entièrement retenu par le juge