À l’heure où la gestion de patrimoine et la gestion privée deviennent des priorités pour une majorité de firmes de courtage de plein exercice chez nous, pourrait-on voir leurs conseillers délaisser la sélection de titres pour des solutions de placement clés en main ?
«Pour les nantis, le nerf de la guerre n’est pas le choix des investissements, mais plutôt comment ils peuvent épargner de l’impôt, optimiser la structure de leur entreprise, choisir la bonne répartition d’actif, planifier leur succession, et cela comprend même les besoins en assurance. Offrir de tels services tout en faisant de la sélection de titres, c’est très difficile», affirme Éric Lauzon, vice-président régional, développement des affaires, Gestion de patrimoine Assante, une filiale de CI Financial Corp.
«Le gestionnaire de portefeuille peut démontrer sa valeur en choisissant les bons gestionnaires externes pour ses clients. Certains clients vont également détenir un panier de titres que leur propose leur conseiller en placement, mais qui est choisi par un gestionnaire de la firme (portefeuille modèle)», ajoute Éric Lauzon.
«En gestion de portefeuille, le plus important demeure la répartition de l’actif. Les études montrent que 90 % du rendement vient de cette répartition et non pas de la sélection de titres. Et personne ne peut prétendre être bon dans tout. Je peux être un bon gestionnaire en actions canadiennes, mais si je souhaite inclure des actions européennes, j’ai la possibilité de bonifier mon offre en sollicitant l’aide d’un gestionnaire d’une société de fonds communs ou en choisissant un fonds négocié en Bourse qui est bien construit. C’est la force du courtage de plein exercice d’avoir tous les produits de placement à sa disposition», affirme Luc Papineau, vice-président et directeur général, Courtage de plein exercice, chez Desjardins Gestion de patrimoine Valeurs mobilières.
Gamme élargie de produits
La gamme de produits de placement offerte au conseiller en placement est aussi plus importante que jamais. «Pour gérer la volatilité des marchés et la corrélation entre les différentes catégories d’actif, de plus en plus de conseillers vont privilégier une approche qui s’apparente à celle des fonds de pension. En fusionnant la gestion privée et le courtage de plein exercice, on leur permet d’accéder à des produits de type moins traditionnels comme les placements privés et les infrastructures. Selon la taille du portefeuille, l’outil de placement pourrait différer. Ce pourrait être un fonds commun, un indice boursier, ou même un placement direct», remarque Stephan Bourbonnais, premier vice-président et directeur régional pour l’Est du Canada de Gestion de patrimoine TD.
«En optant pour un indice, par exemple, on évite de choisir le mauvais titre alors qu’on est dans la bonne catégorie d’actif. Mais tout dépend de la taille du portefeuille. Avant de choisir un placement, on s’attardera aussi aux frais et à la fiscalité», ajoute-t-il.
Les FNB ne sont pas en reste. L’offre élargie, la multiplication des stratégies ces dernières années, de même que leurs frais souvent inférieurs à ceux des FCP incitent plusieurs conseillers en placement à en inclure dans les portefeuilles.
«Je connais des gestionnaires discrétionnaires qui ne travaillent qu’avec des FNB, et ils font un travail phénoménal. Leur force est d’être dans les bonnes catégories d’actif au bon moment. L’approche discrétionnaire leur permet de faire les transactions pour tous leurs clients instantanément, ce qui est aussi un grand avantage», souligne Luc Papineau.
D’après ce dernier, il sera assez rare qu’un conseiller en placement fasse 100 % de FCP. Il cite en exemple l’investisseur qui souhaite qu’une partie de son portefeuille soit investie dans des actions de grandes capitalisations américaines. «Un gestionnaire va généralement coller à l’indice S&P 500, alors pourquoi ne pas plutôt acheter l’indice par l’intermédiaire d’un FNB ? Dans le cas des petites capitalisations, un gestionnaire pourrait avoir une valeur ajoutée et je pourrais alors acheter un FCP. Même chose quand il s’agit d’obligations à rendement élevé où l’analyse de crédit est importante», dit-il.
Que penser des fund wraps ?
Au Canada, les fonds communs intégrés ou fund wraps ont été l’objet d’un engouement important ces dernières années. Ils permettent aux investisseurs d’accéder à un éventail de fonds communs auxquels on rattache des frais de gestion uniques. «Certains de ces fonds sont sophistiqués puisqu’on y fait la répartition par catégorie d’actif, en plus d’une répartition sectorielle, géographique, et même de l’optimisation fiscale pour le client. Un seul produit permet ainsi d’avoir des investissements REER et hors REER», dit Éric Lauzon.
«Ce produit est vendu essentiellement en succursale et n’est pas très utilisé par les conseillers en placement. Les plus fortunés au Québec sont souvent des entrepreneurs qui recherchent de la flexibilité, ils ont eu les mains sur le volant toute leur vie. Ils veulent avoir une interaction dynamique avec leur courtier quant au choix des placements. Acheter un « produit tablette » où tout se fait automatiquement et dont les honoraires sont souvent plus élevés, ce n’est pas nécessairement ce que cette clientèle recherche», croit Luc Papineau.
Selon Stephan Bourbonnais, ces fonds sont une bonne façon pour l’investisseur moins fortuné de se diversifier. «Le client nanti aura accès à une plus grande offre de produits et de catégories d’actifs. On est plus transparent et on peut aussi réduire les frais», dit-il.
Le choix de titres n’est pas près de disparaître
Environ la moitié des conseillers en placement québécois chez TD sont gestionnaires de portefeuille discrétionnaire, et la tendance est à la hausse. «Ils font de la sélection de titres et c’est beaucoup plus rapide pour eux qu’avant puisqu’ils n’ont pas à appeler tous les clients lorsqu’ils prennent une position», remarque Stephan Bourbonnais.
Ce dernier ne croit pas qu’on suive la tendance américaine, où les FCP pourraient composer une part très importante des actifs des gestionnaires de portefeuille. «Par contre, quand il s’agit de déviation tactique du portefeuille, si le conseiller souhaite prendre une position internationale, ajuster une catégorie d’actif ou en ajouter une, les FNB et les FCP permettent aux clients d’accéder à d’excellents produits qui leur permettront d’être mieux diversifiés», ajoute Stephan Bourbonnais.
Luc Papineau ne croit pas non plus que la sélection de titres sera délaissée par les conseillers en placement. «Il y aura toujours des conseillers gestionnaires qui souhaiteront faire de la sélection de titres, notamment pour la portion canadienne du portefeuille ou des catégories d’actif plus traditionnels. Le portefeuille pourra toutefois intégrer plusieurs catégories d’actif et outils de placement, y compris des FNB, des FCP, des fonds d’investissement privés, des fonds d’infrastructures, etc. On voudra aller chercher le meilleur rendement possible avec le moins de volatilité en mélangeant ces différentes catégories d’actif», dit-il.