«Depuis un certain temps, on assiste à un déclin des souscriptions, dit Cheryl Retzloff, directrice principale de la recherche à LIMRA. Les assurances vie, tant individuelles que collectives, sont en baisse. Donc, on peut dire que le secteur est doublement touché.»
Des statistiques établies par l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) abondent dans le même sens : de moins en moins d’individus achètent de nouvelles polices d’assurance.
Même si la valeur globale des polices d’assurance vie individuelle a augmenté considérablement, passant de 1,23 G$ en 2002 à 2,25 G$ en 2012 en raison d’une croissance stable de la taille moyenne des polices, le nombre de nouvelles polices individuelles, lui, a diminué à 681 600 en 2012, par rapport aux 871 135 de 2002.
«Au cours des dix dernières années, on a assurément vu un ralentissement», constate à son tour Alice Freeburn, directrice des services statistiques à l’ACCAP.
Un des facteurs importants qui a contribué à cette tendance : la diminution du nombre de conseillers qui se lancent dans ce secteur. Selon les chiffres de LIMRA, au Canada, 13 500 professionnels ont été recrutés en 2012, une baisse de 14 % par rapport aux 15 600 cinq ans plus tôt.
«Le nombre de nouveaux conseillers à plein temps dans le domaine est en baisse d’une année à l’autre, commente Paul Brown, président et chef de la direction d’IDC Worldsource Insurance Network Inc., à Mississauga. Il n’y a plus autant de conseillers en assurance vie.»
Il ajoute que le déclin des effectifs dans ce secteur et la croissance du réseau d’agents généraux indépendants font que peu d’entreprises recrutent de nouveaux conseillers et les forment.
Effet sur les ventes
Puisque les conseillers forment la majeure partie du réseau de distribution d’assurance vie au Canada, tout ralentissement de la croissance des effectifs peut avoir des conséquences importantes sur les ventes.
D’autant plus que les clients, en général, ne prennent pas l’initiative de souscrire une assurance vie… jusqu’à ce qu’ils soient poussés à le faire.
«Les consommateurs remettent toujours l’assurance vie à plus tard. Ils ne savent pas quoi acheter ni pour quel montant, soutient Cheryl Retzloff. Ils sont très rarement proactifs à cet égard. Il faut donc que quelqu’un les incite à l’être.»
D’autres facteurs ont aussi probablement contribué à l’effritement de la propriété de polices d’assurance. Pendant la crise économique, par exemple, les personnes qui ont perdu leur emploi ont sans doute perdu leur assurance vie en même temps.
De plus en plus d’individus n’ont comme couverture que le régime collectif de leur employeur, souligne Cheryl Retzloff.
«Les gens sont devenus davantage dépendants de l’assurance collective. Cela les rend à risque, parce que s’ils perdent leur emploi ou le quittent, la couverture prend fin la plupart du temps. [Cette dépendance] les rend très vulnérables.»
L’économie a également pu influer sur les ventes de polices individuelles. Coincés entre le fardeau grandissant des dettes et les nombreuses dépenses qui grugent leur revenu, les consommateurs sont moins enclins à faire de l’assurance vie leur priorité, fait remarquer Doce Tomic, président et chef de la direction de l’entreprise vancouvéroise Credential Financial Inc.
«L’argent que les gens peuvent dépenser est limité, remarque-t-il. Ils prennent leurs décisions en fonction de ce qu’ils essaient d’épargner, du patrimoine qu’ils veulent bâtir et de celui qu’ils désirent préserver en ces jours difficiles.»
En outre, l’accent mis sur l’épargne-retraite et les nombreux produits conçus dans ce but relèguent l’assurance vie dans l’ombre.
«Pour la plupart des gens, l’assurance vie n’est pas au coeur des préoccupations, note Doce Tomic. Ce n’est pas un sujet aussi prépondérant que les produits destinés à amasser de l’argent.»
Il reste que les Canadiens semblent reconnaître l’importance d’avoir une assurance vie. En fait, l’étude de LIMRA montre que bon nombre estiment avoir besoin de plus d’assurance vie.
Dans le marché clé des couples mariés ayant des enfants mineurs, en particulier, trois personnes sondées sur quatre ont affirmé qu’elles auraient de la difficulté à assumer les frais de subsistance si le principal salarié du ménage décédait.
Marché à cibler
«Les familles avec enfants, voilà le marché principal de l’assurance vie, dit Cheryl Retzloff. Et plus de la moitié d’entre elles affirment avoir besoin de davantage d’assurance vie.»
S’il y a une occasion que les résultats de l’étude de LIMRA mettent en lumière pour les conseillers, c’est bien l’occasion de générer plus de ventes, d’autant plus que c’est auprès d’un conseiller que les Canadiens ont davantage tendance à acheter de l’assurance vie.
En effet, 76 % d’entre eux préfèrent souscrire à une assurance vie lors d’une rencontre, par opposition au travail, à l’achat en ligne, au téléphone ou au publipostage.
Vu la nature complexe de ce produit, il n’est pas étonnant que les consommateurs veuillent obtenir les conseils d’un professionnel, ajoute Doce Tomic.
«Comme il existe de nombreux types d’assurance différents, une rencontre en personne – et des explications – sont requises. Ce n’est pas un produit bien compris par les consommateurs canadiens.»
Aux États-Unis, par contre, de nombreux consommateurs ont abandonné le réseau des conseillers. Selon l’étude de LIMRA, près de la moitié des individus interrogés (43 %) préfèreraient souscrire à une assurance vie au travail, en ligne ou par publipostage plutôt qu’en personne auprès d’un conseiller.
Si les conseillers canadiens échouent à mieux répondre aux besoins des consommateurs, prévient Paul Brown, les consommateurs d’ici pourraient aussi se détourner d’eux.
«Il y a tous ces Canadiens qui ne sont pas conseillés à ce sujet. Si nous ne faisons pas ce qu’on attend de nous dans ce marché, cela permettra aux réseaux de distribution alternatifs de prendre toute la place.»
Ce n’est donc pas que la demande est inexistante : il faut simplement prendre les devants et rencontrer plus de clients, ajoute-t-il.
«Les recherches montrent bel et bien que les gens veulent acheter de l’assurance vie. C’est juste qu’ils n’ont pas l’occasion de le faire, observe-t-il. Et des occasions, il y en a.»
Selon Doce Tomic, les conseillers devraient aborder l’assurance plus souvent dans leur processus général de planification financière – et leurs firmes devraient s’assurer de leur fournir le soutien nécessaire.
Il a lui-même constaté que beaucoup de conseillers cumulent les permis de manière à pouvoir offrir à leurs clients tant de la gestion d’actifs que des produits d’assurance, un signe qu’il trouve encourageant.
«On voit davantage de [cumul de permis] ces jours-ci, conclut-il. Quand les gens s’assoient avec un conseiller financier, ils examinent le portrait financier global, et non juste un côté du bilan.»