«On considère souvent la Chine comme le géant qui avale tout, mais elle est surtout de plus en plus un castor géant qui construit tout», fait valoir Éric Noël.
«On remarque aussi que les investissements directs étrangers en Chine sont davantage axés sur les services, et non plus autant sur la fabrication de biens.»
Une des causes de ce phénomène : «La Chine est en [phase de] transition d’une économie fondée sur les exportations et les investissements à une économie fondée sur la consommation», dit Luc de la Durantaye, premier vice-président chez Gestion globale d’actifs CIBC.
La Chine en baisse
Alors que les investissements effectués par les Chinois étaient alimentés par une faible devise et des taux d’intérêt particulièrement bas, les choses changent dans l’empire du Milieu, remarque Luc de la Durantaye.
«En libéralisant les taux d’intérêt et en intervenant moins sur la devise, la Chine veut réduire ses exportations nettes», remarque le spécialiste de la répartition d’actif et de la gestion des devises.
«Ce qui semble logique, c’est que cette transition se traduira par un ralentissement de la croissance chinoise», et par le fait même, de la croissance mondiale.
Il y a plus : «Les capacités de production interne de l’empire du Milieu allant en augmentant, la demande pour les commodités pourrait bien suivre le chemin inverse», observe pour sa part Arthur Budaghyan, stratège en chef pour les marchés émergents chez la montréalaise BCA Research.
Le filon que constituent les commodités pour un pays qui en est un grand producteur, comme le Canada, pourrait donc tarir au cours des prochaines années.
«Et si les commodités sont en déclin, les autres pays qui en dépendent, comme l’Afrique ou l’Amérique latine, sous-performeront également, renchérit Arthur Budaghyan. Ce que je pense, c’est que les marchés émergents seront décevants» durant les prochains trimestres.
Autre variable qui laisse augurer une décroissance, l’augmentation de l’influence des économies émergentes auprès de la Chine : alors que des pays comme l’Indonésie ou la Malaysie exportent de plus en plus vers la Chine, cette dernière a de moins en moins besoin de l’Occident.
«Le jour où l’Allemagne n’arrivera plus à écouler une part importante de ses exportations vers la Chine», elle aura des problèmes, prévoit Éric Noël.
Pays émergents
Enfin, la hausse de la consommation anticipée dans les marchés émergents devrait être revue à la baisse, toujours selon Éric Noël.
On parle de trois milliards de nouveaux membres pour la classe moyenne d’ici 2030, «mais il s’agit plutôt de 500 à 600 millions d’individus, soutient-il. Pour un jeune couple de professionnels établi à Shanghaï, le coût de la vie laisse peu de revenu disponible», les privant d’une consommation suffisante pour alimenter la croissance.
La croissance reste intéressante en termes absolus : les taux de 7 % pour la Chine et de 5 % pour l’Indonésie restent solides. Mais en termes relatifs, il s’agit d’une baisse généralisée.
Les marchés escomptent déjà ce changement «et s’adaptent à une croissance de 7 à 8 % par an pour la Chine», observe Luc de la Durantaye.
Dans l’ensemble, les pays émergents ont des dettes et des déficits beaucoup moins importants que les pays d’Occident.
«S’il est certain que les rendements sont dans un creux du cycle, nous demeurons enthousiastes par rapport aux économies émergentes», dit le gestionnaire de la CIBC.
Démographie
La variable démographique justifie également un faible optimisme envers la croissance des prochaines années, poursuit Éric Noël.
«On remarque des augmentations de plus en plus marquées des populations âgées de plus de 80 ans», signalant une dépendance accrue du nombre de personnes qui ont besoin des services de l’État.
À l’heure actuelle, certaines économies développées affichent des taux de dépendance difficiles à soutenir : en Europe, c’est parfois jusqu’à 69 % de la population qui est dépendante – soit les catégories d’individus de moins de 15 ans et de plus de 65 ans.
«Le dividende démographique devient alors une taxe démographique», analyse Éric Noël.
Deux problèmes sont à prévoir dans ce contexte : d’une part, une importante pénurie de la main-d’oeuvre.
«On le constate déjà : des entreprises ne parviennent pas à combler des emplois qualifiés.»
D’autre part, la crainte que les pressions fiscales ne soient pelletées dans la cour des contribuables, ce qui pourrait faire fuir des gens.
«Dans une économie du savoir, on semble négliger la mobilité du capital humain», qui est particulièrement importante, relève Éric Noël.
Ainsi, des chercheurs québécois à qui l’on fait des ponts d’or à l’étranger, «une pratique qui pourrait bien se généraliser», craint Éric Noël.
Le Canada
Au nord du 45e parallèle, les choses pourraient bien aller en empirant au cours des prochaines décennies en matière de croissance économique.
Par exemple, alors que plusieurs pays misent énormément sur la R-D, le Canada est particulièrement parcimonieux sur ce plan.
Les dépenses annuelles en R-D du Canada peinent à concurrencer celles des grandes entreprises mondiales.
L’accent mis sur l’exploitation des ressources et l’absence de diversification rendent notre économie vulnérable, estime Éric Noël.
«Le Canada est comme un grand « dépanneur » ; on vient ici chercher de l’essence, de l’eau, de chouettes petits bidules comme des BlackBerry, on s’en sert comme d’une caisse enregistreuse (grâce à son système bancaire)», mais il est pour l’essentiel une quantité négligeable dans l’organisation du monde.
De plus, à l’instar de toutes les économies industrialisées, la marge de manoeuvre du Canada est plutôt restreinte.
«Le problème actuel, c’est que les économies américaine, britannique ou japonaise commencent à manquer de flexibilité», ajoute Luc de la Durantaye.
Si la devise d’un pays s’apprécie, remarque-t-il, il n’y a plus de marge pour intervenir avec des politiques monétaires et fiscales – les taux d’intérêt sont bas et l’endettement est important en Occident.