C’est dans le but de répondre à la demande des institutions financières de Montréal que l’École de technologie supérieure (ÉTS) a récemment créé ce programme novateur.
Par logistique financière, on entend tout ce qui se trouve derrière les salles de marchés en termes d’algorithmes, de gestion des flux de données, de calculs de performance, de gestion de risque, de garde de valeurs, etc.
En manque de personnel qualifié
Selon Robert Pouliot, chargé de cours au Département de génie de la construction à l’ÉTS, les institutions financières montréalaises peinent de plus en plus à recruter ici des ingénieurs et technologues qui sont familiers en finance et qui sont aptes « à intervenir dans les différentes unités d’opérations derrière les salles de marchés, des activités de trading ou de gestion de placement ».
De fait, depuis 2020, il observe qu’un écart important « s’est creusé entre Montréal et Toronto quant à la disponibilité de nouvelles recrues en opérations et technologie financière (salles de machines) de systèmes d’investissement ».
Bref, il y a un urgent besoin de combler ce manque de personnel qualifié.
La genèse et la création du programme
Il faut cependant remonter à 2012 pour comprendre l’origine de ce programme.
Cette année-là, la Caisse de dépôt et placement du Québec fait appel à l’ÉTS pour former ses équipes d’ingénieurs et de technologues en finance, afin qu’elles puissent appuyer les gestionnaires de portefeuille derrière les salles de marchés.
« Ils savaient programmer, coder. Ils comprenaient tout le système de filage de gestion de données derrière, mais à quoi ça servait exactement, c’était moins évident », raconte Robert Pouliot.
Edmond Miresco, ingénieur et professeur à l’ÉTS, prendra ainsi en charge le séminaire annuel de formation destiné surtout au personnel de la Caisse.
En 2015, Robert Pouliot, qui enseigne le risque fiduciaire à la maîtrise en finance à l’UQAM, se joint à Edmond Miresco afin de sonder le marché financier montréalais quant au besoin d’un programme de 2e cycle en ingénierie et logistique financière.
La visite de trois institutions financières, Fiducie du Mouvement Desjardins, Fiera Capital, et Investissements PSP, permet de valider le besoin d’une telle formation.
« Le rapport disait essentiellement que les entreprises à l’époque se volaient des employés parce qu’elles ne pouvaient pas recruter. Il n’y avait pas d’université qui formait des étudiants dans le domaine. »
En 2016, un projet de programme de maîtrise est soumis au doyen des études de l’ÉTS. Huit années s’écouleront avant le lancement officiel du programme menant à un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) de 2e cycle.
Le premier du genre
Le programme d’ingénierie et logistique financière est le premier du genre au Canada, toute langue confondue.
Il allie à la fois les activités devant les salles de marché (gestion de portefeuille et analyse technique) et à l’arrière des salles de marché, y compris toutes les opérations requises pour compléter adéquatement une transaction.
« Une de nos grandes sources d’inspiration fut la Bourse de Montréal et les systèmes technologiques développés depuis plus de 30 ans pour assurer une compensation efficace des transactions de son marché de dérivés », révèle Robert Pouliot.
« Cette technologie, poursuit-il, s’était distinguée face aux opérations ‘comptant’ de la Bourse de Toronto et c’est justement en technologie que le Québec pourrait faire sa marque sur les marchés financiers. »
Le nouveau programme comporte trois particularités :
- Les étudiants travaillent en équipe de trois ou en « T », soit un gestionnaire de projet, un financier et un programmeur;
- Ils visitent les institutions et rencontrent directement les responsables d’unités logistiques pour se familiariser avec différentes applications;
- Chaque équipe est accompagnée d’un professionnel pour réaliser son travail de session.
« La grande différence avec ce programme-là, c’est que ce n’est pas seulement un cours magistral. Il y a une coopération très active avec plusieurs institutions financières de Montréal », souligne Robert Pouliot.
Des bénéfices de part et d’autre
Actuellement, les étudiants qui s’inscrivent au programme sont originaires d’une dizaine de pays. La quasi-totalité d’entre eux sont des ingénieurs.
« La technologie évolue plus rapidement que jamais, et davantage derrière la salle des marchés que devant, mentionne Robert Pouliot. Donc, le grand attrait, c’est de découvrir pour des ingénieurs, parce que presque tous les étudiants sont des ingénieurs, […] à quel point cette technologie-là prend un envol. De plus en plus on constate, par exemple, qu’on peut retrouver entre 8 et 12 employés en coulisse, malgré la technologie, pour supporter un courtier ou un gestionnaire de portefeuille. »
Parmi les bénéfices, outre les divers sujets abordés dans le programme qui permettent de maîtriser les opérations logistiques de transactions, les étudiants ont accès à une équipe de professionnels de même qu’à des stages dans les institutions financières participantes.
L’une d’entre elles, la Société Générale, a d’ailleurs octroyé deux bourses à l’ÉTS.
« Notre objectif est d’en obtenir davantage pour stimuler l’intérêt des ingénieurs en ingénierie et logistique financière », souligne Robert Pouliot.
Quant aux institutions financières, elles profitent d’un bassin de recrutement unique parmi les étudiants.
Robert Pouliot signale au passage que plusieurs diplômés de l’ÉTS travaillent en ce moment dans ces institutions.
« Par exemple, la société partenaire Croesus […] a longtemps été dirigé par Sylvain Simpson, un diplômé en systèmes automatisés de l’ÉTS, tandis que son responsable de l’innovation, Patrick Chassé, est diplômé en génie électrique. »
Des buts visés
Si le programme vise à court terme à répondre à la demande des institutions financières en formant de nouvelles recrues, à moyen terme, l’objectif est aussi de développer un programme de recherches appliquées pour contribuer à l’évolution de la technologie logistique en finance.
D’ailleurs, annonce Robert Pouliot, « [l]e programme prévoit produire le premier manuel en français sur les opérations en logistique financière d’ici la mi-2026. Tous les manuels actuels sont en langue anglaise et remontent à plus de 10 ans, alors que la technologie a profondément changé avec l’arrivée de l’Intelligence artificielle ».
Une table ronde
Le 15 juin prochain, l’ÉTS organise une table ronde intitulée « Jusqu’où peut-on algorithmer la conformité réglementaire en finance? », dans le cadre du programme d’ingénierie et logistique financière.
Pour l’occasion, des experts de grandes institutions financières et de cabinets-conseils en cybersécurité du Canada et des États-Unis débattront des nouvelles tendances qui préoccupent l’industrie financière en automatismes réglementaires.
D’après Robert Pouliot, « en matière de conformité réglementaire, jusqu’ici, on s’est surtout intéressé aux fiduciaires, c’est-à-dire à ceux qui ont un rapport direct avec la clientèle, que ce soient les courtiers, les gestionnaires de portefeuille, les responsables de caisse de retraite, les fiducies familiales, puis aux scandales, aux abus, aux éléments de corruption, aux systèmes Ponzi. Donc, tout ça, ça concernait surtout les gens de la salle des marchés, et rarement, voire presque jamais, les gens derrière la salle des marchés. Or, les risques sont encore très mal identifiés derrière la salle des marchés. »