Estimant qu’ils offrent bel et bien des services financiers, lesquels ne sont pas sujets à la taxation, plusieurs AG ne perçoivent pas ces taxes. Ils craignent de devoir remettre malgré tout ces taxes aux autorités fiscales. Si Revenu Québec (RQ), qui administre au Québec la TPS et la TVQ, devait cotiser les AG pour les trois dernières années, leur facture fiscale pourrait être salée.
Par exemple, pour un AG qui génère des revenus annuels de 1 M$, cette facture pourrait monter à environ 450 000 $ (149 750 $ multipliés par trois ans).
Selon nos informations, depuis quelques mois, Revenu Québec mène des vérifications auprès de différents agents généraux en assurance sur cette question. Leur tournée ne serait toutefois pas terminée.
Guy Duhaime, qui dirige Groupe financier Multi Courtage, a reçu la visite de RQ en septembre.
«Les questions en regard de nos services semblent vouloir mentionner que, si nous ne parlons pas directement aux clients, nous offrons des services taxables. De plus, les «commissions de service» sont pour eux, semble-t-il, des subsides entièrement taxables en matière TPS-TVQ», dit-il, s’opposant à cette version.
Même si l’offre des AG n’est pas uniforme, bon nombre soutiennent les représentants dans l’analyse des besoins d’assurance. Parfois, des experts en stratégies fiscales ou successorales, au service des AG, rencontrent les clients en compagnie des conseillers en sécurité financière.
«Revenu Québec veut dénaturer l’AG en disant : « Vous n’offrez pas de service financier ». C’est ridicule !» note Guy Duhaime.
Il dénonce cette initiative de Revenu Québec, qui pourrait sérieusement nuire à sa rentabilité, tout comme à celle de l’ensemble de l’industrie. «S’ils continuent comme ça, ils vont nous jeter à terre», déplore-t-il.
Pomme de discorde
Le coeur du différend porte sur la définition de service financier et provient de l’adoption du budget fédéral de 2010. Essentiellement, l’Avis de motion de voies et moyens qui découle de ce budget est venu changer cette définition. Pour mettre un terme à l’incertitude ainsi créée, le ministre fédéral des Finances de l’époque, James Flaherty, a souligné, en mars 2010, que les changements dans ce document «sont conçus pour confirmer nos intentions politiques de longue date. Nous n’imposons pas de nouvelles taxes».
Malgré cette déclaration, les choses n’en sont pas restées là. Se basant sur un bulletin d’interprétation technique de février 2011 de l’Agence de revenu du Canada (ARC), les autorités fiscales ont ausculté plusieurs types d’intermédiaires en assurance, dont ceux qui offrent des services aux concessionnaires automobiles.
Entre autres, le cas d’un distributeur de polices collectives d’assurance-vie, d’invalidité et de maladies graves (assurance crédit) auprès de concessionnaires automobiles a été analysé par la Direction de l’interprétation relative à l’imposition des taxes.
Une décision de juillet 2014 de cet organisme conclut que le niveau de participation directe, le temps consacré de même que l’intention de [ce distributeur] dans la fourniture d’un service financier ne sont pas suffisants pour conclure qu’il prend les mesures en vue d’offrir un service financier. Résultat, les services de ce distributeur seraient «exclus de la définition de « service financier »». Par conséquent, la TPS et la TVQ doivent être perçues sur leurs revenus.
L’avis de Revenu Québec
Fort, entre autres, de cette décision, le fisc québécois a analysé le cas des agents généraux et arrive à la même conclusion, malgré les différences de services.
«Lorsque l’apport d’un intermédiaire est préparatoire à la fourniture du service ou est un service administratif à l’égard de celui-ci, cette fourniture n’est pas un service financier. En matière d’assurance, Revenu Québec considère généralement que les autres intermédiaires que le représentant en assurance n’ont pas un apport déterminant dans la fourniture d’un service financier», indique Geneviève Laurier, porte-parole de Revenu Québec, dans un courriel.
Selon RQ, un service de promotion ou d’administration ne devient pas un service financier qui consiste à «prendre les mesures en vue» de l’émission d’assurance simplement parce que la personne est l’unique point de contact entre l’assuré et l’assureur.
«L’encadrement des activités exercées par les « agents généraux » n’étant pas explicitement prévu par la Loi sur la distribution de produits et services financiers, Revenu Québec considère ordinairement que l’apport d’un tel agent n’est pas déterminant dans la fourniture d’un service financier. Par conséquent, de tels services constitueraient alors une fourniture taxable.»
Les taxes s’appliquent-elles sur les revenus des conseillers en sécurité financière ? La nature des services qu’ils rendent déterminera la réponse. «Lorsqu’un représentant en assurance reçoit une rémunération en contrepartie de ses services et que ceux-ci sont des « services financiers », la TPS et la TVQ ne sont pas payables sur la contrepartie de la fourniture. Chaque cas doit être évalué au mérite pour établir si une activité donnée consiste à « prendre des mesures pour effectuer » un service ou si l’élément prédominant du service est de nature administrative, ce qui entraînerait l’application des taxes.»
De plus, si un représentant est un petit fournisseur, soit une personne qui fournit pour moins de 30 000 $ de fournitures taxables, lesquelles excluent les fournitures exonérées comme les services financiers, au cours des quatre trimestres précédents, il n’a pas l’obligation de s’inscrire aux fichiers de la TPS et de la TVQ, précise Revenu Québec : «Il ne nous est donc pas possible de formuler une réponse applicable à toutes les situations».
Toute cette affaire ressemble à un cas où le libellé de la loi diffère de la volonté politique de ceux qui l’ont écrite.
«Quand on regarde strictement la définition dans la loi, ils ont raison. Sauf que ce n’est pas l’objectif du changement législatif. Et le ministère des Finances s’est prononcé à l’effet que ce n’est pas l’intention. Ces dossiers-là sont délicats», indique Yves Albert Desjardins, Fellow de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec, qui travaille en litige fiscal chez Ravinsky Ryan Lemoine.
Malgré tout, selon lui, la volonté ministérielle prévaut et il déplore l’attitude de Revenu Québec. «C’est un cas typique de chasse aux sorcières de Revenu Québec, dit-il. On va s’attarder à des détails, alors que ce n’est pas l’intention de la loi», dit-il.
Selon lui, il est clair que les AG et les conseillers ne font pas que des services administratifs, mais bien des services financiers. «En vertu de l’entente fédérale provinciale sur l’administration de la TPS, Revenu Québec ne peut pas faire une guerre aux agents généraux de son côté sans avoir des comptes à rendre au fédéral», note-t-il.
À qui la note ?
L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) consulte actuellement ses membres afin de connaître leur opinion sur la question et dresser un portrait canadien de la situation et des audits menés par les autorités fiscales.
L’ACCAP n’a pas encore d’opinion publique sur cet enjeu, que Lyne Duhaime, présidente, ACCAP-Québec, résume ainsi : «Est-ce que l’interprétation de la loi que fait l’ARC et Revenu Québec est la bonne ? Ou est-ce que l’ARC et Revenu Québec débordent du cadre de la loi dans leur interprétation ?»
Si les AG recevaient un avis de cotisation, qui paierait ultimement la note ? Les assureurs qui supervisent et rémunèrent les agents généraux seraient-ils touchés ? Plusieurs questions restent sans réponse claire, et certains intervenants de l’industrie financière redoutent que les représentants en assurance de personnes doivent un jour se battre avec les autorités fiscales, à l’instar des AG, pour les mêmes raisons.
«Je doute que Revenu Québec saisisse l’impact d’une telle initiative sur l’industrie de l’assurance. Les assureurs n’absorberont pas l’entièreté de ces taxes de 15 %, mais une partie de celles-ci. Cela deviendra un élément de négociation lors du renouvellement des contrats qu’ils ont avec les agents généraux. Et est-ce que la commission que le conseiller reçoit d’un agent général serait taxable ? C’est majeur comme enjeux», indique l’un d’eux qui a requis l’anonymat.
Des acteurs de l’industrie tentent de clarifier la situation et s’organisent pour faire respecter la volonté politique du ministère fédéral des Finances de 2010.