Placements AGF (AGF) et Addenda Capital (Addenda) sont du groupe des signataires, et les deux entreprises divulguent depuis peu l’empreinte carbone de certains de leurs fonds.
AGF s’affichait dernièrement comme la première entreprise canadienne à divulguer l’empreinte environnementale de son Fonds d’actions mondiales croissance durable, qui est assorti d’un ratio de frais de gestion de 3,22 %.
Martin Grosskopf, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez AGF, explique que ce fonds investit déjà dans des sociétés qui offrent des solutions environnementales, mais que l’entreprise voulait «aller un peu plus loin» dans son évaluation de l’impact des titres en portefeuille.
AGF a décidé de calculer non seulement son empreinte carbone, mais aussi l’impact de son portefeuille sur l’eau et les sols. «Le carbone est certainement un élément important, mais nous voulions mesurer d’autres effets», explique Martin Grosskopf.
Pour l’instant, AGF ne prévoit pas mesurer l’empreinte de ses autres fonds. Selon Martin Grosskopf, «les investisseurs dans ce fonds sont ceux qui s’intéressent potentiellement le plus à ce genre de données».
De son côté, Addenda, un des derniers signataires de l’Engagement de Montréal, divulgue depuis l’automne l’empreinte carbone de quatre fonds d’actions.
Chez Addenda, l’empreinte carbone sera présentée comme la moyenne ponderee de l’intensite des emissions de carbone d’un portefeuille, et exprimée en tonne d’equivalent de dioxyde de carbone (CO2) emis pour chaque million de dollars de ventes genere par annee. L’empreinte d’un fonds sera comparée à celle de son indice de référence, et sera divulguée une fois par an.
Roger Beauchemin, président et chef de la direction d’Addenda, précise en entrevue que d’autres divulgations pourraient être faites si un client en faisait la demande.
Démocratiser l’ISR
Il semble que l’Engagement de Montréal a le potentiel de reléguer les principes traditionnels d’investissement socialement responsable (ISR) au second rang, au profit d’une vision plus managériale qui met l’accent sur les risques que pose la trop grande présence du carbone dans l’économie plutôt que sur des arguments moraux.
Roger Beauchemin, qui indique par ailleurs qu’aucun des fonds d’Addenda n’est à proprement parler «éthique», explique qu’il se pourrait qu’Addenda décide «à court terme» d’assumer le risque d’une empreinte carbone plus élevée en échange d’un meilleur rendement «si l’on sait que l’entreprise va faire des changements énormes sur le plan de son empreinte carbone.»
«Nous, on est là pour le rendement financier de nos clients», souligne Roger Beauchemin.
La possibilité de chiffrer plus précisément l’impact environnemental ouvre la porte à ce genre de choix financiers. Olivier Gamache, PDG du Groupe Investissement Responsable, une société d’évaluation et de conseil en matière d’investissement responsable, espère que ce changement va durer.
«Il y aura toujours des investisseurs core, qui sont animés par des valeurs. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est le développement d’un marché plus « grand public » (mainstream)», dit-il en entrevue.
Cette intégration des risques environnementaux dans l’évaluation de l’actif signifie selon lui qu’on a dépassé le stade de l’argument moral au profit de l’argument économique. «Ça veut dire qu’on ne porte plus attention au changement climatique pour rendre la planète plus verte, mais plutôt parce que financièrement, ça a du sens. Ce n’est plus une question de responsabilité morale, mais plutôt une question de responsabilité fiduciaire et financière», analyse Olivier Gamache.
Aucun standard
Le 29 septembre dernier, Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de stabilité financière du G20, disait considérer la divulgation de l’empreinte carbone comme la solution à préconiser afin de mieux gérer les impacts du réchauffement climatique.
«Un vieux proverbe dit que ce qui se mesure peut être géré», affirmait-il dans un discours prononcé à la Lloyds de Londres. D’après lui, la mesure de l’empreinte carbone et le feed-back entre les marchés et les entreprises ont même le potentiel de permettre aux régulateurs de peaufiner une politique climatique, un peu comme les banques centrales utilisent la politique monétaire.
Cela dit, même si la volonté de calculer l’empreinte carbone est saluée par plusieurs, la méthode qui permettra de la chiffrer n’est pas encore tout à fait au point. Aucune pratique spécifique n’est d’ailleurs dictée dans le cadre de l’Engagement de Montréal.
AGF a décidé de faire affaire avec une firme britannique, Trucost, pour évaluer l’empreinte environnementale de son fonds. «La méthodologie est assez nouvelle, admet Martin Grosskopf. Il reste encore à se familiariser avec les données.»
De son côté, Addenda fait sa propre évaluation de son portefeuille, en utilisant diverses sources de données. «La qualité de l’information qu’on reçoit des sociétés est variable», affirme Roger Beauchemin, qui considère néanmoins la «discussion avec les sociétés émettrices» comme fondamentale au processus, tant pour accéder à des données que pour faire pression au besoin afin de changer certaines pratiques.
«Les entreprises nous connaissent. Nous les encourageons à regarder ça de façon très pointue. En tant qu’actionnaires, nous avons des leviers», ajoute-t-il.
Même s’il admet qu’il y a certaines difficultés à surmonter, Olivier Gamache se réjouit de la culture collaborative inhérente au projet.
«Ce n’est pas encore une science exacte. Les défis sont assez importants. Il peut y avoir des dédoublements dans le calcul, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas essayer, plaide-t-il. Chacun y va de la manière qui a le plus de sens selon lui, et nous espérons qu’une stratégie qui fera consensus émergera du partage d’informations et de l’échange des apprentissages.»