«Alors que la plupart des analystes donnent crédit à Ben Bernanke d’avoir rescapé l’économie et amorcé le rallye, constate Peter Schiff, ils n’ont pas pleinement saisi que la performance du marché est maintenant en corrélation presque complète avec l’activisme de la Fed.
«Un coup d’oeil détaillé sur les mouvements boursiers des quatre dernières années révèle une dynamique nette : les mouvements haussiers sont directement liés à la mise en place de nouveaux stimulants de la part de la Fed. Les mouvements baissiers surviennent quand les marchés perçoivent que ces mises en place vont cesser.»
Par exemple, repère Peter Schiff, avant que la Fed n’annonce son «Opération Twist» en septembre 2011, le S&P 500 avait cédé 16 % dans le courant de l’été. Dès l’annonce de la Fed, l’indice s’est ressaisi, regagnant 16 % jusqu’en avril 2012.
Sevrage en douceur
Si la corrélation entre stimuli monétaires et montée boursière est si étroite, on est en droit de se demander ce qu’il adviendra de la Bourse le jour où les injections monétaires de la Fed cesseront.
Selon l’opinion dominante, tout se passera en douceur.
«Le jour où Ben Bernanke réduira ses mesures, c’est que l’économie sera repartie», dit François Dupuis, vice-président et économiste en chef au Mouvement Desjardins.
C’est dire que ce jour-là, la Bourse aura brisé sa dépendance aux stimuli monétaires et sera en mesure de voler de ses propres ailes, s’appuyant non plus sur la Fed, mais sur une économie revigorée.
Même son de cloche de la part d’Alain Chung, vice-président exécutif et gestionnaire de portefeuille chez Claret.
«Je ne suis pas pessimiste par rapport aux politiques monétaires de la Fed parce que je ne pense pas que Ben Bernanke est fou. Les gens qui reviennent dans le marché peuvent espérer un rendement annuel nominal de 6 % pour les dix prochaines années.»
Or, la stimulation monétaire ne peut plus durer très longtemps. Au sein même de la Fed, les dissensions se multiplient.
Un nombre croissant de gouverneurs juge que les effets néfastes de la détente monétaire commencent à peser plus lourd que ses effets bénéfiques, comme le constate une analyse de la Financière Banque Nationale du compte-rendu de la réunion tenue en avril par le Federal Open Market Committe (FOMC), qui fixe la politique monétaire de la Fed.
«Quelques-uns (des gouverneurs), lit-on dans la note de la FBN du 10 avril, estimaient que les coûts dépassaient déjà les avantages, et disaient qu’ils mettraient fin au programme « relativement vite ». D’autres disaient que vu les risques, le rythme des achats devrait probablement être réduit « avant longtemps »».
Pas de free lunch
«La détente quantitative n’est pas un « free lunch »» avance Jean-Pierre Couture, économiste et stratège des marchés émergents chez Hexavest.
«On évite une dépression, mais il y a un prix à payer quand les actifs partent en bulle, par exemple les obligations d’entreprises à rendement élevé et la dette des pays émergents. Quant aux actions, on n’est pas encore en situation de bulle, mais certainement en situation de surchauffe et on est dans un haut de marché. L’investisseur se fait chasser des actifs traditionnels vers des rendements plus élevés, sans égard au risque encouru. La conséquence, c’est qu’il n’y a plus « d’absorbeur » de choc dans les portefeuilles des gens.»
Selon Jean-Pierre Couture, la Bourse est lancée dans une chevauchée dont le carburant est son propre momentum.
Elle est sourde à toutes les menaces qui pourraient la faire dérailler : crise de Chypre, séquestre fiscal américain, élections italiennes, etc.
Et pour soutenir ce momentum, elle s’alimente maintenant de l’argent de Monsieur et Madame Tout-le-Monde qui ne veulent pas manquer ce train… et qui seront probablement les derniers à monter à bord.
Après l’arrivée de ce dumb money, comme plusieurs l’appellent dans les marchés, «le momentum va s’épuiser, prévoit Jean-Pierre Couture, et la Bourse va redevenir sensible aux mauvaises nouvelles. […] Nous pensons que ça va mal finir.»
Que veut dire «mal finir» ?
Jean-Pierre Couture ne veut pas quantifier la correction à venir, mais il est certain, selon lui, «que beaucoup de volatilité s’en vient dans les marchés».
Peter Schiff, pour sa part, envisage un krach et une récession pires qu’en 2008, selon un article paru dans Forbes (5 mars 2013).
Tout se jouera, selon lui, dans le marché obligataire le jour où celui-ci verra la Fed mettre un frein à sa détente quantitative.
La bulle qui sévit dans ce marché s’écrasera sous le poids d’un endettement global excessif (et qui n’a nulle part été réduit, sauf un peu dans les ménages américains).
Les taux repartiront à la hausse, les banques et le marché immobilier seront paralysés, et la crise atteindra la Bourse, où les titres prendront la pente descendante.