Doubler les prestations

Leur requête pour le RRQ se résume à deux propositions. Premièrement, faire passer la rente de retraite de 25 à 50 % des revenus gagnés durant la vie active.

Deuxièmement, augmenter le maximum annuel de revenus de travail admissibles à la cotisation au RRQ, actuellement de 51 100 $, à 67 500 $, soit le niveau de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

En ce qui concerne le RPC, la proposition, qui provient du CTC, vise à en doubler les prestations.

La rente de retraite passerait de 25 à 50 % des revenus de travail durant la vie active, de telle sorte que les paiements moyens annuels seraient de 12 600 $, jusqu’à un maximum de 24 000 $.

Dans un souci d’équité intergénérationnelle, ces groupes propo-sent que ces augmentations, dans le RRQ et dans le RPC, soient entièrement capitalisées. Cela signifie que la valeur de l’actif lié aux augmentations serait égale aux som-mes promises aux prestataires.

En comparaison, le Régime des rentes du Québec (RRQ) est capitalisé partiellement à 15 %, si bien que 85 % des prestations sont payées à même les cotisations des travailleurs et des employeurs actuels, ce qui peut être une source d’iniquité intergénérationnelle, d’après le rapport du comité d’Amours sur le système de retraite québécois.

La FFQ justifie sa requête par le fait que chez les personnes de plus de 65 ans, le revenu des femmes est inférieur de 59 % à celui des hommes (24 644 $ par rapport à 42 103 $).

Par ailleurs, le CTC fait valoir que deux travailleurs canadiens sur trois (plus de 11 millions) n’ont pas de régime de retraite au travail et que seulement un sur quatre a cotisé à un REER l’an dernier. De plus, la bonification proposée permettrait de réduire le nombre d’aînés vivant sous le seuil de la pauvreté.

Plus rapide

Une étude de Michael Wolfson, ancien statisticien en chef adjoint du Canada, réalisée pour l‘Institut de recherche en politiques publiques (Not-So-Modest Options for Expanding the CPP/QPP, juillet 2013), reprend les propositions du CTC en les «radicalisant».

Il propose, d’abord, que la rente de retraite passe de 25 à 40 % des gains durant la vie active, lesquels s’étalent entre 25 550 $ et 102 200 $. Alors que la FFQ et le CTC proposent une mise en place d’un nouveau régime sur 47 ans, Michael Wolfson juge qu’on pourrait le faire sur seulement 20 ans.

De plus, nul besoin de capitaliser une telle bonification au-delà du taux actuel de capitalisation d’environ 15 %, puisque l’âge d’admissibilité aux prestations améliorées serait déplacé entre 68 et 70 ans. Cette mesure est justifiée par le fait que l’espérance de vie est maintenant beaucoup plus grande.

Évidemment, ces réformes entraîneraient une ponction plus importante sur la masse salariale, surtout pour ceux dont le revenu de travail est plus élevé.

Viser trop large

Plusieurs analystes jugent que ces propositions présentent un déséquilibre majeur.

«C’est mettre en avant une solution universelle pour un problème particulier», affirme Richard Guay, professeur de finance à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

À la base, il faut approfondir et raffiner la compréhension de la situation de la préparation à la retraite chez les Canadiens, soutient Fabrice Morin, directeur de projets, chez McKinsey & Company, à Montréal.

Selon lui, on axe habituellement le problème sur le «taux de remplacement de revenu», alors que la vraie question est de savoir jusqu’à quel point un ménage peut préserver son niveau de consommation après la retraite.

Dans la majorité des cas, à la retraite, un ménage a besoin de moins de revenus pour ce faire, parce qu’il n’épargne plus pour ses vieux jours et que ses dépenses sont moindres : imposition réduite, hypothèque payée, enfants autonomes, etc.

«Il s’agit de savoir combien de Canadiens sont sur la voie de préserver leur niveau de con-sommation à la retraite et combien ne sont pas prêts», précise Fabrice Morin.

McKinsey a procédé à une telle analyse à partir d’un sondage effectué auprès de 10 000 foyers canadiens. Il ressort qu’en moyenne, à la retraite, les gens remplacent 109 % de leur consommation, c’est-à-dire qu’ils sont en mesure de consommer 9 % de plus que durant leur vie active.

Carencés

Toutefois, cette moyenne cache des disparités importan-tes. En fin de compte, au moins 23 % des Canadiens ne sont pas sur la voie de préserver leur niveau de consommation à la retraite, selon McKinsey.

Les cohortes les moins prêtes ont des revenus de ménage entre 40 000 $ et 90 000 $. Leurs difficultés varient selon l’âge.

Par exemple, de 19 à 38 % des ménages de 25 à 44 ans dont les revenus sont supérieurs à 60 000 $ sont mal préparés, d’après l’enquête.

De plus, de 23 à 33 % des ménages de 55 à 64 ans dont les revenus varient de 60 000 à 90 000 $ ne sont pas sur la bonne voie.

Une cohorte particulièrement problématique est celle des ménages dont les revenus se situent entre 40 000 et 60 000 $, fait ressortir Norma Nielson, professeure à la Public Policy School de l’Université de Calgary.

«Ils gagnent juste assez pour se faire retrancher une partie des autres bénéfices gouvernementaux (surtout le Supplément de revenu garanti et la pension de sécurité de la vieillesse), dit l’universitaire, mais ils n’en gardent pas assez pour produire de l’épargne.»

Plusieurs sont donc coincés et ne peuvent pas épargner.

Puis, il y a évidemment ceux qui n’épargnent pas par manque de volonté. Par exemple, on risque de trouver bon nombre de ceux-ci dans la tranche des revenus de 140 000 $ ou plus où 41 % des 55-64 ans ne sont pas en voie de remplacer suffisamment leur consommation à la retraite.

Les privilégiés sont ceux qui bénéficient d’un régime de pension d’employeur, qui sont propriétaires d’une maison dont l’hypothèque est payée et qui ont accès à l’aide d’un conseiller. Les situations individuelles se détériorent pour ceux qui ne remplissent pas ces conditions.

Les problèmes d’insuffisance de revenus à la retraite concernent donc une proportion relativement modeste de la population (entre 23 et 27 % selon l’évaluation de McKinsey), mais touchent des gens de conditions très diverses.

Solutions

Faut-il alors bonifier le RRQ et le RPC, et faire payer par tout le monde un problème qui touche 23 % d’une population aux besoins différents ?

Fabrice Morin juge que le recours à une solution unique est trop coûteux, d’autant plus «qu’aucune mesure unique ne parvient à résoudre le problème» pour l’ensemble des cohortes de la population.

Par exemple, si on se concentre sur l’âge de la retraite comme solution unique, il faudrait la faire passer de 65 à 85 ans pour diminuer la proportion de ménages qui ne sont pas prêts.

Face à ces solutions uniques excessives, il vaut mieux, dit Fabrice Morin, combiner des changements de moindre importance. Il suggère de hausser légèrement les cotisations au RRQ et au RPC, d’implanter des RVER, d’inciter la population à épargner plus (REER et CELI) et de relever l’âge de la retraite.

En quelque sorte, dit-il, «on aurait besoin du quart de chaque mesure pour combler l’ensemble des besoins».