La manipulation de la valeur du dollar est incompatible avec l’objectif premier de la Banque, qui est de maintenir l’inflation à 2 %, soutient-il.

Rappelons que l’immobilisme de la Banque du Canada devant la montée du dollar canadien a été critiqué au cours des dernières années. Certains diagnostiquaient un «mal hollandais» au Canada, soit une baisse de compétitivité des industries exportatrices en raison d’une monnaie dopée par une hausse des prix du baril de pétrole.

Faire confiance aux marchés

Tout en se refusant à utiliser les taux d’intérêt pour influer sur la valeur du dollar, Stephen Poloz a aussi affirmé qu’il ne veut pas «jouer sur les deux tableaux» en intervenant sur le marché des changes tout en maintenant le même taux directeur.

«Compte tenu de la profondeur du marché mondial, la Banque du Canada devrait réaliser un volume énorme d’opérations pour avoir ne serait-ce qu’un effet minime sur le taux de change», a-t-il souligné.

«Cet effet serait de très courte durée et viendrait nuire à l’excellent travail que les marchés font pour nous au quotidien», a ajouté le gouverneur.

Cette position contraste avec celle d’autres banques centrales, qui n’hésitent pas à intervenir sur les marchés des devises.

Par exemple, le Japon était reconnu pour ses interventions massives en vue d’affaiblir le yen avant que les pays du G7 ne s’entendent pour prohiber de telles interventions en 2011.

Au début de 2014, la banque centrale de la Corée du Sud s’est dite prête à intervenir pour limiter l’appréciation du won, qui nuit à ses exportations. Pour sa part, le Brésil soutenait activement le real afin de combattre l’inflation.

Pas si impuissante

De son côté, Stephen Poloz laisse entendre que la Banque du Canada, même si elle voulait intervenir, ne pourrait pas avoir d’effets sensibles sur les marchés.

L’expansion fulgurante du marché des devises au cours des dernières années y est possiblement pour quelque chose.

Le volume négocié sur le marché global des devises dépasse les cinq billions de dollars américains quotidiennement. Le dollar canadien est la septième monnaie la plus négociée du monde, avec un volume quotidien de 244 G$ US, selon la Banque des règlements internationaux (BRI). (http://tinyurl.com/kzcchpg)

Pour intervenir sur ce vaste marché, la Banque du Canada disposait en 2013 de quelque 65 G$ US de réserves de change.

Camilla Sutton, stratège en chef du marché des devises à la Banque Scotia, ne pense pas que la banque centrale canadienne soit impuissante. Elle considère plutôt qu’elle n’a «actuellement pas de raison d’intervenir sur le marché des changes».

Elle rappelle que la Banque du Canada a une politique claire : elle n’intervient que dans des «circonstances exceptionnel- les et pour des raisons de liquidité» ou «pour contrer des mouvements perturbateurs à court terme».

Christopher Neely, économiste à la Federal Reserve Bank of St. Louis et spécialiste des interventions sur le marché des devises, ne croit pas non plus à l’impuissance de la Banque du Canada.

«La perception qui s’est développée dans les années 1990 est que les banques centrales ne pouvaient ni ne devaient tenter d’influencer systématiquement les taux de change», explique-t-il.

Cependant, compte tenu de la taille du marché des changes, les interventions doivent probablement être coordonnées pour avoir de l’effet, ajoute Christopher Neely.

«Pour cela, il faut que les autorités négocient d’une façon qui soit cohérente avec les facteurs fondamentaux de l’économie et qu’ils réussissent à convaincre les autres acteurs que la valeur actuelle d’une monnaie n’est pas en phase avec ces facteurs.»

Joseph Gagnon, économiste au Peterson Institute for International Economics, croit lui aussi que les banques centrales peuvent influencer les marchés.

«La plupart des économistes pensent que les années 1980 nous ont montré que les interventions n’avaient pas d’effet durable. La différence est que maintenant, les interventions se produisent à une échelle beaucoup plus grande, au moins 100 fois plus importante qu’au cours des années 1980», explique-t-il.

Il soutient donc que de telles interventions massives peuvent avoir un «effet important».

Joseph Gagnon soupçonne néanmoins que la Banque du Canada fait face à un autre genre de difficulté : il s’agit de son puissant voisin.

«La plus grande victime d’une intervention canadienne serait les États-Unis, qui ne verraient pas d’un bon oeil des achats canadiens de dollars américains. Le Canada deviendrait ainsi un manipulateur de monnaie.»