L’écart entre les règles fédérales et les règles québécoises entourant la déduction pour petite entreprise (DPE) peut créer des occasions de planification fiscale dont un planificateur financier devrait être conscient. Voyons pourquoi.
Le gouvernement du Québec a instauré, lors de son budget de 2015, avec certaines modifications par la suite, une règle qui fait en sorte que les PME n’ayant pas 5 500 heures de travail rémunéré ne puissent profiter de la déduction pour petite entreprise (DPE). Cette règle vise essentiellement les sociétés dont le principal but de l’incorporation consiste à reporter des impôts et elle touchait plusieurs professionnels incorporés. Le Québec a adopté cette règle, car le gouvernement fédéral n’avait pas encore trouvé une approche permettant de colmater cet élément de planification.
Ainsi au Québec, seules les sociétés créant de l’emploi pouvaient conserver la DPE. Un professionnel incorporé avec moins de 5 500 heures se retrouve par conséquent avec « le gros taux d’imposition » des sociétés au Québec, mais « le petit taux » au fédéral. Toutefois, à la sortie des sommes sous forme de dividende, en l’absence de création de compte de revenu à taux général (CRTG), l’actionnaire est imposé avec un dividende non déterminé. En 2019, le taux combiné de la société est donc de 20,6 % suivi d’un dividende non déterminé de 46,25 %. Le taux net combiné société/particulier atteint alors 57,32 %. En 2021, ce combo s’élèverait même à 58,67 %, soit un taux très pénalisant, le principe d’intégration étant amoché.
Le fédéral a finalement inclus dans son budget de 2018 une approche différente en choisissant d’enlever la DPE aux sociétés ayant beaucoup de revenus passifs. En fait, la DPE est réduite de 5 $ par tranche de revenu passif excédent 50 000 $, pour disparaitre une fois rendu à 150 000 $.
Le Québec a décidé de s’harmoniser avec cette règle tout en conservant néanmoins la règle de 5 500 heures. Plusieurs s’attendaient à l’élimination de cette règle maintenant que le fédéral adoptait une approche visant à pénaliser les sociétés qui ne réinvestissent pas les profits générés, laissant simplement s’accumuler des placements passifs.
L’harmonisation fera en sorte que le principe d’intégration serait essentiellement conservé pour les sociétés générant plus de 5 500 heures de travail. Le principe « petit taux / gros taux » ou « gros taux / petit taux » est alors maintenu.
Pour les sociétés ayant moins de 5 500 heures, soit le cas s’appliquant à bon nombre de professionnels incorporés, ce principe fait toutefois défaut. Cela leur occasionne en 2019 un taux d’imposition de 57,32 % par rapport au taux marginal maximal du particulier de 53,31 %. Curieusement, avec l’arrivée de la règle sur les revenus passifs, ces professionnels verront leur facture fiscale baisser s’ils en viennent à perdre la DPE aux deux paliers de gouvernement. Ainsi, la combinaison « gros taux / petit taux » en 2019 serait de 54,31 %, et de 54,78 % en 2021.
Contre toute attente, la règle pénalisante adoptée par le fédéral vient réduire la taxation actuelle des sociétés ayant moins de 5 500 heures. Alors que plusieurs sociétés feront des planifications pour ne pas perdre la DPE au fédéral, d’autres, qui cherchaient justement une façon de perdre la DPE, trouvent devant eux une porte de sortie. Pour y arriver, les sociétés ayant moins de 5 500 heures devront attendre de générer beaucoup de revenus passifs. D’ici là, leur fiscalité demeurera pénalisante, bien que leur incorporation n’en serait pas nécessairement moins pertinente.
Le planificateur financier doit être conscient de cette situation et les décisions de rémunération doivent être adaptées en conséquence. Pour éviter le taux combiné pénalisant de 58,67 % qui existera en 2021, la rémunération sous forme de salaire au lieu de dividendes sera une solution très sérieuse à envisager.
*Directeur principal, Centre d’expertise, Banque Nationale, Gestion privée 1859