Cette évolution entraîne un important changement de culture : l’industrie du crédit a une obligation de résultats, l’industrie fiduciaire, une obligation de moyens, explique-t-il.
Une banque – une institution de crédit -, qui reçoit les dépôts, doit payer à ses clients la somme d’intérêts promise sur les épargnes. Dans ce contexte, les pertes éventuelles deviennent celles de la banque, qui doit les couvrir à même son capital.
De son côté, une institution essentiellement fiduciaire (courtiers, banques d’affaires, fonds communs, etc.), qui reçoit les investissements, ne doit aucune somme déterminée à ses clients, susceptibles d’encaisser d’éventuelles pertes. En somme, elle n’est pas tenue de les couvrir, poursuit Robert Pouliot.
Il est certain que chaque type d’institution entretient à la fois des obligations de crédit et des obligations fiduciaires. «Dans une banque commerciale, le risque de perte repose avant tout sur l’institution et sur ses actionnaires ; dans une institution fiduciaire, le risque de perte repose sur le client», précise-t-il.
À une époque pas très lointaine, dans les années 1970, poursuit Robert Pouliot, l’industrie du crédit, les banques commerciales au premier chef, dominaient nettement le stock de capital mondial.
Aujourd’hui, selon les analyses de FidRisk, le rapport est inversé : 70 % du stock de capital mondial, qui s’élève à 160 billions de dollars (160 000 G$), repose du côté fiduciaire.
Comment explique-t-on ce renversement ? Essentiellement, parce que les banques se sont intéressées à la gestion de portefeuille, selon lui.
Dans leur ancien modèle, «elles rapportaient entre 8 et 12 % par an. Avec la gestion de portefeuille, elles rapportent entre 30 et 40 %», explique Robert Pouliot.
«Toutes les banques sont menées par leur secteur des banques d’affaires, parce que c’est la part la plus profitable», indique Tristram Lett, président d’Integra Capital, à Toronto.
«Après que les banques aient eu l’autorisation d’acheter des firmes de courtage, toutes les têtes dirigeantes de banques venaient du courtage», raconte-t-il.
Se défaire du risque
Une manifestation de ce passage à la culture fiduciaire tient au processus de «titrisation», par lequel les banques transformaient leurs prêts et hypothèques en titres obligataires.
«Elles ont consenti des hypothèques à des gens à qui elles n’auraient pas dû prêter», raconte Richard Guay, professeur de finance à ESG-UQAM et ancien dirigeant de la Caisse de dépôt et placement. «Et pourquoi s’en seraient-elles privé ? poursuit-il. Même si je prête un million de dollars à un chauffeur de taxi qui gagne seulement 40 000 $, je vais me débarrasser de ce risque en le titrisant.»
Les banques avaient bien sûr des procédures pour «garantir» que leurs prêts titrisés étaient de haute qualité. Ceux-ci recevaient des cotes de crédit de la part d’agences de crédit comme Standard & Poor’s et Moody’s.
Toutefois, il y avait une faille, subtile mais capitale, fait ressortir Richard Guay. Les modèles d’évaluation de la probabilité de perte, rapporte-t-il, montraient que le risque de perte était inférieur à 99,99 %, d’où une cote AAA.
«Mais quel était le niveau de défaut ?» demande Richard Guay, qui a vécu la situation aux premières loges. Par exemple, le simple fait de ne pas payer ses intérêts dans les délais prévus constitue un défaut, même si les pertes sur le titre sont par ailleurs limitées. Toutefois, dans une majorité de cas des titres titrisés et à levier, «s’il y avait défaut, le titre ne valait plus rien, à cause de l’effet de levier». Le modèle d’évaluation du risque ne signalait rien de tout cela.
Initiatives des banques
Où en sont maintenant les banques dans leur gestion de risque ?
Elles ont remis beaucoup de choses en question et revoient leurs pratiques avec assiduité, selon un rapport d’Ernst & Young (Progress in Financial Services Risk Management, 2012).
On apprend dans ce rapport que 58 % des institutions financières américaines oeuvrent à mettre en place une forte culture de gestion du risque.
Et 75 % disent avoir implanté des tests de stress au cours des 12 mois précédents ; 49 % disent que les résultats de ces tests influent sur la prise de décision stratégique.
Enfin, 65 % évaluent l’impact sur les divisions et les produits qu’auront les nouvelles exigences de couverture de liquidité mises de l’avant par Bâle III.
Ces mesures conduisent à une meilleure évaluation et à un meilleur contrôle du risque.
Cependant, sont-elles suffisantes ? Le temps le dira.