«Les conseillers de la nouvelle génération sont généralement plus diplômés que leurs prédécesseurs. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils savent tout, et ils doivent de ce fait demeurer humbles», affirme Luc Doyon, un psychologue qui a accompagné plusieurs entrepreneurs dans leur processus de relève.
Les vétérans ne doivent pas non plus tenir pour acquis que leur recrue a tout appris sur les bancs d’école.
«L’indulgence est de mise, car il y a des choses qui ne s’acquièrent que sur le terrain. Sans compter que le monde de la finance évolue très vite !» poursuit Luc Doyon.
En plus de se montrer indulgents, les conseillers d’expérience doivent régulièrement montrer à leur successeur qu’ils tiennent à lui.
«Il faut souligner ses bons coups, lui demander s’il est heureux, prendre le temps d’aller dîner avec lui… Bref, il faut faire preuve d’empathie à son égard. Et idéalement, il faut apprécier la personne pour ce qu’elle est, et pas seulement pour ce qu’elle fait», ajoute Luc Doyon, qui est également conférencier et coach.
Éviter les frustrations
Mais attention : manifester son affection à son dauphin ne veut pas dire se plier à ses quatre volontés.
«Bien sûr, il ne faut pas non plus le traiter comme un bouche-trou ou un serviteur. En fait, il est important de lui offrir un bon encadrement, en précisant notamment le rôle et les attentes de chacun», précise le psychologue.
Les conseillers établis s’attendent habituellement à ce que, tout comme eux, les plus jeunes étirent leurs journées de travail lors des périodes de pointe, par exemple la période des REER.
«Or, les plus jeunes n’ont pas pris cette habitude, car pour eux, l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle est très important. En tirant ce genre de choses au clair le plus rapidement possible, on évitera bien des frustrations de part et d’autre», estime Luc Doyon.
Cela dit, les conseillers d’expérience doivent choisir leur successeur soigneusement pour éviter que les attentes de chacun soient diamétralement opposées.
«Il faut choisir une personne qui partage le même système de valeurs que soi. Si on est de nature plutôt prudente, on n’a pas intérêt à transmettre son cabinet à un conseiller très agressif, car ce changement d’orientation pourrait mettre les clients mal à l’aise», indique Luc Doyon.
Éric Charbonneau, un conseiller qui a procédé à plusieurs acquisitions de répertoire de clientèle, est du même avis.
«Quand on reprend une clientèle, on doit faire ses preuves. Il faut d’abord créer un lien de confiance. Tant que ce lien de confiance n’est pas établi, on doit éviter de procéder à des changements importants», dit celui qui dirige le Groupe financier Strategia.
«Si on n’est pas à l’aise avec les produits ou les recommandations du conseiller précédent, il est préférable de passer notre tour», ajoute Éric Charbonneau.
Mauvaise surprise
Le hic, c’est qu’en raison de la pénurie de main-d’oeuvre, les conseillers qui souhaitent partir à la retraite ont parfois de la difficulté à trouver un successeur avec lequel ils ont des affinités.
«Quand une recrue souhaite prendre la relève, un sentiment d’urgence s’installe. Le conseiller d’expérience se dit que si ce n’est pas lui qui choisit cette recrue, quelqu’un d’autre le fera. Alors il ne prend pas toujours le temps de bien évaluer les valeurs et la façon de travailler de son repreneur potentiel», déplore Luc Doyon.
Le président de Valimax, Jean Dupriez, en sait quelque chose. Il y a quelques années, alors qu’il était déjà septuagénaire, ce planificateur financier a entamé des procédures dans le but de céder sa clientèle.
Après avoir rencontré quelques candidats, il a arrêté son choix sur un conseiller qui semblait répondre à tous ses critères. «La transaction a eu lieu à la fin de l’année 2013, après quoi j’ai pris quelques mois pour lui présenter tous mes clients et lui expliquer mes méthodes de travail.»
Cependant, une fois le processus de transmission terminé, Jean Dupriez a appris par l’intermédiaire d’un ancien client avec qui il s’était lié d’amitié que son dauphin préconisait des produits très différents des siens et que ses façons de faire étaient à mille lieues des siennes.
Craignant que ses anciens clients voient d’un mauvais oeil tous ces changements, il a écrit à son dauphin pour l’inciter à se montrer un peu plus conservateur, du moins le temps d’asseoir sa crédibilité.
«Il n’a pas tenu compte de mes mises en garde. Résultat : il a perdu l’un des clients les plus importants du portefeuille que je lui ai vendu, ce qui lui a évidemment causé des pertes financières», raconte Jean Dupriez.
L’auteur de Savoir choisir son conseiller financier avait pourtant soigneusement planifié son plan de relève.
«Avec le recul, je me rends compte toutefois que le secret d’une succession réussie, c’est de pouvoir travailler quelques années aux côtés de la personne qui reprendra les rênes de notre cabinet. On peut ainsi discuter des dossiers ensemble, comparer nos conclusions, et surtout, justifier ces conclusions», explique-t-il.
«Pour moi, il est malheureusement trop tard, mais j’espère que mon cas pourra être utile à d’autres», conclut-il, philosophe.