En effet, une même entreprise peut émettre plusieurs types d’actions privilégiées ayant chacune des clauses qui lui sont propres. Certaines sont perpétuelles, d’autres ont des taux révisables tous les cinq ans en plus d’être rachetables au gré de l’émetteur. De plus, chaque émission présente un écart de crédit et un taux de dividende unique.

La sélection de titres demande de plus en plus de doigté en raison du recul des marchés en 2015. Certains titres se négociaient à plus de 50 % d’escompte par rapport à un prix nominal de 25 $.

Avant d’acheter une action privilégiée, Nicolas Normandeau, de Fiera Capital, analyse la qualité du crédit de la société et les différentes conditions de l’émission. Le moment de la prochaine révision des taux cinq ans a aussi beaucoup d’importance. «Même pour un conseiller, cette tâche peut se révéler complexe», concède le vice-président et gestionnaire de portefeuille, Revenu fixe.

Fiera gère environ 2 G$ en actions privilégiées, essentiellement au Canada.

«Il faut analyser chaque titre séparément, voir si la relation risque-rendement est intéressante, considérer un possible rachat par l’émetteur. C’est complexe et ça prend beaucoup de temps», explique Marc-André Gaudreau, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Fonds Dynamique.

Le marché des actions privilégiées est composé en grande partie d’investisseurs de détail, et son encours de 50 G$ (montant notionnel de 70 G$) au Canada fait pâle figure par rapport à celui des obligations de sociétés, qui est huit fois plus important.

«C’est un petit marché pas très liquide qui regroupe peu d’acteurs importants. Quand le marché s’effondre ou qu’il s’emballe, le prix de ces titres devient aussi beaucoup plus volatil», précise Nicolas Normandeau.

Un marché transformé

Pour bien analyser le potentiel haussier du marché des actions privilégiées, il faut revenir sur la débandade boursière de 2015 et sur la transformation majeure que ce marché a subie depuis la crise financière de 2008-2009.

À cette époque, le marché était constitué à plus de 70 % de perpétuelles. Avec la crise, une nouvelle catégorie d’actions privilégiées a vu le jour, celles dites à taux révisables. Aujourd’hui, près des deux tiers des actions privilégiées font partie de cette catégorie, alors que les perpétuelles ne comptent que pour le tiers du marché.

Ce produit financier a permis aux banques et aux entreprises de se recapitaliser plus aisément. Les investisseurs ont alors pu acheter des titres de qualité qui offraient des taux de dividende élevés. On contournait également la sensibilité aux hausses de taux d’intérêt des perpétuelles en ajustant le dividende tous les cinq ans. «Des milliards de dollars de ces titres ont été vendus en 2008-2009 à des investisseurs nerveux», souligne Pat Keene, spécialiste des actions privilégiées chez BMO Nesbitt Burns.

Autrement dit, le détenteur obtient à l’achat un taux fixé pour cinq ans qui représente les conditions du marché du moment. À la fin de chaque période, l’investisseur a l’option de recevoir le rendement des obligations gouvernementales canadiennes de cinq ans, auquel s’ajoute une prime de crédit prédéterminée, ou de choisir un coupon à taux variable. Aux dates de réinitialisation, l’émetteur peut également décider de racheter l’action.

Baisse continue des taux

La baisse importante des taux d’intérêt au Canada depuis janvier 2015 a entraîné dans son sillage le taux de dividende des actions privilégiées à taux révisable.

«Certains taux de coupon ont été réduits de moitié, ce qui a causé une baisse proportionnelle de leur valeur. Bien souvent, l’écart de taux versé à l’investisseur était bas et s’ajoutait au taux des obligations canadiennes cinq ans également affaibli. Les investisseurs ont donc essuyé deux coups durs», précise Pat Keene.

Quelques chiffres suffisent pour saisir l’ampleur de la débandade. D’abord, certains titres ont perdu plus de la moitié de leur valeur (prix d’émission généralement de 25 $). Quant à l’indice de référence canadien, l’Indice d’actions privilégiées S&P/TSX affichait au 31 janvier 2016 un rendement annuel négatif de 20 % ! En janvier seulement, il avait baissé de plus de 10 %.

«À cause du ralentissement de l’économie et de la baisse du prix du pétrole, c’est tout le secteur du crédit qui a été malmené en élargissant les écarts de rendement. Les marchés boursiers n’ont guère mieux performé, ce qui a aussi influé négativement sur les actions privilégiées», explique Nicolas Normandeau.

Cet environnement hostile s’est encore dégradé en raison d’une vague de nouvelles émissions qui a inondé le marché et pesé encore plus sur les prix des actions privilégiées.

«Cette offre de produits de la part des banques et des sociétés de pipeline a aussi contribué à l’élargissement des écarts de rendement l’année dernière», indique Marc-André Gaudreau.

Taux minimum garanti

L’automne dernier, afin d’amadouer les investisseurs, plusieurs entreprises ont ajouté à leurs titres des clauses de taux minimum garanti.

«Depuis ce temps, la plupart des sociétés ont suivi le mouvement, sauf les institutions financières, qui n’ont pas été autorisées pour des raisons de réglementation», souligne Nicolas Normandeau.

Prenons l’exemple de Pembina Pipeline, qui payait en janvier dernier un taux de dividende de 5,75 %, soit 5 % au-dessus des obligations gouvernementales canadiennes de cinq ans. «Si l’émetteur ne rachète pas l’action privilégiée dans cinq ans et que le taux de dividende absolu est inférieur à 5,75 %, la société devra tout de même verser ce taux à l’investisseur», illustre-t-il.

L’émetteur n’assume pas un risque accru, puisqu’il peut toujours racheter l’émission. Mais cela peut rassurer l’investisseur qui a vu les taux baisser continuellement depuis plus d’un an.

Le moment d’acheter ?

Selon Nicolas Normandeau, la décision d’ajouter des actions privilégiées à ses placements dépendra avant tout du scénario économique le plus probable.

Il est plutôt optimiste et croit que depuis le creux atteint en février, cette catégorie d’actif, qui a nettement sous-performé par rapport à l’ensemble du marché durant la dernière année, devrait connaître de meilleurs jours.

«En raison d’un taux des obligations gouvernementales cinq ans autour de 0,75 %, d’un baril de pétrole autour de 38 $ et d’une probabilité de 30 % d’une baisse d’un quart de point de pourcentage par la Banque du Canada intégrée dans le marché d’ici l’automne, et si tout cela reste inchangé au cours de la prochaine année, on obtiendra un rendement autour de 5 %, auquel s’ajoute l’avantage fiscal pour les particuliers», dit-il.

«Par contre, si le prix du pétrole remonte un peu plus et que les écarts de crédit se resserrent, on pourrait générer un rendement total qui se rapproche des 10 %», précise Nicolas Normandeau (NDLR : l’entrevue a été réalisée à la mi-mars).

Autre point positif, selon BMO : l’intérêt croissant des investisseurs institutionnels, qui sont habituellement moins présents dans ce marché. Les écarts de taux des actions privilégiées à taux révisables offrent une bonne protection en cas de baisse des marchés. Les écarts de rendement ont d’ailleurs commencé à se resserrer en mars.

Si le déficit fédéral devait être plus important que prévu au cours des prochaines années, cela pourrait réduire les risques de récession au Canada et exercer moins de pression sur la banque centrale pour abaisser les taux à court terme.

«Un tel scénario serait très positif pour les actions privilégiées canadiennes, puisque ces déficits devront être financés par des émissions d’obligations gouvernementales et qu’ils exerceront possiblement une pression à la hausse sur les taux de ces titres. Cela pourrait aussi resserrer les écarts de crédit des actions privilégiées», croit Marc-André Gaudreau.

À ce stade du cycle du crédit, la BMO ne s’attend pas à un resserrement sensible des écarts de rendements. Et puisque les taux d’intérêt devraient rester relativement bas, les investisseurs voudront privilégier les perpétuelles ou les actions privilégiées à taux révisables qui ont des écarts élevés et des taux minimums garantis.