Interrogée à savoir si les investisseurs ou les conseillers peuvent faire confiance aux informations contenues dans les rapports annuels, l’Autorité des marchés financiers (AMF) se fait rassurante.

«On peut faire confiance à l’information fournie par les émetteurs, déclare Sylvain Théberge, directeur des relations médias à l’AMF. Le PEIC vise à ce que l’information continue des émetteurs soit de meilleure qualité, plus complète et diffusée en temps opportun. Il a été mis sur pied pour aider les émetteurs à comprendre leurs obligations et à les respecter.»

Il fait d’ailleurs remarquer que dans 21 % des cas répertoriés au cours de l’exercice 2015, les émetteurs ont été avisés de corriger un ou plusieurs documents et de les déposer de nouveau.

«Ces nouveaux dépôts constituent des événements importants qui doivent être communiqués clairement au marché en temps opportun», assure-t-il avant de préciser que «dans la majorité des cas les lacunes observées n’ont pas nécessité de nouveaux dépôts ni de mesures d’application.»

Ces propos ne rassurent pas pour autant Julien Le Maux, professeur de comptabilité à HEC Montréal. «Que seulement 21 % des émetteurs avisés aient eu à déposer à nouveau leurs informations m’inquiète», dit-il, offusqué. Le détenteur du titre de Certified Fraud Examiner s’étonne que les autorités puissent relever des accrocs à la réglementation sans qu’aucune correction ne soit prise.

Entre autres lacunes révélées par les ACVM : le fait que certains émetteurs omettent de déclarer des contrats ou des clients importants, expliquent mal la cause des variations de leurs résultats d’exploitation ou communiquent certaines informations confidentielles à certaines personnes, mais pas au public en général.

Petits émetteurs fautifs

Un autre professeur de comptabilité se montre plus prudent. «Il y a plus de 4 000 émetteurs assujettis au Canada (si l’on exclut les fonds d’investissement) et que les entreprises qui subissent des remontrances sont souvent des penny stocks (petites entreprises juniors d’exploration minière ou pétrolière). Des actions d’une société à la Bourse de croissance qui valent 10 cents, on sait que c’est risqué», nuance Michel Magnan, de l’Université Concordia.

«Je ne dis pas que la direction peut pour autant dire n’importe quoi dans son rapport annuel, mais l’impact économique reste très limité», poursuit-il.

«Allez voir la liste des émetteurs interdits d’opérations (cease trading order) de l’ACVM et vous ne trouverez pas d’émetteurs importants, mais que d’obscures juniors minières ou pétrolières», dit-il. Une vérification effectuée sur le site Web des ACVM (http://bit.ly/1KDzkJf) ou sur celui de SEDAR (http://bit.ly/1MNQg6H) donne raison au membre du conseil de l’Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques (IGOPP).

De surcroît, les membres des ACVM ont réalisé 1 058 examens sur les plus de 4 000 émetteurs assujettis selon une méthode basée sur les risques. Cette méthode consiste à faire enquête sur des entreprises qui répondent à certains critères susceptibles d’accroître leur vulnérabilité.

«Malgré tout, seulement 8 % des cas environ ont requis une application de la loi, une interdiction d’opérations ou une inclusion sur la liste des émetteurs en défaut», ajoute l’universitaire.

Le professeur Michel Magnan constate aussi que la majorité des cas ne concernent pas nécessairement l’information comptable (les états financiers), mais des modifications prospectives apportées à des informations plus subjectives comme le rapport de gestion ou les commentaires de la direction. Ces modifications prospectives constitueraient 30 % des accrocs.

Michel Magnan salue d’ailleurs l’initiative des autorités en valeurs mobilières qui ont procédé à cette étude qui est selon lui d’intérêt public, et qui l’ont publiée. Il nous suggère cependant de faire preuve de prudence avant d’en tirer des conclusions alarmistes.

Besoin De clarté

Ces propos ne rassurent pas tous les intervenants du milieu. «Il faut décourager la divulgation erronée. Les organismes de réglementation devraient sévir contre les émetteurs fautifs. Le fait de donner de simples conseils sur la façon de faire correctement à l’avenir ne suffit pas», martèle Neil Gross de la Fondation pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada).

Ce dernier soulève un problème qu’il juge plus fondamental : «La divulgation n’est pas faite dans un langage assez simple. C’est le noeud du problème auquel les régulateurs devraient s’attaquer.»

Julien Le Maux est plus cinglant. «La recherche universitaire a montré qu’au Canada, il est plus facile de lire la notice d’un médicament qu’un rapport annuel de société. Les autorités se soucient du fait que l’information soit complète, et non qu’elle soit lisible», déplore-t-il.

Le professeur aimerait que l’on prenne exemple sur nos voisins américains. «Pour eux, une information de qualité signifie une information qui est lisible et facile à interpréter. Ils imposent l’usage du Plain English dans l’information comptable, la terminologie juridique hermétique est interdite» illustre Julien Le Maux.

Il poursuit : «Je vous mets au défi de donner un rapport annuel à quelqu’un et de lui demander de vous résumer ce qui s’est passé dans l’entreprise au cours de la dernière année».

Selon le professeur Julien Le Maux, «plutôt que de ne pas dire quelque chose, ce qui serait illégal, on préfère le rendre inintelligible. Ainsi, on est couvert».

Lorsqu’on lui dit que les analystes financiers lisent ces rapports annuels et en font la synthèse aux investisseurs, Julien Le Maux rétorque : «C’est ça, la mauvaise foi du système : on sait que personne ne lit les rapports annuels, et on continue d’exiger une information plus complète».

Lors des interviews menées auprès d’analystes financiers pour son prochain livre sur la qualité de l’information comptable, l’universitaire a constaté que la plupart d’entre eux se contentent de lire des notices sur Bloomberg pour se forger une opinion.

Pour sa part, Michel Magnan se montre plus magnanime. Il constate que selon le dernier rapport public du Conseil canadien sur la reddition des comptes (http://bit.ly/1LSg2AX), la qualité des audits s’accroît d’année en année au Canada, bien que certains problèmes subsistent.

Tout comme son confrère de HEC Montréal, le professeur de l’Université Concordia lorgne néanmoins du côté de nos voisins du Sud. «Aux États-Unis, tout comme au Canada d’ailleurs, les cabinets comptables sont supervisés par un organisme de régulation, sauf que là-bas, on publie les noms de cabinets qui mènent des audits non conformes», relève-t-il.