Les épargnants peuvent ainsi suivre le mouvement de nombreuses caisses de retraite canadiennes, qui se tournent vers les marchés privés notamment parce qu’elles jugent les actions chères et les rendements obligataires faibles.

«Le marché privé nécessite un horizon à plus long terme, mais il offre des rendements et une exposition à certains actifs qu’on ne retrouve pas dans le marché public», précise Geoffrey Ritchie, vice-président du Private Capital Markets Association of Canada.

Changements clés

Le marché dispensé n’a pas toujours eu bonne presse, mais divers changements favorisent aujourd’hui sa croissance.

«Certains titres émis dans l’Ouest canadien ont été des échecs et cela a motivé la création de la catégorie de courtier de marché dispensé, qui n’existait auparavant qu’en Ontario et à l’Île-du-Prince-Édouard. Cela a permis un changement important en ce qui a trait à la protection des investisseurs» , affirme Geoffrey Ritchie.

«Il faut laisser au courtier l’occasion de mettre en place de nouvelles pratiques, comme cela a été le cas pour les fonds communs de placement à leurs débuts», ajoute-t-il.

D’ailleurs, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont resserré ces dernières années les règles des gestionnaires de portefeuille et des courtiers sur le marché dispensé, tout en allégeant certaines obligations relatives au prospectus pour plusieurs types d’émetteurs, comme les entreprises en démarrage et le financement participatif.

Pas pour tous

Cela dit, il y a un long travail d’éducation à réaliser auprès des épargnants, car «ils ne sont guère familiarisés avec ce marché», souligne Dany Bergeron, représentant en épargne collective chez Excel Gestion Privée et président de Financière Radisson.

Celui qui a son permis de courtage sur le marché dispensé depuis janvier 2015 a lancé l’automne dernier un site d’information qui s’adresse aux épargnants et aux conseillers (www.mardi.info).

«Même si les rendements sont bons et que la commission versée est intéressante (de 5 à 10 % du montant investi), cela ne convient pas à tous les clients ni à tous les conseillers», indique Jean-François Rémillard, représentant de courtier en épargne collective et courtier sur le marché dispensé affilié à Mica Cabinets de services financiers.

«Ce sont des produits financiers complexes. Malgré l’absence de prospectus, il faut en faire une analyse détaillée et comprendre les risques sous-jacents. C’est comme investir dans une entreprise, on peut aussi tout perdre», prévient-il.

Parmi les instruments de placement du marché dispensé, on retrouve des billets à capital protégé, des parts de sociétés en commandite, des fonds de couverture, des actions accréditives et des fiducies de placement immobilier. Il existe une multitude de projets d’investissement qui comportent des risques spécifiques tels que l’achat de terrains qui seront potentiellement dézonés, du développement minier ou encore de l’affacturage.

«Les investissements dans ce marché étant faiblement corrélés aux investissements traditionnels (actions, obligations, fonds de placement), ils contribuent souvent à réduire le niveau de risque global de votre portefeuille de placement tout en augmentant le rendement total à moyen et long terme», explique Dany Bergeron sur son site Internet.

Bien lire les notices

Le principal défi du conseiller est de proposer des produits et des stratégies de placement dont il peut expliquer la complexité et les risques.

«Certains sont plus opaques et les frais sont très élevés sans raison véritable. S’il y a un manque de transparence de la part de l’émetteur, je n’en vends tout simplement pas», remarque Dany Bergeron.

L’émetteur dispensé publiera souvent une notice d’offre qu’on doit présenter au client. Celle-ci renferme notamment des renseignements sur les titres émis, le secteur d’activité et la situation financière de l’entreprise.

«Certaines notices comptent plusieurs centaines de pages. Le client et le conseiller doivent les lire au complet afin de s’assurer que rien n’a changé en cours de route», rappelle Jean-François Rémillard.

L’émetteur d’une autre province devra traduire sa notice en français pour pouvoir offrir ses titres au Québec. Cela réduit-il le nombre de titres disponibles chez nous ? «C’est un obstacle, puisque cela peut coûter beaucoup plus cher. Tout dépend du montant de l’émission : plus il est élevé, et moins on invoquera cet argument» , dit Geoffrey Ritchie.

Par ailleurs, un particulier peut aussi être assujetti à des plafonds d’investissement, notamment lorsqu’il n’y a pas de notice d’offre.

Critères d’admissibilité

Le conseiller a aussi la responsabilité de s’assurer que son client remplit les critères d’admissibilité. On devra notamment évaluer le montant de son actif financier et de ses revenus puisqu’il pourrait être assujetti à des plafonds d’investissement.

Selon une récente instruction générale liée au Règlement 45-106 de l’Autorité des marchés financiers (AMF), on ne peut pas se fier uniquement aux informations fournies dans les documents de souscription. Le conseiller doit poser des questions au client, et en cas de doute, lui demander des documents qui confirmeront de manière indépendante ce qui est allégué.

Les investisseurs dits «admissibles» doivent satisfaire au moins une des conditions suivantes : avoir un actif net seul ou avec conjoint de plus 400 000 $ (y compris l’équité de la résidence) ; avoir un revenu avant impôt au cours de l’année et des deux années précédentes de plus de 75 000 $ (avec conjoint, de 125 000 $).

Quant aux investisseurs dits «qualifiés», ce sont des particuliers qui remplissent notamment un des critères suivants : avoir un revenu net avant impôt annuel de plus de 200 000 $ (revenu familial de plus de 300 000 $) ou posséder un actif financier net de plus de 1 M$ (seul ou avec le conjoint). Certaines autres restrictions peuvent être apportées.

Notons que depuis mai 2015, les investisseurs dits «qualifiés» doivent signer un formulaire de reconnaissance de risque.

Encadrement nébuleux

Contrairement aux gestionnaires de portefeuille et aux conseillers en placement qui oeuvrent pour une firme de courtage de plein exercice, les représentants de courtier sur le marché dispensé ne sont pas régis par la réglementation de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).

Par exemple, il n’existe pas de règle claire quant au pourcentage du portefeuille que le représentant peut accorder à cette catégorie d’actif.

«Selon des lignes directrices de l’industrie, on suggère de limiter à 10 à 20 % la répartition du portefeuille dans le marché dispensé, et les placements individuels, à 5 %. Ces investissements sont habituellement peu liquides, et les fonds peuvent être gelés de trois à sept ans, parfois plus. Il faut aussi évaluer si le client a les moyens de ne pas retirer son argent pendant quelques années», précise Jean-François Rémillard.

En signant le formulaire de reconnaissance du risque, le client comprend, par exemple, qu’il peut y avoir des restrictions liées à la revente du produit, que son placement est peu liquide et qu’il peut tout perdre.

Par ailleurs, le représentant de courtier du marché dispensé, tout comme l’ensemble des personnes inscrites auprès de l’AMF, est soumis à plusieurs obligations (Règlements 31-103 et 45-106). Parmi celles-ci, il doit connaître son client, son produit et établir la convenance du placement pour le client. Le devoir d’agir de bonne foi, avec honnêteté, équité et loyauté dans ses relations avec ses clients reste donc fondamental.

Autrement dit, le client qui achète un placement dispensé de prospectus doit comprendre ce qu’il a signé, et l’avoir fait sans réserve.

«Si je m’assure de la convenance du placement, que je n’exerce pas de pression indue sur le client et que je lui ai remis tous les documents, je ne pourrai pas être poursuivi, même si la firme fait faillite ou que le placement dispensé tourne mal», ajoute Dany Bergeron.

Précisons que dans le marché dispensé, la tolérance au risque des épargnants est présumée élevée. Il faut donc bien évaluer ce degré de tolérance.

Selon Dany Bergeron, président du conseil d’administration de la Chambre de la sécurité financière (CSF) de 2011 à 2014, l’encadrement déontologique n’est guère plus clair. «La Chambre de la sécurité financière ne supervise pas les représentants de courtier sur le marché dispensé. Bien qu’il y ait eu un resserrement, certaines règles des ACVM demeurent floues et trop récentes», affirme-t-il.

«Il faudra voir comment les règles seront interprétées à l’avenir. Mais on doit comprendre que ce n’est pas seulement la firme de courtage qui a une responsabilité, le représentant en a une aussi. Il n’est pas à l’abri de poursuites civiles», rappelle-t-il.

Soulignons qu’un représentant de courtier sur le marché dispensé est tenu de proposer à ses clients les produits d’un seul courtier. Les clients ouvrent également un compte chez un gardien de valeurs pour les placements enregistrés.

«Le risque de réputation étant très important, ces firmes de courtage et les fiduciaires agissent comme pare-feu pour le conseiller et son client», précise Jean-François Rémillard.

«Une firme comme Mica a mis sur pied un comité d’évaluation des produits dispensés qui sélectionne ceux qui auront leur place sur la plateforme du courtier. Sur 20 dossiers présentés, un seul peut être sélectionné», précise-t-il.