Un homme d'affaire tient un micro et interviewe un autre homme d'affaire
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L’industrie a beau avoir proposé une série de mesures à l’Autorité des marchés financiers (AMF) afin qu’elle encadre l’utilisation des frais d’acquisition reportés (FAR) plutôt qu’elle ne les interdise, rien n’y fait. L’AMF maintient sa position et proposera en 2020 un échéancier en vue d’abolir les FAR.

Hugo Lacroix, surintendant des marchés de valeurs à l’AMF, explique pourquoi le régulateur en arrive à cette conclusion qui plait aux groupes de défense des consommateurs, mais déçoit certains membres de l’industrie.

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Pour s’adapter à l’abolition des FAR, certains représentants devront notamment trouver des manières d’être plus efficients et changer leur « mentalité de travailleurs autonomes, suggère-t-il.

Finance et Investissement (FI) : Dans votre analyse coût-bénéfice des effets de l’abolition des FAR, vous avez dit qu’il pourrait y avoir des conséquences négatives pour les courtiers en épargne collective autonome. Ça a été souligné par l’industrie. Vous allez de l’avant quand même. Pourriez-vous l’expliquer?

Hugo Lacroix (HL) : Au début, ce qu’on envisageait de faire, c’était d’abandonner toutes les formes de commission intégrées. Puis, nous avons effectué de multiples consultations et analyses d’impact.

On a finalement adopté une position mitoyenne qui consiste à maintenir les commissions de suivi dans les réseaux avec conseil. Ceci a pour effet de venir mitiger et atténuer le risque de telles conséquences sur la rentabilité des plus petits courtiers en épargne collective.

Ce qu’on propose aujourd’hui est strictement, pour les réseaux avec conseil, l’abandon d’un modèle qui selon nos analyses, est de moins en moins utilisé et ne représente qu’un petit pourcentage des ventes de fonds d’investissement. On ne pense pas, à la lumière des statistiques qu’on a, que c’est un phénomène susceptible de générer un impact matériel sur les courtiers en épargne collective, même pour ceux de plus petite taille.

Je ne dis pas qu’il n’y aura aucun effet, mais on avait en contrepartie des enjeux de protection des investisseurs assez importants à adresser.

FI : Pourquoi ne pas avoir opté pour une série de mesures claires et un encadrement strict des FAR, dont la possibilité de faire des séries à rétrofacturation dans laquelle le consommateur n’est pas aux prises avec le paiement des FAR, mais plutôt les firmes de courtage qui les offrent?

HL : Dans la dernière année, de telles solutions réglementaires alternatives, soit d’encadrer et maintenir les FAR, ont été analysées en profondeur par le groupe de travail des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM). La conclusion de ces analyses démontrait que cet encadrement était peu efficient pour atteindre à la fois les objectifs au niveau des enjeux à adresser et les adresser de manière efficiente.

Il nous est apparu évident qu’il fallait miser sur une série de règles, ce qui implique d’envisager les comportements de ces règles et anticiper son effet. Chaque fois dans nos analyses, on se disait : « On va gagner cela, mais on va perdre cela. » On n’a pas trouvé de solution permettant à la fois d’adresser les enjeux et d’atténuer davantage le risque de potentiels effets sur le courtier.

L’option que vous évoquez [c’est-à-dire les séries en rétrofacturation], ça vient avec un fardeau administratif, des nouveaux systèmes, la création de nouveaux produits et une série de situations très opérationnelles de transfert de positions. Pour gagner sur un front, on perdait sur d’autres. On ne gagnait rien d’imposer une solution très complexe pour n’arriver qu’à atténuer un risque en partie.

FI : Que pensez-vous du risque que l’abolition des FAR amène une segmentation accrue dans le bloc d’affaire des conseillers, à savoir que les clients qui ont des sommes d’argent moindre n’auront plus accès à un conseiller?

HL : Le marché a évolué et l’offre de conseil sans discrimination pour le montant minimum d’investissement, pour nous, est assez abondante dans le marché. Des conseillers qui utilisaient des options avec FAR ont à leur disposition des produits et d’autres types d’outils permettant d’offrir un service de manière beaucoup plus efficiente que par le passé.

L’évolution de l’offre de service contrebalance le fait qu’un conseiller comptait absolument sur les options FAR pour construire son offre de service.

Beaucoup de conseillers peuvent accéder à des outils technologiques pour offrir leurs services à l’aide de coûts d’opération beaucoup plus simple. Il y a des firmes de courtage qui ont investi pour rendre leurs opérations beaucoup plus efficientes : la tenue de registres, l’offre de toute la documentation des comptes est maintenant virtuelle, des services avec des applications mobiles pour faire des propositions d’investissement au client. L’offre s’est modernisée. Il y a une efficience qui a été amenée dans les façons de faire au quotidien de cette profession.

La profession s’est modernisée. Par exemple, des solutions existent qui permettent de simplifier le processus lié à l’onbording [l’accueil d’un nouveau client]. Il est ainsi devenu beaucoup moins lourd opérationnellement de prendre de nouveaux clients ou des clients à plus faibles coûts.

Cette modernisation est venue avec des gains d’efficience et les conseillers sont moins dépendants d’une structure de rémunération qui vient avec son lot de problèmes.

Leur modèle d’affaires va continuer d’être adapté, pour adopter un processus opérationnel beaucoup plus simple.

FI : selon nos données, les plus grands utilisateurs des FAR ont moins d’actif sous gestion, ont le moins d’expérience dans l’industrie, et ont moins d’actif à administrer donc moins de revenus. Est-ce que vous croyez que vous allez nuire à leur capacité de rester en affaire? 

HL : Non, je ne suis pas très préoccupé par un exode de la profession. Ce n’est pas ce que je vois.

Au niveau des courtiers de plein exercice, ils n’utilisent pas de FAR et distribuent de plus en plus de fonds d’investissement. On voit comment ils forment leurs recrues.

On a vu ces façons de faire chez des courtiers en épargne collective qui ont abandonné volontairement les FAR, parce qu’ils n’étaient plus confortables avec les FAR et prêts à assumer les problèmes qui viennent avec les FAR. Ces observations réduisent mes préoccupations et atténuent le risque qu’un tel scénario de matérialise. On a vu qu’il y a des solutions, que les courtiers ont des alternatives entre les mains, par exemple de former des équipes.

Si les conseillers ne changent rien à leur façon de faire, il est possible que ce soit plus difficile d’avoir de la rémunération dans les prochaines années. Mais si les firmes de courtage prennent un peu plus de responsabilité et de leadership dans la manière dont elles accompagnent leurs plus jeunes conseillers et les font interagir avec les conseillers ayant plus d’expérience, si elles forment des équipes de travail et repensent la distribution des revenus à l’intérieur de leur firme, ça va avoir un effet positif sur la résilience de leur force de vente. Ça va peut-être réduire les casse-têtes ou maux de tête de conseillers en fin de carrière qui se retrouvent avec une clientèle imposante alors que s’atténue leur volonté de travailler. Sans doute que ces conseillers voudraient travailler moins ou même pour certains abandonner le travail, alors ils verraient d’un très bon œil que des recrues viennent les épauler.

Les recrues bénéficieraient ainsi de l’expérience des conseillers (senior). Je ne suis pas dans les vœux pieux. On a vu des modifications dans les façons de gérer les forces de vente et le talent misant sur le rapprochement plutôt que de rester dans une mentalité d’autonomes.

FI : Les FAR sont permis encore dans les fonds distincts et le niveau de divulgation pour les produits bancaires n’est pas le même. Est-ce que vous pensez que ce genre de mesures va accentuer le risque d’arbitrage réglementaire entre les fonds communs et les autres produits comme les fonds distincts ou les produits bancaires?

HL : Quand on a bonifié le niveau de divulgation des fonds d’investissement il y a quelques années, l’industrie nous avait souligné à grands traits le risque d’arbitrage réglementaire. Bien honnêtement, on n’a pas vu ce risque se matérialiser.

Est-ce qu’on va être dans la même situation? C’est un risque puisqu’il va y avoir une différence. Est-ce qu’il va y avoir un arbitrage? Peut-être. Mais si on regarde le passé, ce n’est pas nécessairement dans ce sens-là [que les choses ont évoluer].

On voit une conscientisation des régulateurs à travailler de concert avec les régulateurs en assurance. À l’AMF, on est un régulateur intégré. Les timing sont rarement les mêmes entre chacun des régulateurs et on arrive rarement au même moment avec le changement. Par contre, il y a toujours une cohérence dans l’approche réglementaire adoptée par chacun.

Avec les discussions déjà en cours, ça vient renforcer mon sentiment que ça [le risque d’arbitrage] reste une réalité plus sur papier que vécue réellement. Est-ce qu’on craint un exode des capitaux des fonds d’investissement vers les fonds distincts? Je serais très étonné qu’on voit cela. Le profil rendement risque et la convenance des fonds distinct sont différent de ceux des fonds communs.

FI : Est-ce que vous prévoyez faire une harmonisation entre la réglementation des fonds distincts et des fonds d’investissement, notamment en interdisant les FAR pour les fonds distincts?

HL : Je ne peux pas vous dire cela aujourd’hui.

Les gens qui encadrent le secteur des assurances ne sont pas insensibles aux problématiques reliées au FAR dans les fonds d’investissement.

Dans la mesure où on se retrouve dans la distribution de fonds distinct, le régulateur devra les adresser. Quelle méthode prendra-t-il? Je suis incapable de vous répondre. Est-ce que la décision dans le volet des valeurs mobilières risque d’influencer la suite des choses en assurance? Mon opinion personnelle, c’est que oui. À l’AMF, on s’efforce qu’il y ait une cohérence.