En précisant que l’option de souscription avec frais d’acquisition reportés (FAR) sera abolie à partir du 1er juin 2022 partout au Canada, sauf en Ontario, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont démontré leur manque d’écoute envers l’industrie financière, surtout envers les courtiers indépendants en épargne collective.

C’est en quelque sorte le message que certains d’entre ont exprimé en réaction à cette annonce.

« J’ai l’impression qu’ils pensent qu’ils nous ont fait une faveur en nous donnant deux ans, mais deux ans pour opérer un changement de cette nature-là, c’est extrêmement rapide. Ils ont peut-être l’impression d’être généreux, mais je n’ai pas le sentiment qu’ils ont vraiment considéré les impacts de ce qu’ils vont générer et je pense vraiment qu’ils s’en fichent. Ils sont restés ancrés sur leurs positions dogmatiques et font de l’aveuglement volontaire sur les conséquences qu’il va y avoir », tonne Maxime Gauthier, chef de la conformité de Mérici Services financiers.

« Autant j’ai louangé l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour la qualité de la consultation, autant je dois les blâmer pour avoir été incapable d’en arriver à une position pragmatique dans ce dossier-là. L’AMF a préféré suivre les ACVM que de mettre en place une solution qui est réellement bénéfique pour l’ensemble des investisseurs québécois », ajoute-t-il.

Selon lui, l’AMF et les ACVM sous-estiment deux conséquences pour ces derniers. La première est que, si les conseillers ne peuvent plus utiliser les FAR, certains cesseront progressivement de servir les clients ayant le moins d’actif à investir, faute de rentabilité trop faible. Ces derniers perdront ainsi l’accès à un segment de conseillers qui pourtant trouvaient une manière de les servir et leur fournir du conseil financier.

« C’est un enjeu de politique public, d’intérêt public et non pas un bête enjeu réglementaire qui n’a pas d’impact sur le vrai monde. La réalité, c’est que l’industrie n’ait pas le choix de ne plus servir certains clients du marché de masse. Ou certains clients du marché de masse n’auront plus accès à des conseils ou des produits auxquels ils ont accès. Le statu quo est intenable. Les courtiers ne sont pas des OBNL et les conseillers ne sont pas des millionnaires », dit Maxime Gauthier.

Le deuxième est que l’abolition des FAR minera les efforts de recrutement des courtiers indépendants, les représentants de la relève ne pouvant plus obtenir une rémunération décente les premières années. Les nouveaux représentants en épargne collective iront ainsi dans les firmes ayant les reins assez solides pour leur offrir un revenu minimum durant les premières années d’entrée en carrière.

« La disparition des FAR, ça va être une débandade de l’entrée en carrière des petites firmes », anticipe Guy Duhaime, président de Groupe Financier Multi Courtage.

Il donne l’exemple d’un conseiller qui va chercher 2 M$ d’actif sous administration la première année. S’il ne trouve pas d’autres sources de revenus que la distribution de fonds communs, son revenu brut sera d’environ 10 000 $, selon lui, si bien « qu’il crève de faim ».

Contrairement à ce que certains croient, il sera « impossible pour les petites firmes » de financer les premières années d’entrée en carrière d’un conseiller. « On n’a pas les moyens de payer par exemple quatre conseillers à 30 000 $, donc environ 150 000 $ avec les avantages sociaux, qui vont rapporter collectivement 40 000 $ dans l’année. Il faudrait prendre 90 000 $ de mes profits pour supporter l’entrée en carrière de nouveaux joueurs. L’abolition des FAR par les régulateurs démontre qu’on n’est pas sensible aux petites entreprises », explique Guy Duhaime.

Yan Charbonneau, président-directeur général d’AFL Groupe financier, abonde dans le même sens.

« Le problème n’est pas que l’AMF nous donne un délai trop court pour cesser d’utiliser les FAR, le problème est que ceux-ci soient interdits. On a déjà un problème de relève dans l’industrie. On vient l’accentuer. Avec seulement les commissions de suivi, se faire des paies, c’est quasi-impossible », indique-t-il.

Par ailleurs, en agissant de manière non uniforme à travers le Canada, les ACVM confèrent un avantage concurrentiel aux courtiers qui ont une base de clientèle importante en Ontario, selon Maxime Gauthier.

« En permettant à l’Ontario de continuer de distribuer des FAR, on vient de consentir aux courtiers qui ont une forte base de clientèle en Ontario un avantage compétitif, en leur permettant de maintenir une source de revenu très matériel et substantiel, dit-il, soulignant que l’industrie est déjà en mode de consolidation. Comme si on avait besoin de donner un avantage concurrentiel aux courtiers de l’Ontario. »

Les ACVM persistent et signent

Maxime Gauthier et d’autres membres de l’industrie financière souhaitent qu’Eric Girard, ministre des Finances du Québec, n’entérine pas le nouveau règlement qui interdirait les FAR. Or, cela risque d’être tout un défi, car le cabinet du ministre des Finances du Québec est favorable à l’abolition des FAR.

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« Nous voulons lui faire entendre un autre point de vue que celui de l’AMF », note Maxime Gauthier.

Il reste que les ACVM continuent de penser que les FAR créent un conflit d’intérêts susceptible d’inciter les courtiers et leurs représentants à faire des recommandations d’investissement qui privilégient leurs propres intérêts au détriment de ceux des investisseurs, d’après l’avis de publication multilatéral des ACVM portant sur les « Modifications concernant l’interdiction du versement de frais d’acquisition reportés par les fonds d’investissement ».

Les ACVM s’attendent à ce que les courtiers qui offrent actuellement des FAR adaptent leurs modèles d’entreprise afin de continuer à répondre aux besoins d’un large éventail d’investisseurs et afin d’établir d’autres modèles de rémunération des nouveaux conseillers.

Selon les ACVM, « le fait d’obliger les courtiers, plutôt que les investisseurs, à acquitter les frais de rachat selon l’option des frais d’acquisition reportés n’élimine pas le conflit d’intérêts découlant du versement d’une commission au moment de la souscription. Il crée aussi un nouveau conflit d’intérêts puisque les courtiers peuvent essayer de dissuader les investisseurs de demander des rachats pour éviter d’avoir à payer des frais de rachat », d’après ce document.

Les ACVM font valoir que « l’interdiction de l’option des frais d’acquisition reportés devrait avoir une incidence limitée sur le choix des investisseurs et l’accès aux conseils, seuls environ 10,9 % du total des actifs [des fonds d’investissement] étant assortis de cette option à la fin de 2018. »

Selon les ACVM, « les clients sont plus sensibles aux courtages d’entrée, comme les frais prélevés à l’acquisition, lesquels sont transparents, et sont plus susceptibles de contrôler les frais transparents qu’ils paient directement ».

Un autre commentaire des ACVM a toutefois fait bondir Maxime Gauthier, qui réclame depuis des années que l’AMF s’attaque au risque d’arbitrage réglementaire entre les fonds communs, les fonds distincts et les produits bancaires, notamment en faisant en sorte que les deux derniers adoptent les règles de divulgation des premiers.

Les ACVM ont écrit ceci : « Nous n’avons reçu aucun commentaire sur les contrôles et processus que les personnes inscrites pourraient envisager de mettre en place, ou sur les mesures ou projets particuliers que les autorités de réglementation pertinentes devraient mettre en œuvre pour réduire le risque d’arbitrage réglementaire. Par conséquent, nous ne proposons dans les modifications aucune mesure ni aucun projet particulier à cet égard. »

« C’est de la mauvaise foi, écrite noir sur blanc. Ils ne peuvent pas dire qu’on n’en a jamais parlé », lance Maxime Gauthier.

Il se dit en colère que « l’AMF qui se targue régulièrement et avec beaucoup d’enthousiasme d’être un régulateur intégré, même si on soulève un enjeu d’arbitrage réglementaire, le régulateur qui a un rôle de protéger le public choisit de ne pas intervenir. »

Selon lui, certains conseillers ont bel et bien l’intention d’orienter des clients vers des fonds distincts afin de profiter des FAR qui seront encore possibles avec ce type de contrats d’assurance.

« C’est une position molle et hypocrite de la part de l’AMF. C’est de mauvaise foi d’écrire cela », dit-il.