«La pratique commune était d’évaluer d’abord la juste valeur marchande (JVM) de la police d’assurance vie d’un client, pour ensuite la vendre à sa société par actions en échange de liquidités non imposables», explique Annie Boivin, directrice principale, planification fiscale et successorale, Gestion de patrimoine TD.
À l’avenir, à l’application d’une telle pratique, un relevé T5 sera émis à la personne qui vend sa police pour la valeur de la contrepartie reçue, selon un fonctionnaire fédéral. En clair, la somme payée par la société sera imposable pour l’actionnaire.
«Prenons l’exemple d’un client qui détient une police d’assurance vie ayant un capital décès de 1 M$ dont la JVM a été évaluée à 200 000 $. En la vendant à sa société, il recevra 200 000 $, qu’il devra désormais ajouter à ses autres revenus de l’année», illustre Annie Boivin.
De plus, les actionnaires qui ont déjà vendu leur police d’assurance à leur société par actions sont aussi visés par de nouvelles règles. À leur décès, le compte de dividendes en capital (CDC) de la société sera crédité du montant du capital décès (1 M$ moins le coût de base rajusté de la police) dont on soustraira la somme non imposable qu’ils auront reçue lors du transfert de la police à la société (200 000 $, selon notre exemple).
«Dorénavant, il faudra en connaître davantage sur l’historique de la société et sur la détention des polices avant de tenir pour acquis que le capital décès pourra être remis en entier libre d’impôt aux héritiers par l’intermédiaire du CDC», explique Annie Boivin. Ces mesures feront économiser 65 M$ sur deux ans au fisc canadien.
Fonds corporatifs ciblés
Autre mauvaise nouvelle : le ministère des Finances supprime un avantage fiscal notable des fonds communs de placement constitués en société par actions ou les fonds structurés en tant que sociétés de placement à capital variable (SPCV).
À partir du 1er octobre 2016, il ne sera plus possible d’échanger des actions d’une catégorie de fonds communs corporatifs à l’autre sans incidence fiscale dans un compte imposable, comme c’est le cas actuellement.
C’est que le budget de 2016 propose de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu afin qu’un échange d’actions d’une SPCV qui entraîne la substitution de fonds par l’investisseur soit considéré comme une disposition à la juste valeur marchande aux fins de l’impôt. Il élimine ainsi la possibilité de rééquilibrer un portefeuille en différant l’imposition, ce qui fera économiser 75 M$ par an au gouvernement.
Cette mesure ne s’appliquera pas aux échanges d’actions tirées d’un même portefeuille ou d’un même fonds dans la société de placement à capital variable. Par exemple, si un conseiller effectue une substitution entre des séries différentes d’actions de la même catégorie, il n’y aura pas d’incidence fiscale particulière.
Dans les jours qui ont suivi la présentation du budget, plusieurs sociétés de fonds ont avisé leurs porteurs de parts de cette nouvelle. Rappelons que ces produits sont en forte croissance depuis la dernière décennie. À la fin de 2015, on comptait 820 FCP et 20 FNB constitués en société, selon une analyse de la Financière Banque Nationale (FBN). L’actif total des premiers était alors de 139 G$, soit plus du triple de l’actif de 2009. Celui des seconds s’élevait à 557 M$.
Selon l’équipe d’analystes de la FBN, dirigée par Daniel Straus, les nouvelles mesures du budget fédéral 2016 ne priveront pas ces fonds de leurs autres attraits fiscaux.
D’après eux, les FNB en catégorie de société permettent encore de réduire la facture fiscale des clients en déduisant des gains imposables les pertes et les frais, ce qui est utile lorsque ces fonds ont des obligations ou des actions étrangères. Cela permet de réduire les distributions imposables, ces dernières étant requalifiées en dividendes ordinaires canadiens ou de dividendes sur gain en capital.
«Les investisseurs disposent de quelques mois pour revoir la composition de leur portefeuille de compte non enregistré et évaluer l’impact de cette nouvelle mesure. Donc, cet été, les conseillers devraient envisager un rééquilibrage des portefeuilles des clients qui ont investi dans ce type de produit», dit Annie Boivin.
Billets liés : avantage aboli
Par ailleurs, le ministère des Finances s’attaque aux stratégies de vente des billets liés comme les billets à capital protégé et les billets à capital non protégé offerts par les institutions financières.
Actuellement, certains investisseurs qui détiennent leurs billets liés à titre d’immobilisations les vendent avant la date d’échéance afin de convertir le rendement des billets de revenu ordinaire en revenu de gains en capital, dont seulement 50 % sont inclus à leur revenu, selon le budget 2016.
Le plan budgétaire propose que le rendement d’un billet lié conserve le même caractère, qu’il soit réalisé à échéance ou reflété dans une vente dans un marché secondaire. Autrement dit, lors-qu’un client vendra un billet lié avant l’échéance, le rendement ne sera plus traité comme un gain en capital, mais plutôt comme de l’intérêt, précise Annie Boivin.
Grâce à cette mesure, qui s’appliquera à compter du 1er octobre 2016, le ministère des Finances s’attaque à une pratique répandue dans l’industrie. Il prévoit ainsi économiser 45 M$ en deux ans.
Le budget précise que dans le cas d’une note libellée en monnaie étrangère, ce calcul se fera indépendamment des gains ou des pertes de change. De plus, si un client vend un tel produit avant l’échéance et subit une perte, ces nouvelles mesures ne s’appliqueront pas, selon un fonctionnaire fédéral.
PSV de retour à 65 ans
Au chapitre des bonnes nouvelles, notons qu’Ottawa ramène à 65 ans l’âge d’admissibilité à la PSV et au Supplément de revenu garanti (SRG). Le gouvernement libéral annule ainsi les dispositions qui faisaient passer l’âge d’admissibilité de 65 à 67 ans mises en place par le précédent gouvernement.
Pour Daniel Laverdière, directeur principal, centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859, il est fort probable que le gouvernement doive rectifier le tir afin de réduire le coût de ces programmes dans les prochaines années.
En effet, le coût actuel du programme représente 5,21 % des gains d’emploi totaux au Canada, et ce pourcentage devait atteindre environ 7,12 % avant l’augmentation de l’âge d’admissibilité à la PSV, calcule Daniel Laverdière.
Cette augmentation, qui vient d’être annulée, aurait limité les coûts actuels de ces programmes à l’équivalent de 6,44 % des gains d’emploi totaux pour les 20 prochaines années.
En raison du rétablissement de l’âge d’admissibilité à la PSV à 65 ans, on peut supposer que la hausse du coût en pourcentage des gains d’emploi totaux sera d’au moins 1,9 point de pourcentage vers 2031, soit une remontée vers 7,12 % des gains totaux. Il est possible que cette hausse du coût soit supérieure à cause de la bonification du SRG, selon les calculs effectués par Daniel Laverdière.
«Le gouvernement devra réagir d’une manière ou d’une autre, par exemple, sur les taux d’imposition futurs, dit-il. Une autre option, plus prévisible, qui pourrait intéresser le gouvernement, serait de modifier les règles de récupération.» Par exemple, le revenu à partir duquel un client commence à rembourser sa PSV pourrait être plus faible.
Allocation remodelée
Par ailleurs, le ministère des Finances crée la nouvelle Allocation canadienne pour enfants. Cette prestation libre d’impôt remplacera la Prestation fiscale canadienne pour enfants et la Prestation universelle pour la garde d’enfants.
En vertu du nouveau système, une famille avec un enfant pourrait recevoir une prestation maximale de 6 400 $ par enfant de moins de 6 ans et de 5 400 $ par enfant de 6 à 17 ans.
Les montants s’ajusteront en fonction du nombre d’enfants et de leur âge.
De nombreuses familles recevront davantage de subventions qu’elles n’en touchent dans le système actuel, sauf celles dont le revenu est généralement supérieur à 150 000 $. Par exemple, une famille avec un enfant de moins de six ans dont le revenu familial est de 188 438 $ n’est pas admissible à la nouvelle Allocation.
Le budget propose le maintien de la Prestation pour enfants handicapés, mais abolit le crédit de fractionnement de revenu pour les couples qui ont au moins un enfant de moins de 18 ans. Ainsi, à partir de 2016, il ne sera plus possible pour les conjoints d’effectuer un transfert de revenu imposable afin de réduire leur facture fiscale d’un maximum de 2 000 $. Le fractionnement du revenu de pension ne sera pas touché par ce changement.