Les informations fournies par les entreprises sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ne sont pas toujours claires ou pertinentes pour les investisseurs. La reddition de comptes pour les critères ESG pourrait faire un pas de géant en 2022 et une partie des efforts déployés en ce sens se feront à Montréal.

Il manque d’uniformité dans les informations diffusées volontairement par les entreprises canadiennes, constate Roger Beauchemin, président et chef de la direction d’Addenda Capital. À titre d’exemple, il raconte les efforts déployés par son équipe pour comparer deux exploitants de pipeline canadien. L’un englobait ses filiales dans son rapport ESG, l’autre ne le faisait pas. « Ça amène énormément de travail. On ne pouvait pas comparer avec les données fournies. Il faut alors engager des discussions avec la direction et creuser plus loin et bien comprendre. »

Au printemps dernier, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont examiné les pratiques de 48 grandes sociétés canadiennes de différents secteurs. Dans cet échantillon, 92 % ont présenté de l’information sur les risques liés aux changements climatiques. Par contre, « seulement 59 % de l’information présentée sur les risques était pertinente, détaillée et propre à l’entité, et le reste était passe-partout, vague ou incomplète », a conclu l’organisme qui regroupe les autorités des marchés provinciales.

Un nouvel organisme international à Montréal

C’est pourquoi la création de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), annoncée dans le cadre de la COP26 en novembre, fait naître de grands espoirs. L’ISSB doit établir les normes de divulgations financières environnementales pour l’ensemble des entreprises à l’échelle mondiale. Son siège social est à Francfort en Allemagne, mais elle aura également un bureau à Montréal, qui doit ouvrir au début de l’année.

Les résultats de son travail sont attendus d’ici la fin de l’année 2022. « Ce que cette norme va permettre de faire, si tout le monde l’adopte, c’est que tout le monde va rapporter les mêmes affaires », explique Marie-Josée Privyk, cheffe de l’innovation ESG chez Novisto, une plateforme qui aide les entreprises à analyser leurs données afin d’adopter des pratiques ESG. « Donc c’est comparable, c’est mesurable. On peut faire une analyse à partir de ça. »

Le fait que la Fondation IFRS chapeaute l’ISSB « n’est pas anodin », ajoute l’experte. L’organisme sans but lucratif a créé les normes comptables IFRS, qui sont devenues un standard dans la comptabilité des entreprises dans 166 pays. « C’est sûr que ça va permettre de consolider les autres normes et référentiels. »

Nouvelles règles en 2022

Avoir des normes uniformes paverait la voie vers l’adoption d’un cadre réglementaire plus restrictif, croit Marie-Josée Privyk. « Ce qui est en train de se passer, en même temps, c’est qu’il y a une mobilisation des organes de réglementation pour rendre les divulgations de développement durable obligatoire. » Des décisions ou des réflexions en ce sens ont lieu au Royaume-Uni, dans l’Union européenne, aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande, notamment.

Au Canada, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont présenté un projet de règlement concernant l’information diffusée par les sociétés cotées en Bourse au sujet des changements climatiques. La période de consultation est ouverte jusqu’au 17 janvier. « On cherche la comparabilité avec davantage de substance, explique Hugo Lacroix, surintendant des marchés de valeurs à l’Autorité des marchés financiers (AMF). C’est ce que les investisseurs nous ont dit, ils ont besoin d’information plus comparable. »

Quant au caractère obligatoire de la divulgation ESG, les ACVM ont soumis deux options en consultation. Les sociétés pourraient avoir le choix entre divulguer certaines informations ou devoir justifier pourquoi elles ne le font pas. La deuxième option est de les contraindre à divulguer leurs émissions directes de gaz à effet de serre, ce qu’on appelle les émissions du champ 1 dans le jargon.

Les ACVM prévoient également publier une nouvelle ligne directrice pour les fonds communs qui s’affichent comme ayant des caractéristiques ESG. Elle devrait être publiée au cours de l’hiver 2022 et elle s’inspirera des travaux du CFA Institute réalisés plus tôt cette année, dit Hugo Lacroix.

Avec cette ligne directrice, les autorités de marchés n’interviennent pas dans la définition de ce qui constituerait une bonne ou une mauvaise stratégie ESG, nuance Hugo Lacroix. « On va donner des exemples de bonnes pratiques sur l’ensemble des éléments que les fonds doivent déjà bien expliquer et divulguer dans leur document qu’ils remettent aux investisseurs. Ce n’est pas une intervention où on leur dit voici ce qu’est la finance durable ou un produit ESG. »

La ligne directrice pourrait tout de même « être très bénéfique » pour les investisseurs individuels, croit Marie-Justine Labelle, leader de pratique en investissement responsable chez Desjardins Société de placement.

Elle note que « plusieurs fonds » s’identifient comme étant ESG, mais que l’utilisation de l’acronyme ne veut pas dire que la stratégie répond aux attentes des épargnants en matière de développement durable et de responsabilité sociale. La publication d’une ligne directrice pourrait contribuer à rendre l’information plus claire pour les investisseurs, selon elle.

« Parfois tout ce que ESG veut dire, c’est que lorsqu’un critère ESG peut avoir un impact sur la performance financière de l’entreprise, c’est considéré dans un tout dans la décision d’investissement, mais ça ne veut pas dire que c’est juste des entreprises qui ont de bonnes pratiques qui sont dans ce fonds-là », prévient Marie-Justine Labelle.

Éviter le mur-à-mur

Avec l’effort de standardisation des données ESG, il faudra éviter de tomber dans le mur-à-mur et laisser place au raisonnement humain, prévient Bouchra M’Zali, professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG UQAM. « Il faut une part de malléabilité dans les enjeux, car on ne peut pas tout standardiser. »

Elle donne l’exemple du travail des enfants. Elle cite le cas d’une entreprise qui a séparé l’horaire de ses employés-enfants en deux temps. Une moitié de la journée consacrée au travail et l’autre à la scolarisation payée par l’employeur.

Or, cette façon de faire ne passerait probablement pas le test d’une grille d’évaluation inflexible, même si l’entreprise venait combler un besoin dans un pays où il n’y avait « pas de filet social pour les familles ». « J’ai peur qu’on ramasse des choses qui sont bien au Nord, qu’on peut difficilement appliquer au Sud », explique la professeure qui est également titulaire de la Chaire africaine d’innovation et de management durable (CAIMD) associée à l’Université Mohamed VI, Polytechnique, au Maroc.