« Les fintechs, c’est vraiment le mariage entre les technologies et les services financiers : c’est l’utilisation des premières dans le contexte de la délivrance des deuxièmes », résume Me Vincent Frenette, associé de BLG et gestionnaire du groupe régional Droit des affaires spécialisé. Comme elles touchent à la fois les opérations administratives, les processus d’analyse et l’achat des produits et services, leurs impacts sont multiples. « Le tout va faire en sorte qu’un service qui était rendu par un être humain pourra l’être simplement par une technologie : c’est comparable à l’effet de l’arrivée des guichets automatiques — qui était une fintech il y a 30 ans — sur les caissiers et caissières », illustre-t-il.
À cette époque, les besoins en ressources humaines des institutions financières ont beaucoup diminué, tout comme leurs frais de fonctionnement, alors que le consommateur a gagné en accessibilité et que l’expérience client s’est améliorée. La standardisation de l’approche-conseil qui découlera de l’automatisation des analyses financières aura sensiblement le même impact, selon le spécialiste.
Le prêt traditionnel est une autre activité en transformation : les plateformes en ligne qui évaluent le crédit et déboursent directement les fonds sont de plus en plus nombreuses. « Le prêt est peu réglementé — quoique la Loi sur la protection du consommateur impose de nombreuses règles pour le prêt à la consommation — et les investissements requis sont relativement faibles, donc il est plus facile pour les fintechs de prendre des parts de marché », souligne Me Frenette.
À l’inverse, dans le domaine des valeurs mobilières, les start-up technos sont limitées par la lourde réglementation en place. « Au Canada, il n’est pas possible de lancer une plateforme qui offre des services de courtage en ligne sans avoir les autorisations qui s’imposent, fait-il remarquer. Ça va prendre des joueurs solides, qui feront en sorte d’être reconnus auprès des instances de valeurs mobilières en s’assurant d’avoir à l’interne des gens à l’expertise et aux qualifications requises. » Il constate aussi que, contrairement à leurs homologues aux États-Unis, les banques canadiennes « ont tendance à faire des alliances avec des fintechs qui ont une certaine maturité pour développer leurs technologies, au lieu d’investir ce secteur à l’interne ».
L’associé de BLG mentionne que l’impact des fintechs sur le domaine des assurances sera « sensiblement le même » que pour les valeurs mobilières, car il s’agit également d’une industrie très réglementée.
Des défis sécuritaires « pas insurmontables »
Les possibilités de fraude et de blanchiment d’argent sont deux des principaux risques associés aux fintechs, surtout dans le domaine bancaire. « Évidemment, qui dit automatisation dit moins de protection par les employés qui peuvent remarquer certaines choses, explique Me Frenette. Et quand une banque utilise le système d’une fintech qui est peut-être moins sophistiquée qu’elle, il y a un petit risque de contamination par des produits qui ne sont pas parfaitement sécuritaires. »
Les dangers potentiels venant avec l’utilisation des services et des plateformes de tierces parties pour l’entreposage des données par infonuagique (cloud) sont selon lui « avant tout une question de gestion de risques ». Dans tous les cas, les banques voient à son avis « définitivement plus d’avantages que de risques reliés aux fintechs, parce qu’elles voient beaucoup d’économie d’échelle et d’efficacité gagnée ».
Toutefois, la protection des renseignements personnels contre le piratage demeure un grand enjeu. « Notre pratique juridique est en croissance dans ce domaine, mais les défis ne sont pas insurmontables, assure l’avocat. Sauf que je ne pense pas qu’à cet égard, les fintechs soient très différentes des entreprises traditionnelles qui font de la vente en ligne. Il y a des règles, il faut les connaître et les suivre. »
Les législations fédérales sur la protection des renseignements personnels, tout comme celles sur les institutions financières et les paiements, sont d’ailleurs en voie d’être réformées pour mieux s’adapter aux fintechs. Sauf que personne ne sait quand ces modifications seront annoncées. « Il y a des élections fédérales cette année, ça peut évidemment avoir une influence [sur l’échéancier] », note Me Frenette.
Des outils en développement
Les fintechs sont un secteur encore très jeune, donc plusieurs outils et processus n’en sont qu’à leurs balbutiements. C’est le cas de la chaîne de blocs (blockchain). « C’est une technologie qui a énormément d’avenir et beaucoup de possibilités d’application, car elle permet d’assurer la sécurité de certains échanges de transactions ou la vérification de transactions à travers un système ouvert », estime l’associé de BLG. Il précise qu’en décentralisant la vérification d’échanges, la chaîne de blocs « élimine presque le risque de voir des transactions contaminées par une fraude ou par une tierce personne ».
L’autre technologie prometteuse est l’intelligence artificielle (IA). « C’est au cœur des applications financières, car quand on parle d’IA, on parle de transférer l’expertise d’un être humain dans une machine, de transférer son raisonnement par rapport à une problématique particulière, détaille Me Frenette. Alors si une IA est suffisamment pointue pour être capable de répondre à 90 % des situations qui lui sont soumises en ligne, vous venez presque d’éliminer le besoin de faire affaire avec un expert financier, même si certaines questions devront toujours être traitées par un humain. »
Il faudra surveiller de près l’entreprise québécoise Element AI (pour Artificial Intelligence), qui a annoncé il y a quelques jours qu’elle prévoie lancer en avril des applications en cybersécurité, en analyse d’entreprises et en assurances. Des entreprises québécoises sont déjà partenaires, et Element AI a confié à The Gazette qu’elle souhaite que ses premiers produits attirent les grandes banques, les compagnies d’assurances et les gestionnaires d’actifs.
Se concentrer sur sa valeur ajoutée
Et le travail des conseillers en services financiers dans tout ça ? « Il n’y a évidemment pas de résistance possible, constate Me Frenette. C’est sûr que les fintechs représentent un défi pour les conseillers, mais ils n’ont pas le choix de s’adapter. Ils doivent se concentrer sur leur valeur ajoutée, sur ce que ces technologies-là — du moins au départ — ne sont pas capables d’offrir. »
Cependant, tout n’est pas noir : les fintechs permettront aux conseillers de rendre leur pratique plus efficace, car ils pourront consacrer plus de temps à la réflexion et la planification. « Certains outils visent directement à les appuyer, entre autres en diminuant le travail administratif et en leur donnant accès beaucoup plus facilement à certaines données, évaluations et analyses. Mais pour en prendre avantage, il faut que les gens embarquent. Ils doivent éviter d’avoir peur. »
« Je dirais que le principal impact des fintechs, c’est de brasser la cage de gens qui pratiquent encore comme ça se faisait il y a 50 ans, d’une manière qui est peu organisée et pas très efficace, conclut le spécialiste. Ils doivent se forcer à se distinguer [des machines]. »