« 2020 sera une année fiscale extrêmement différente de toutes celles qu’on a pu vivre dans le passé », note d’entrée de jeu Serge Lessard, vice-président adjoint régional, Service Fiscalité, retraite et planification successorale, au sein de la Gestion de patrimoine à Manuvie, en entrevue avec la rédaction.
En plus de bousculer notre quotidien, la pandémie apporte un tsunami de nouveautés qui submerge bien des secteurs, dont celui de la fiscalité.
« Dans bien des domaines, on est hors norme et en fiscalité c’est le cas, note Serge Lessard. On est face à un éventail de nouveauté, alors les questions ne manquent pas. On y répond les unes après les autres quand c’est possible, car pour l’instant, toute l’information n’est pas encore disponible. »
Les revenus de nombre de contribuables ont subi un revers, et la planification fiscale sera bien différente pour la majorité des Canadiens. Ainsi, bien qu’il n’y ait pas eu de budget fédéral en mars pour modifier des mesures fiscales en place ou en instaurer d’autres, des mesures ont été déployées pour venir en aide aux particuliers, bouleversant ainsi la situation fiscale de bien des familles et leur future déclaration de revenus.
Les prestations d’urgence, un beau casse-tête
Le premier point qui nous vient en tête quand on pense aux particularités fiscales découlant de la pandémie, c’est certainement les mesures d’urgence prises par le gouvernement.
« Dans mon travail, je ne touche pas souvent aux prestations gouvernementales. Les gens en services financiers n’ont pas non plus tant besoin de toucher à ça, mais cette année oui », note Serge Lessard.
On peut ainsi penser à la Prestation canadienne d’urgence (PCU), dont ont bénéficié des millions de Canadiens. Sur cette dernière, bien que ses versements soient imposables au même titre qu’un revenu, on n’y a fait aucune retenue. Les contribuables concernés doivent donc prévoir un montant d’impôts à payer sur les versements de cette prestation. Le montant exigible sera calculé au taux marginal propre à chaque particulier.
Toutefois, précise Serge Lessard, la COVID-19 est arrivée en début d’année, tout comme la PCU. Pour nombre de personnes, l’impôt retenu à la source au cours des trois premiers mois de l’année tenait compte du revenu estimé pour l’année entière. Donc rétrospectivement, ils en ont trop payé au cours de cette période puisque leur revenu a ensuite passablement baissé.
« Ça va varier pour chaque personne encore une fois », prévient l’expert en fiscalité.
La PCU a maintenant été remplacée par trois nouvelles prestations :
1) la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE);
2) la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique (PCMRE);
3) et la Prestation canadienne de la relance économique pour proches aidants (PCREPA).
Ces prestations sont également imposables, mais cette fois, l’Agence du revenu du Canada (ARC) prélèvera à la source un impôt de 10 % sur les montants distribués, ce qui va « diminuer les risques en fin d’année qu’on ait à payer de l’impôt sur ces prestations », explique Serge Lessard. Ce montant pourrait cependant ne pas correspondre au montant d’impôt exigible requis selon le revenu gagné par une personne au cours de l’année.
De plus, note Serge Lessard, la retenue est effectuée par le fédéral et ne l’est pas au provincial. « Je n’ai pas trouvé encore d’intention de faire une retenue à la source par le fédéral pour le provincial, contrairement au versement lié à l’assurance emploi », précise-t-il.
D’autres détails à retenir
D’autres modifications sont attendues. On peut ainsi penser à des travailleurs autonomes susceptibles de déduire les dépenses liées à leur véhicule, car ils font beaucoup de route pour leur travail, comme c’est le cas des conseillers.
Pour une personne qui paie habituellement 10 000 $ de frais par année et en déduit 90 %, car elle n’utilise sa voiture pour ses besoins personnels que dans 10 % de son voyagement, cela risque d’être différent cette année en raison du confinement, illustre-t-il. Ses déplacements personnels resteront peut-être les mêmes, par contre ses déplacements professionnels auront certainement chuté drastiquement. Peut-être que cette année, seulement 50 % des 10 000 $ seront déductibles d’impôt. Cette personne devra pourtant assumer le même niveau de dépenses.
À l’inverse, pour les employés, on peut songer aux dépenses occasionnées par le travail à domicile. Davantage de frais seront certainement déductibles pour ces contribuables.
Du côté des frais de garde d’enfants, peut-être n’a-t-il pas été nécessaire de payer pour faire garder les enfants, mais cela implique que la déduction d’impôt correspondante qui sera également perdue, prévient Serge Lessard.
Stratégies fiscales et projection
Toutes ces particularités rendent difficile de déterminer quel sera notre revenu imposable cette année, souligne Serge Lessard. Il conseille donc de se tourner vers un professionnel pour évaluer le montant d’impôt à débourser.
Il sera certainement impossible de déterminer exactement ce montant, « mais au lieu d’être à côté de la cible de 50 %, on va peut-être à côté de 10 %, déclare-t-il. On essaie de réduire l’écart avec la réalité, le plus possible. Et ensuite, on va tenter d’améliorer cette projection. »
Selon le montant déterminé, certaines stratégies fiscales pourraient être envisagées. On peut ainsi penser à l’utilisation de pertes en capital accumulées des années antérieures. Peut-être que certaines pourraient permettre de réduire le montant d’impôt à payer.
Il est également possible de vendre certains actifs à perte pour réduire les gains des années passées. Toutefois, il est important de tenir compte des règles de pertes apparentes. « Si je rachète le même actif ou un actif identique dans les 30 jours, il est possible que ma perte en capital ne puisse être utilisée et qu’elle soit ajoutée au prix de base rajusté (PBR) du placement de remplacement que je rachète. Mais ça, c’est des règles extrêmement complexes! », prévient Serge Lessard.
Ensuite, les contribuables pourraient cotiser au REER s’ils sont capables de le faire malgré la pandémie. La cotisation maximale au REER va toutefois être impactée par la baisse de revenu, d’autant que les montants donnés issus de l’assurance-emploi, tout comme ceux de la PCU, ne sont pas admissibles pour déterminer le revenu gagné qui permet de déterminer la cotisation maximale, rappelle Serge Lessard. « Ça va réduire la capacité d’investir dans le REER ».
En attendant, selon lui, l’essentiel, consiste à gérer le risque.
« Il y a de l’espoir. Avec une bonne projection fiscale, on va être en mesure de parer aux problèmes qui vont accompagner la préparation de la déclaration d’impôt, et déterminer les choses à faire d’ici la fin de l’année », rassure Serge Lessard.
Des informations à venir?
Une chose est certaine, le gouvernement va ajouter de nouvelles lignes sur les feuillets T4 afin que les employeurs déclarent la portion gagnée pendant la période où la PCU et les autres prestations mises en place par le gouvernement étaient distribuées.
« On sera ainsi capable de dire si la personne a réclamé de la PCU tout en ayant un revenu d’emploi et donc, si elle est admissible ou non, explique Serge Lessard. L’intention du gouvernement est d’amener ceux qui n’y avaient pas le droit à la rembourser. »
Quant aux zones qui sont encore grises, Serge Lessard espère que certaines disparaitront lors de la mise à jour économique que fera Québec le 12 novembre prochain.
Finalement, une chose est certaine, « les fiscalistes vont avoir du travail cette année », conclut Serge Lessard.