La proposition de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) de fusionner avec l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) est relativement bien accueillie au Québec, mais des acteurs de l’industrie veulent s’assurer que l’on n’en profite pas pour affaiblir certains acquis de la province.

 « Notre association est toujours intéressée à un modèle qui propose moins de réglementation, une baisse des coûts et qui rend les choses plus faciles pour les représentants », signale Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers, en entrevue avec Conseiller.

Il estime que d’unifier les deux organismes permettrait aux cabinets concernés d’économiser sur les frais d’inscription. Comme l’OCRCVM propose cependant de conserver les ensembles de règles des deux entités, Flavio Vani croit que cette fusion ne serait pas réellement bénéfique pour les conseillers, puisque leur fardeau de conformité ne se trouverait pas allégé.

« Il y a un avantage certain pour les firmes qui doivent traiter avec les deux plateformes. Mais on parle d’une fusion avec deux divisions, j’ai peur d’une guerre de clocher. Les cabinets risqueraient de ne choisir que le système de l’OCRCVM pour pouvoir offrir tous les produits. Je comprends l’ACFM d’être contre cette solution », précise Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers et président du conseil d’administration de la Chambre de la sécurité financière (CSF).

Rappelons que l’OCRCVM règlemente les conseillers en placement, notamment ceux du Québec, qui offrent des valeurs mobilières. L’ACFM gère les représentants en épargne collective hors Québec et dans la majorité des provinces canadiennes, qui sont entre autres autorisés à proposer des fonds communs de placement.

« Je ne peux qu’être favorable à toute initiative qui a pour objectif de simplifier l’environnement réglementaire. Plus il y a d’organismes qui encadrent sensiblement les mêmes activités, plus cher ça coûte à l’industrie et ça mélange le consommateur. Dans les deux cas, c’est celui-ci qui en est perdant », mentionne Richard Boivin, sous-ministre adjoint au ministère des Finances jusqu’en décembre 2018, en entrevue avec Finance et Investissement.

Tous les intervenants interrogés estiment que la solution préconisée par l’OCRCVM est plus simple que celle de l’ACFM, qui suggère plutôt une refonte complète basée sur un organisme unique.

Des avantages

Cette fusion serait également bien reçue du côté des institutions financières.

« Desjardins répond à 88 organismes de réglementation au Canada et aux États-Unis », indique Sylvain Perreault, chef de la sécurité pour la coopérative. « Son point de vue, comme toutes les institutions financières, c’est qu’elle veut une harmonisation et une standardisation. »

L’ancien chef de la conformité du Mouvement, qui siège également au conseil d’administration de l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières, a été consulté par l’OCRCVM sur ce dossier sans participer à l’élaboration de sa proposition directement.

Il estime qu’en unissant deux organismes dont les membres offrent des outils de placement différents, cette fusion suit la tendance réglementaire actuelle plus axée sur le conseil que les produits.

« La fusion aidera tous les joueurs. Ça leur facilitera la tâche s’ils veulent migrer d’une plateforme à l’autre. […] À un moment donné, ces conseillers pourront se former et diversifier leur offre de produits », explique-t-il.

Vers la multidisciplinarité

 Sylvain Perreault estime que cette intégration favoriserait la pluridisciplinarité chez les professionnels, à l’instar de ce qu’on voit au Québec. En effet, la CSF chapeaute non seulement les représentants en épargne collective de la province, mais aussi ceux en assurance de personnes, notamment.

« Si l’ACFM est intégrée à l’OCRCVM, qu’arrive-t-il aux conseillers qui offrent des fonds communs au Québec? se demande cependant Flavio Vani. Il faut s’assurer qu’il n’y ait pas encore une volonté d’affaiblir la Chambre et de ne lui laisser que la réglementation des représentants en assurance. »

Les dirigeants de l’OCRCVM disent toutefois vouloir travailler de concert avec la Chambre sans l’ajouter au nouvel organisme.

« Je suis un ardent défenseur de l’approche de proximité; je n’ai aucune envie de me faire gérer par un géant canadien. Lorsqu’on établit de grandes structures, c’est très rare que ce soit plus simple après, lance Gino-Sébastian Savard. L’ACFM a dit à quelques reprises qu’elle aimerait faire disparaître la CSF. L’OCRCVM se garde une petite gêne. Je crois ses dirigeants, mais on ne sait jamais… Je reste sur mes gardes. »

Il estime qu’intégrer la Chambre au nouvel organisme serait complexe, notamment en raison des règles particulières qui régissent le Québec, dont le Code civil.

« L’OCRCVM est sensible aux spécificités québécoises. D’ailleurs, sa section Québec est la plus vigoureuse dans tout le Canada. Tout n’est pas contrôlé depuis Toronto », ajoute Sylvain Perreault.

Il reste que la tâche ne serait pas mince pour le nouvel organisme, croit Richard Boivin.

« Quand on s’inscrit dans une démarche pancanadienne, il faut des exceptions pour le Québec. […] Les joueurs importants de l’industrie qui font à la fois de l’épargne collective et des valeurs mobilières de plein exercice vont être obligés de se structurer. C’est compliqué, ça coûte cher, la réglementation n’est pas toujours harmonisée et ça complique la vie de tout le monde », souligne-t-il.

Celui qui a travaillé directement sur le projet de loi 141 estime que l’Autorité des marchés financiers (AMF) aura un défi semblable.

« La question va être de voir comment faire en sorte qu’on soit harmonisé avec le reste du Canada tout en ayant des dispositions juridiques différentes d’un autre régulateur pour les représentants en épargne collective. […] Pour l’AMF, c’est toujours un effort juridique additionnel par rapport à ses collègues des autres provinces. »

L’idée de cette fusion relance-t-elle le débat entourant l’intégration de la CSF à l’AMF? Ses partisans arguent depuis longtemps qu’une harmonisation des règles est plus simple, comme le soutient aussi l’OCRCVM en proposant de s’unir à l’ACFM.

« Est-ce que le gouvernement québécois va avoir envie de relancer le débat à court terme alors qu’il est pris avec sa relance économique à la suite de la COVID-19? J’en doute énormément. Il va y avoir de petits nuages au-dessus de la tête de la CSF, mais elle n’a pas à craindre la pluie, encore moins l’orage », estime Richard Boivin.

Quid du partage de commissions?

L’OCRCVM propose de conserver les deux systèmes qui prévalent actuellement concernant le partage de commissions. Les courtiers en épargne collective membres de l’ACFM peuvent en effet réacheminer les commissions touchées par un représentant à une société par actions non inscrite, alors que l’OCRCVM ne le permet pas.

Au Québec, le partage de commissions entre un représentant en épargne collective et une société par actions non inscrite est permis sous certaines conditions.

Dans une étape subséquente, le nouvel organisme pourrait permettre ce partage à tous, croit Sylvain Perreault. De son côté, Gino-Sébastian Savard en doute.

« La majorité des gens qui travaillent en valeurs mobilières viennent des grandes banques. Ces dernières veulent conserver avec eux un rapport employeur-employé, elles ne veulent pas faire affaire avec des sociétés par actions. Si les membres de l’OCRCVM pensaient que ça allait arriver, on est loin de la coupe aux lèvres », indique-t-il.

Il estime que de permettre ce partage à tous donnerait des arguments aux conseillers québécois, qui militent depuis longtemps pour avoir droit à l’incorporation pour l’ensemble de leurs activités. Selon lui, l’actuel gouvernement de la Coalition Avenir Québec s’est montré ouvert à l’idée.

Flavio Vani, quant à lui, espère que le nouvel organisme ne pencherait pas pour la solution inverse en interdisant le partage de commissions à tous ses membres.

« Ça serait un drame pour eux, mais ça n’aurait pas nécessairement de répercussion au Québec », relativise Gino-Sébastian Savard.

Contactée par Conseiller, l’AMF a indiqué que la consultation des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) sur le système d’autoréglementation commencerait sous peu. Elle n’a pas voulu commenter la proposition de l’OCRCVM tant que ce processus ne serait pas terminé.

« Nous avons pris connaissance des différentes prises de position qui ont circulé. Nous prendrons le temps d’analyser la consultation des ACVM et les conséquences possibles pour le Québec avant de formuler des commentaires. Bien évidemment, dans l’intérêt de la protection des consommateurs, la CSF continuera de travailler avec ses divers partenaires qui partagent les mêmes objectifs d’intérêt public », a quant à elle indiqué dans un courriel Marie Elaine Farley, présidente de la Chambre.

Avec la collaboration de Richard Cloutier.