Le jeune Cloutier, fils d’un père entrepreneur en construction, avait à peine 30 ans quand il a fondé son cabinet, en 1978, après avoir passé quelques années à apprendre son métier au sein de La Prudentielle d’Amérique.
Aujourd’hui, le Groupe Cloutier a fait sa place au Québec dans l’industrie du courtage en assurances de personnes et en épargne collective avec un réseau qui compte plus de 1 000 conseillers ayant un actif moyen sous gestion de 31 M$ (16,9 M$ en fonds communs et 14,1 M$ en fonds distincts, selon le Top 11 des cabinets multidisciplinaires 2017).
Parti de rien, Gilles Cloutier représente maintenant 23 assureurs et son réseau de distribution est présent en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick. Quelque 130 employés travaillent à soutenir les conseillers affiliés au siège social de Trois-Rivières et dans les centres financiers de Montréal, Québec et Gatineau.
Et dire qu’on lui prédisait la faillite ! C’était mal connaître ce natif de Louiseville, en Mauricie, qui n’allait jamais manquer d’audace dans sa carrière.
Former des entrepreneurs
Dès les premiers mois après sa fondation, le Groupe Cloutier recrute 15 conseillers et vend les produits de quatre assureurs. L’entreprise devient rapidement un succès local. Sa philosophie et sa culture reposent sur un grand principe, demeuré intact avec les années : ne pas donner de poisson au conseiller, mais lui apprendre à pêcher.
«Au lieu d’offrir des commissions très élevées dès le départ, on leur apprend comment doubler leurs ventes sans effort additionnel. Je dis toujours au conseiller : « Concentre-toi sur la vente et la prospection. Le reste, fais-le faire ! »» dit Gilles Cloutier.
En 2006, le Groupe a mis sur pied «l’Université Cloutier», un programme de formation sur mesure qui enseigne aux nouveaux conseillers à fonder leur entreprise, à travailler avec des assistants, à développer leur offre.
«Les gens ne sont plus tout seuls, à se demander quoi faire et comment le faire», dit le fondateur du Groupe Cloutier.
Pourtant, ce diplômé en administration, qui fut le mentor de bon nombre de conseillers dans l’industrie, n’aurait jamais cru lui-même se lancer dans le courtage et encore moins en enseigner les rudiments.
Songeant à tout le chemin parcouru, Gilles Cloutier se rémémore avec humour cette journée de 1967, où un patron de La Prudentielle lui a téléphoné : «Il paraît que vous avez une belle personnalité, on aimerait vous rencontrer.»
«J’ai sorti ma cravate et je me suis présenté en me disant : je vais essayer et je verrai bien ce que ça va donner.» Il a d’abord travaillé comme agent d’assurances pendant six ans et ensuite comme gérant de succursale. «Quand on a voulu me donner une autre promotion, je me suis dit : si je suis bon pour eux, je vais le faire pour moi», dit Gilles Cloutier.
Le reste appartient à l’histoire. Le Groupe Cloutier fêtera ses 40 ans d’existence en 2018 et son fondateur a célébré cette année ses 50 ans de carrière.
Il appliquait déjà à l’époque une nouvelle approche : celle de trouver le meilleur produit pour le client et non l’inverse, dans un univers où les agents d’assurance représentaient souvent un seul assureur.
«On arrivait avec une offre sur mesure. Souvent, il y avait deux ou trois compagnies sur quatre personnes d’une même famille, selon leurs besoins. Je pouvais tout offrir», dit-il.
Le client avant tout
Il a donc introduit bien avant l’heure la notion d’ABF, ou analyse des besoins financiers, parmi les conseillers. «J’arrivais chez des clients qui pouvaient avoir huit polices de 10 000 $ en vie entière, chacune vendue par un agent différent, avec une prime annuelle de 2 500 $», se souvient Gilles Cloutier.
«En faisant l’analyse des besoins, je voyais que le client avait besoin de 500 000 $ au total, ce qu’on pouvait couvrir avec une police temporaire pour moins cher et couvrant même de 5 à 10 fois le montant de base. Le reste, il pouvait l’investir dans un fonds de pension. Quand j’arrivais au salon mortuaire, je n’étais pas gêné du tout», raconte le fondateur du Groupe Cloutier.
Il n’a pas été précurseur seulement dans son offre de services, mais aussi dans sa philosophie de gestion, mentionne Stéphane Rochon, président d’Humania Assurance. «Malgré la taille de son entreprise, il a toujours gardé une proximité avec ses employés et son réseau de distribution», dit-il.
Une affaire de famille
Gilles Cloutier ne regrette rien et revivrait chaque seconde de son parcours. «Je prendrais juste 20 ans de moins !» lance-t-il en riant. Depuis quelque temps, il tire peu à peu sa révérence pour céder la place à ses trois enfants, déjà bien engagés dans l’entreprise familiale.
Patrick, l’aîné, occupe le poste de vice-président principal, ventes et développement des affaires. La cadette, Karine, est vice-présidente, marketing et développement corporatif, et Claudine, la benjamine, occupe la vice-présidence aux ventes et est responsable des prestations du vivant. Michel Kirouac, un associé de longue date, assume toujours la direction générale.
Bien qu’il reconnaisse qu’il est temps pour lui de laisser ses enfants seuls à la barre, Gilles Cloutier avoue avoir du mal à cesser de travailler. «Si c’était des étrangers qui reprenaient, j’aurais déjà quitté, mais je m’ennuyerais énormément… J’ai toujours été passionné par mon métier», dit-il.
Bourreau de travail, il passait six jours sur sept au bureau lorsque ses enfants étaient petits. Comme sa conjointe était infirmière et travaillait une fin de semaine sur deux, il les emmenait avec lui. Pas étonnant que ceux-ci aient choisi de prendre sa relève.
«Au bureau, la blague qui circule est qu’il ne partira jamais, lance François Bruneau, vice-président, administration et Investissement, de Groupe Cloutier. C’est quelqu’un de très chaleureux et facile d’approche. Cloutier, c’est une entreprise familiale où règne une ambiance familiale.»
La famille est tricotée serré. Elle navigue ensemble contre vents et marées, au propre comme au figuré. Gilles Cloutier, qui est un adepte de bateau de plaisance, sait aussi manier la barre en eaux troubles.
À contre-courant
En 2006-2007, alors que toute l’industrie est ébranlée par l’affaire Norbourg, le Groupe Cloutier lance Groupe Cloutier Investissement, une division de courtage en épargne collective. Le Groupe distribuait déjà, depuis 2002, des fonds communs de placement grâce à un partenariat avec Triglobal. Il a mis fin à cette entente et a décidé de lancer sa propre firme de distribution de fonds.
«Ça prenait de l’audace de lancer ça alors qu’on sortait de l’affaire Norbourg, dit François Bruneau. C’était aussi juste avant l’affaire Earl Jones et ça s’était plutôt mal fini avec Triglobal, mais nous étions sortis quelques mois auparavant», raconte le vice-président.
De l’audace, le fondateur du Groupe Cloutier en a à revendre. Il a été l’un des premiers à offrir des produits de prestations du vivant comme les assurances maladies graves, par exemple, à la fin des années 1990. «Aujourd’hui, tu as ça dans tous les bureaux, mais à l’époque, c’était très innovateur», raconte Stéphane Rochon.
Ce dernier a travaillé avec la famille Cloutier pendant quatre ans, de 1999 à 2003, comme directeur des ventes pour les prestations du vivant. Il travaillait pour la Great-West quand Patrick Cloutier l’a contacté pour lui confier la mise sur pied de cette division dirigée aujourd’hui par sa soeur Claudine. «On partait from scratch dans un tout nouveau domaine, se souvient Stéphane Rochon. C’était une belle marque de confiance envers moi de leur part.»
Une expansion rapide
Le clan Cloutier a toujours encouragé l’entrepreneuriat et la prise de risque. À preuve, l’expansion rapide du Groupe hors de son territoire d’origine et dans de nouveaux produits.
En 1994, le Groupe Cloutier ouvre un bureau à Québec et crée une division en assurance collective. Montréal suivra trois ans plus tard par l’acquisition d’Omnicourtage. En 2000, il s’installe à Sherbrooke et se lance dans le courtage hypothécaire en 2004. La création de Groupe Cloutier Avantages Sociaux, cabinet d’assurance et de rentes collectives, suivra en 2008, puis, en 2013, c’est l’ouverture du centre financier en Outaouais.
Gilles Cloutier est décrit comme un homme d’écoute et de consensus. Voilà un trait commun parmi les PDG d’aujourd’hui, mais plutôt rare à l’époque. «Il y a 20 ans, le style de gestion était beaucoup plus top down. Lui arrivait avec un style plus humain, qui détonnait», se souvient Stéphane Rochon.
«Je dis toujours à mes gens de traiter les autres comme ils voudraient être traités, dit Gilles Cloutier. C’est la seule façon de former une grande famille. Il faut que tout le monde soit égal au départ. Après, tu en fais plus ou moins, c’est ton affaire, mais tous reçoivent le même niveau de formation et les mêmes conseils.»
Relancerait-il le Groupe Cloutier dans les conditions actuelles ? «Je ne sais pas, hésite-t-il. Il faut toujours s’adapter, mais avec notre façon de faire, je crois que oui. J’ai travaillé fort, mais j’aimais ça, et mes enfants ont cette même passion. Ils la transmettent aux conseillers, qui deviennent à leur tour des entrepreneurs.»