Saisir les occasions
Pour contrer un tel risque, les conseillers doivent troquer leur habit de gestionnaire de portefeuille individuel pour celui de conseiller familial. L’objectif : intégrer dans leur clientèle les membres d’une même famille.
Encore faut-il savoir saisir les occasions. «Cela peut se produire lorsqu’on développe la planification du financement des études des enfants», remarque Jean-François Lessard, planificateur financier chez RBC Gestion de patrimoine.
Plus tard, on le fait lors de l’achat d’une maison par un enfant, puisqu’il est de plus en plus fréquent, à cause de la hausse des prix, que les parents y participent financièrement. «C’est un travail de longue haleine», reconnaît Jean-François Lessard.
Vincent Leclerc précise que le défi varie en fonction du rôle du conseiller dans l’institution. «En gestion privée, nous avons peut-être un certain avantage sur les conseillers des caisses, car nous gérons des patrimoines financiers relativement importants», explique-t-il.
Une situation où les conseillers peuvent plus souvent rencontrer les futurs bénéficiaires si ces derniers sont intégrés dans la gestion privée des parents.
Phénomène en croissance
Il n’en reste pas moins que seulement 2 % des enfants qui héritent conservent le conseiller de leur parent.
Cette éventualité est à ce point plausible que Grant Shorten, directeur des analyses stratégiques chez Investissements Renaissance, la qualifie de «trou noir du transfert générationnel». «Trop de conseillers n’ont toujours pas agi pour conserver leur clientèle. Plus ils attendent, plus ils risquent de perdre des clients», soutient Grant Shorten.
De plus, évidemment, le capital qu’ils gèrent depuis des années s’envolera avec le départ de leur client.
Le phénomène devrait s’amplifier au cours des prochaines années, selon lui. Il s’appuie sur une récente étude de PricewaterhouseCoopers, qui révèle qu’au cours de la prochaine décennie (de 2012 à 2022), un patrimoine de 895 G$ sera transféré.
Pour les personnes âgées de plus de 75 ans, on estime la valeur moyenne de ce type de transfert à 700 000 $. Au cours de cette période, le nombre de transferts individuels devrait atteindre 1,3 million, dont la plus grande partie découlera des clients de plus de 75 ans.
Les pertes potentielles sont significatives.
Approche familiale
Vincent Leclerc cite l’exemple d’une cliente, devenue millionnaire après avoir gagné à la loterie. «Comme j’avais préparé avec elle sa succession, cela m’a permis d’assurer la gestion du transfert vers sa fille unique, une ingénieure. Non seulement sa fille est restée, mais son mari s’est aussi joint à nous.»
Le constat : «Plus les enfants sont jeunes lorsque nous les rencontrons et que nous développons une relation avec eux, plus cela facilite les choses», dit Sébastien Souligny, vice-président et directeur général, Groupe fortune privée, Québec, de BMO Banque privée Harris. «Très tôt, nous invitons les clients à nous rencontrer avec leurs enfants», souligne-t-il.
«Lorsqu’il s’agit d’enfants mineurs, nous pouvons les rencontrer chez eux lors de rencontres avec leurs parents. Mais une fois qu’ils sont devenus de jeunes adultes, nous pouvons par exemple leur offrir des ateliers d’initiation à la finance», explique Sébastien Souligny.
Vincent Leclerc estime lui aussi que la réussite découle d’une approche familiale.
C’est lors de telles occasions – une planification financière par exemple – qu’il est possible de dresser le profil des enfants «et par la même occasion, de leur présenter une introduction au monde financier. La relation s’établit, et s’il arrive quoi que ce soit aux parents, nous restons présents».
S’il n’y a pas de formule magique, l’établissement d’une relation de confiance est incontestablement l’ingrédient essentiel, dit-il.
«Dans une institution, quelle qu’elle soit, il y a des individus compétents, et l’état des marchés et la situation économique sont les mêmes pour tout le monde. Du coup, je crois que le résultat de telles démarches est fondé à 90 % sur l’approche et la relation d’affaires», précise Vincent Leclerc.