Par exemple, un investisseur biaisé aura tendance à accorder une plus grande importance aux pertes qu’aux gains. Cette «aversion aux pertes» pourrait faire qu’un client soit si refroidi après une chute boursière qu’il risque de rater un rebond.

Un autre type de biais est la «comptabilité mentale», qui fait que les investisseurs intègrent les pertes, mais isolent les gains. Résultat : ils préféreront liquider en bloc les titres perdants, mais vendront un à un les titres qui rapportent.

De plus, les clients ont parfois un biais quant à leur traitement de l’information. Ils la trient de façon empirique ou même intuitivement.

Un client peut même accorder plus d’importance aux informations qui vont dans le sens qu’il espérait, comme les bonnes nouvelles sur un titre qu’il envisage d’acheter.

Trop confiant

Richard Guay, professeur au Département de finance de l’UQAM et spécialiste de la finance comportementale, considère que le biais le plus important chez les investisseurs est la confiance excessive, soit la tendance d’un investisseur à surestimer ses capacités et ses connaissances. Ce biais est particulièrement présent chez les hommes plus éduqués, aux revenus élevés. Il est souvent associé à un volume exagéré de transactions qui ont pour effet, à long terme, de diminuer les rendements.

«Même s’il est vrai que pour certains investisseurs, les transactions fréquentes ont été rentables, on y porte souvent une attention disproportionnée, puisque ces investisseurs sont fiers et que ceux qui les observent aimeraient réaliser des rendements similaires. En fait, en négociant fréquemment, la grande majorité des investisseurs n’obtiennent pas de très bons résultats», explique Richard Guay.

Conseillers à risque

Ces nombreux biais cognitifs sont d’autant plus ennuyants pour les conseillers qu’eux-mêmes les ont souvent.

Une étude réalisée en 2010 (http://tinyurl.com/q8w46ks) révélait que les conseillers ont davantage le biais de confiance excessive que les investisseurs institutionnels ou les individus.

Une autre étude américaine, publiée en 2012 (http://tinyurl.com/nc323ju), concluait que les conseillers ne tentent que très rarement de combattre des biais évidents dans la stratégie d’investissement de leurs clients. Dans ce type de biais se trouvait le fait de surpondérer une seule société ou de privilégier une tendance en vogue.

Des conseillers américains, rencontrés par des clients-mystères détenteurs de portefeuille fictifs (et biaisés pour la plupart), ne réussissaient pas à réorienter les clients vers une gestion plus saine de leur portefeuille.

Lors de près de la moitié des rencontres, les conseillers suggéraient d’investir dans des fonds communs à gestion active. Même le client-mystère «témoin», doté d’un portefeuille équilibré de fonds indiciels à faibles frais, se voyait poussé vers des stratégies plus coûteuses et potentiellement moins équilibrées.

C’est pourquoi le professeur Richard Guay affirme qu’il est crucial qu’un conseiller ait conscience de ses propres biais.

«C’est la première étape du processus, souligne-t-il. Mais souvent les gens sont plus aptes à détecter l’irrationalité chez les autres que chez eux.»

Avant d’investir, investiguez

Cela dit, Stéphane Chrétien, professeur au Département de finance de l’Université Laval, rappelle l’évidence, autrement dit que «les conseillers ne sont pas des psychologues».

D’ailleurs, même si ce n’est pas encore une pratique courante, il prédit que les tests en psychologie s’ajouteront bientôt aux tests de tolérance au risque auquel les conseillers soumettent leurs clients. «On s’en va vers ça», croit-il.

Une étude menée pour le compte de l’Autorité des marchés financiers en 2011 (http://tinyurl.com/ok26rdx) fournit une panoplie de questions qui permettent de cerner quelques-uns des biais les plus courants de leur client.

Pour détecter l’excès de confiance, un représentant peut demander au client d’évaluer ses propres compétences dans différents types de prévision.

Le document propose également une question pour déceler l’aveuglement, un biais qui porte le client à mettre en valeur ses bons coups et à mettre ses échecs sur le compte de la malchance. À quoi le client attribue-t-il son meilleur investissement en Bourse : à la chance, à sa fine analyse, à la bonne gestion de l’entreprise ou aux circonstances économiques du marché ?

Jean-Marc Suret, professeur à l’École de comptabilité de l’Université Laval et un des coauteurs de cette étude, croit cependant que même s’ils sont cernés, les biais de comportement sont difficiles à corriger.

«La connaissance des conséquences de leur conduite ou de leur consommation ne limite pas, par exemple, les comportements à risque de certains conducteurs ou fumeurs. La connaissance des proportions de mises conservées par Loto-Québec ou les casinos ne limite pas les comportements des joueurs», rappelle-t-il.

Selon Jean-Marc Suret, la réglementation est un bon moyen de réduire l’influence des biais.

«Dans le cas des biais du type préférence pour l’asymétrie, qui conduit les investisseurs à acquérir des titres très risqués en espérant acheter le prochain Google, il faudrait limiter l’accès de ces titres aux investisseurs qui n’ont pas les moyens de perdre la totalité de leur placement, propose-t-il. On peut aussi se demander s’il est sain de permettre l’inscription en Bourse de nombreux titres de très petite capitalisation. Dans beaucoup de pays, on interdit ce genre d’inscription essentiellement pour protéger les investisseurs.»