Ce gestionnaire a confié à Jacques Lussier : «Le problème, quand vous avez un rendement de 100 % et que votre actif quadruple en deux ans, c’est que vous ne savez pas nécessairement comment l’investir.»

Presque inévitablement, sa performance a fléchi, et de nombreux investisseurs ont retiré leur argent.

«De 1999 à 2008, son fonds était classé dans le premier quartile, note Jacques Lussier, mais de 2001 à 2010, il était dans le dernier quartile !»

Talent suspect

Ce sont les anecdotes de ce genre qui ont poussé Jacques Lussier, ex-chef des stratégies de placements chez Desjardins Gestion internationale d’actifs, à rédiger son livre (Bloomberg Press, 2013).

«Combien de personnes doivent leur réussite à une seule bonne décision dans leur vie, demande-t-il, une décision qui explique leur performance sur un horizon de 10 ans ?»

C’est pourquoi il en est venu à se méfier du «talent» des gestionnaires et de leurs prétentions à un savoir-faire unique.

«J’ai été engagé dans la recherche pendant 15 ans, ce qui m’a mené à rencontrer plus d’un millier de gestionnaires.

«J’ai eu des doutes. Un gestionnaire vous dit : « Ce qui me distingue, c’est X, Y et Z ». Mais vous avez entendu ce topo 30 fois auparavant. De telle sorte que vous vous demandez pourquoi vous paieriez 1,5 % du rendement alors que vous avez de la difficulté à percevoir la qualité distinctive de ce gestionnaire et sa véritable source de performance.»

Jacques Lussier en a conclu que la réussite d’un gestionnaire tient moins à son «talent unique» qu’à des éléments particuliers de son processus d’investissement, qu’il en soit conscient ou pas.

Or, quels sont ces éléments particuliers ?

Loin des indices

Un premier élément, peut-être le plus important : se tenir loin des grands indices de référence.

C’est ce qu’ont montré des études récentes, notamment celle de 2009 menée par deux professeurs de l’Université Notre-Dame et de Yale, How Active is Your Fund Manager? A New Measure That Predicts Performance, de Martijn Cremers et Antti Petajisto.

On y apprend que seulement 20 % des gestionnaires surperforment leurs indices de référence sur de longues périodes.

Et qu’ont en commun ceux qui brillent ? Leur portefeuille se distingue le plus de leur indice de référence.

«Plus les portefeuilles sont différents des cibles, plus ils performent», constate Jacques Lussier, qui va même plus loin : ceux qui gèrent leur portefeuille en tâchant de dévier le moins possible de leur cible «détruisent de la valeur en moyenne», tranche-t-il.

À quoi tient cette sous-performance de la gestion quasi indicielle ? Essentiellement, à la structure des grands indices de référence, composée selon le poids en capital des titres qui les composent.

«Dans un indice traditionnel, les titres relativement surévalués seront surpondérés, et vice versa. Ce n’est pas exactement une démarche rentable ! Les gestionnaires qui refusent de s’éloigner des indices de référence en répliquent l’inefficacité.»

Ce qui fait dire à l’auteur que «les grands indices sont inefficaces».

Viser la neutralité

Comment éviter cette inefficacité ?

Un deuxième principe nous fournit la réponse : il faut rendre son portefeuille neutre par rapport à l’indice, c’est-à-dire éliminer le prix des titres comme facteur déterminant du poids de chacun dans l’indice.

Les critères de répartition plus neutres peuvent prendre plusieurs formes : équipondération (donner le même poids à différentes variables) ou moyennes des poids historiques, recours à des variables comptables telles la valeur au livre, les flux de trésorerie, les dividendes et les ventes, le recours à un modèle fondamental de valorisation.

En fait, le critère d’évaluation n’a qu’une pertinence marginale, car l’important, c’est de s’éloigner de l’indice de référence, même si c’est de façon aléatoire, mais tout en maintenant un portefeuille diversifié.

De multiples analyses effectuées sur des milliers de portefeuilles simulés ont montré que plus un portefeuille s’éloigne de son indice, même de façon aléatoire, plus il accroît son rendement.

«Jusqu’à 66 % de la surperformance des meilleurs gestionnaires résulte d’un processus aléatoire, même s’ils n’en sont pas conscients», juge Jacques Lussier.

Diversification et rendement

Autre principe d’un bon processus d’investissement : la diversification efficace.

«Lorsque nous parlons de diversification, les investisseurs pensent à la gestion du risque et négligent l’impact de la diversification sur l’accroissement du rendement composé du portefeuille à long terme. Nous pourrions démontrer que les rendements que certains gestionnaires attribuent à l’expertise de gestion sont parfois le résultat d’un processus de diversification.»

Toutefois, pour y parvenir, avertit Jaques Lussier, il faut procéder à une diversification authentique.

«Par exemple, les gens croient qu’un portefeuille réparti à 50-50 entre des obligations et des actions leur assure une bonne répartition de risque, mais le risque réside à 85 % dans les actions.»

Une vraie distribution répartit statistiquement le risque entre des catégories d’actifs qui ont de faibles corrélations entre elles : obligations et actions, bien sûr, mais aussi produits de base et devises.

Quelle est la valeur de ces principes pour l’investisseur ?

«Je pense que c’est un livre merveilleux, un grand livre», juge Paul Fahey, vice-président, investissement chez NAV CANADA, à Ottawa.

«Jacques Lussier remet en question les fondements de la gestion de portefeuille et structure son argument d’une façon très convaincante. Il propose une avenue peu coûteuse. On peut réaliser ces stratégies pour quelques points de base seulement et créer un portefeuille très efficace.»

Bruce Grantier, gestionnaire de portefeuille à la retraite de Banque Scotia, n’en pense pas moins et a rédigé une évaluation du livre de Jacques Lussier pour le Journal of Management Investment, de Toronto.

Cependant, Bruce Grantier n’est pas d’accord avec l’idée de minimiser l’apport du talent, comme le fait Jacques Lussier.

«Le talent aide beaucoup, dit-il. Un gestionnaire comme Eric Sprott fait preuve de capacités d’analyse supérieures, et cela l’aide à dégager des situations en Bourse que personne d’autre ne repère.»

Néanmoins, le livre de Jacques Lussier obtient son adhésion.

«Je pense, dit-il, que le livre fournit le contenu, l’approche et le processus pour bâtir des portefeuilles surperformants.»