Un rapport du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) appelle à un meilleur encadrement de l’écoblanchiment climatique, à l’heure où les expressions « net zéro » et « carboneutre » sont de plus en plus utilisées par de grandes entreprises.
L’écoblanchiment climatique « est déjà foisonnant », selon le CQDE qui prévient qu’en raison de l’importance croissante que revêt la lutte au changement climatique pour les consommateurs et la faiblesse des règles pour les entreprises, les déclarations fausses ou trompeuses des compagnies concernant leur empreinte carbone « risquent de continuer de croître rapidement dans les mois et les années à venir ».
L’avocat Marc Bishai a participé au rapport du CQDE qui sera publié la semaine prochaine et dont La Presse Canadienne a obtenu un résumé.
« De plus en plus d’entreprises annoncent qu’elles vont atteindre la carboneutralité d’ici telle ou telle année, ou encore que leur produit est carboneutre. Après il faut être en mesure de vérifier ces déclarations pour savoir si elles sont fausses ou trompeuses, et pour ce faire, il faut se fier à un cadre juridique uniforme et robuste, mais actuellement, il y a des lacunes importantes dans le cadre juridique canadien et québécois », a indiqué Marc Bishai.
Le rapport souligne que les lois sur la protection du consommateur interdisent aux entreprises d’émettre des déclarations fausses ou trompeuses, mais ne traitent pas spécifiquement des déclarations liées au climat.
« Il n’y a pas de ligne directrice, il n’y a pas de règlement en ce moment qui détaille à quoi doit ressembler une déclaration climatique », a souligné Marc Bishai en ajoutant que des entreprises peuvent déclarer qu’elles seront carboneutres, sans présenter de plan de réduction de gaz à effet de serre (GES) ou sans même prouver qu’elles comptabilisent réellement leurs GES.
Obligation de divulgation
Entre autres recommandations, le CQDE suggère que les entreprises soient tenues de divulguer publiquement toutes les preuves sur lesquelles elles fondent leurs déclarations climatiques dès qu’elles rendent ces déclarations accessibles au public.
Le rapport recommande également que les organismes chargés de l’application de la loi, comme le Bureau de la concurrence du Canada et l’Office de protection du consommateur du Québec, « surveillent de manière proactive les déclarations faites par les entreprises plutôt que de se fier principalement aux plaintes ».
Questionné par La Presse Canadienne au sujet des recommandations du CQDE, le Bureau de la concurrence du Canada a indiqué qu’il ne pouvait pas se « prononcer sur le rapport du Centre québécois du droit de l’environnement », en précisant que « nous en prendrons connaissance une fois qu’il sera publié ».
La conseillère principale en communications du Bureau, Marie-Christine Vézina, a souligné que l’organisation prenait « les déclarations environnementales fausses ou trompeuses au sérieux ».
Dans un échange de courriels, Marie-Christine Vézina a tenu à indiquer que son équipe avait conclu récemment un accord avec Keurig Canada qui comprenait une pénalité de 3 millions de dollars (M$) « afin de résoudre les préoccupations relatives aux déclarations environnementales fausses ou trompeuses faites aux consommateurs ». Elle a aussi mentionné différents accords avec Volkswagen Group Canada, Audi Canada et Porsche Cars Canada, entraînant des pénalités de 17,5 M$, « en lien avec des déclarations environnementales fausses ou trompeuses qui ont été utilisées pour promouvoir certains véhicules équipés de moteurs diesel de 2,0 et 3,0 litres ».
Protéger les consommateurs
Mardi, le Bureau de la concurrence du Canada a organisé un sommet sur « La concurrence pour une croissance verte » auquel de hauts fonctionnaires d’autorités de la concurrence de l’Europe, des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada ont participé.
Lors du discours d’ouverture du sommet, le commissaire de la concurrence du Canada, Matthew Boswell, a signalé que l’écoblanchiment « est en hausse » et que « la promotion mensongère de produits « verts » nuit aux consommateurs en limitant leur capacité à prendre des décisions éclairées. Elle nuit aux entreprises qui se livrent à une concurrence loyale. Et elle nuit à l’environnement ».
Plusieurs des participants au sommet ont soulevé que la lutte à l’écoblanchiment demande beaucoup de ressources humaines et financières.
« En plus de traiter les plaintes des consommateurs, on passe beaucoup de temps à éduquer les entreprises sur leurs responsabilités », a indiqué Laureen Kapin, directrice adjointe de la protection internationale des consommateurs à la Commission fédérale du commerce des États-Unis.
Comme plusieurs autres participants, Laureen Kapin a également souligné l’importance de la collaboration entre pays pour échanger des informations afin de contrer l’écoblanchiment.
Des plans de carboneutralité peu crédibles
L’an dernier, un groupe de chercheurs de l’Université Oxford a publié une étude (Assessing the rapidly-emerging landscape of net zero targets) dans laquelle ils ont analysé les déclarations climatiques de 4000 pays, entreprises et gouvernements régionaux, qui, ensemble, émettent la majorité des GES à l’échelle de la planète.
L’équipe du chercheur Thomas Hale a constaté que sur les 769 entités qui ont des objectifs de carboneutralité, seulement 152 ont un plan crédible et « des critères robustes » pour atteindre leur cible.
Les chercheurs de l’Université Oxford ont indiqué que « les objectifs de carboneutralité couvrent désormais les deux tiers de l’économie mondiale, mais des objectifs de carboneutralité solides ne couvrent qu’environ 5 % ».