Il agissait récemment à titre de modérateur dans un débat organisé par l’Association CFA Québec qui posait la question : «Doit-on favoriser l’immobilier ou l’infrastructure pour les années à venir ?»
La réponse était prévisible : «Les deux», pour peu qu’on respecte une bonne diversification sectorielle et géographique.
Actifs chers
La première erreur que font les investisseurs dans le secteur des infrastructures est de payer trop cher, selon Pierre Anctil, président et chef de la direction de Fiera Axium Infrastructure, dont l’actif sous gestion s’établit à 800 M$.
Mathieu Goulet le confirme : «À la faveur de rendements totaux excellents en infrastructure ces dernières années, le marché a exercé une pression sur les prix des actifs qui ne sont plus aussi avantageux, et la prudence est de mise».
Selon les deux experts, cela s’est manifesté par des écarts importants entre la plus haute et la plus basse soumission des candidats à l’acquisition d’actif privatisé. Mathieu Goulet mentionne par exemple une différence de 1 G$ dans les offres pour un aéroport au Portugal.
Pierre Anctil observe une tendance positive pour l’infrastructure canadienne de taille moyenne à court terme, ainsi qu’un mouvement favorable sur les marchés des partenariats publics-privés américains.
Viser un horizon à long terme
Pierre Lalonde, vice-président principal chez Ivanhoé Cambridge, le bras immobilier de la Caisse de dépôt et placement du Québec, soutient que ce secteur évolue suivant des cycles plus ou moins réguliers.
Il faut viser un horizon à long terme et améliorer les revenus d’exploitation, dit-il.
Les immeubles de bureaux demandent actuellement une surveillance active, en raison des fluctuations dans l’offre et la demande.
Le marché résidentiel est à son avis plus stable, grâce au nombre plus élevé de locataires.
Rencontré durant le même événement, Frédéric Angers, responsable du placement alternatif au Régime de rentes du Mouvement Desjardins, ajoute que le phénomène de bulle touche plutôt les marchés des unifamiliales et des copropriétés.
Selon Pierre Lalonde, la vocation des centres commerciaux évolue, et fait plus de place à l’alimentation, à la restauration et au divertissement. Il les trouve particulièrement résilients (leurs revenus ont peu souffert de la crise de 2008-2009), et ce, malgré le développement du commerce en ligne.
Celui-ci crée des besoins dans les secteurs logistique ou industriel léger, d’après Pierre Lalonde : «Il n’y a pas assez d’offres d’immeubles appropriés dans certains pays».
Ivanhoé Cambridge, qui gère un actif de 42,2 G$, investit beaucoup aux États-Unis, où la reprise économique est plus forte.
En Europe, la société détient des propriétés recherchées, pendant que la récession a fait apparaître des «achats plus opportunistes».
Miser sur les projets stables
Frédéric Angers, qui investit dans les deux catégories d’actif, retient des leçons de 2008-2009 qu’il faut privilégier les projets d’infrastructure les plus résilients et les moins soumis aux impacts des conditions économiques, quitte à accepter un potentiel de profit moins élevé.
Il reprend à son compte l’avertissement de Pierre Anctil quant à l’importance de la stabilité du revenu. Il ne faut pas considérer de la même manière deux centrales électriques jumelles si l’une vend son énergie à un prix fixé pour 20 ans et que l’autre écoule sa production selon le prix du marché au comptant, ou marché spot.
À cause des effets du régime fiscal américain, Mathieu Goulet est plus attiré vers l’infrastructure en Europe, où les conditions économiques ont créé des occasions d’affaires.
En immobilier, Frédéric Angers considère que le «rendement courant doit compter pour les deux tiers du revenu», et Mathieu Goulet favorise le marché canadien comme rempart à l’inflation et pour réduire le risque de devise.
Options pour les clients
Une position prise par un gestionnaire de caisse de retraite se chiffre souvent en dizaines de millions de dollars. C’est davantage quand il s’agit d’investir directement dans un projet d’infrastructure.
Pour les particuliers, les actions de sociétés liées aux pipelines, à la distribution de gaz ou à la production d’énergie renouvelable font partie des options qui permettent de prendre une participation en infrastructure.
Parmi les sociétés cotées à la Bourse de Toronto, Frédéric Angers mentionne par exemple Enbridge, Alterra, Valener (Gaz Metro et parcs éoliens) et Innergex.
Quelques fonds négociés en Bourse (FNB) sont spécialisés dans ce domaine à l’international.
À la Bourse de New York (NYSE), la référence souvent citée par les experts est le iShares global infrastructure ETF (IGF). Son pendant canadien est le CIF.
À la Bourse de Toronto (TSX), le FNB BMO infrastructures mondiales (ZGI) cherche à refléter l’indice Brookfield Global Infrastructure (Amérique du Nord).
Au Canada, les conseillers en placement peuvent aussi offrir un fonds mondial d’infrastructure géré par le géant australien Macquarie et le Brookfield Infrastructure Partners (BIP.UN).
Dans le secteur immobilier, selon Mathieu Goulet, les fiducies de placement immobilier (FPI) offrent la stratégie la plus simple, même si en 2008, elles ont réagi à la baisse plus rapidement que leur marché sous-jacent.
L’éventail des FPI est à son avis suffisamment étendu pour permettre de bien diversifier un portefeuille dans l’immobilier.
Certaines sociétés de fonds communs de placement (FCP) proposent des portefeuilles spécialisés dans les infrastructures et l’immobilier, et plusieurs compagnies d’assurance vie en offrent sous forme de fonds distincts.
Au moins une famille de FCP, Investissements Renaissance, propose pour ces deux catégories des options qui comportent une exposition aux titres de sociétés établies dans plusieurs pays.
Les gestionnaires d’un des fonds d’infrastructure, situés en Australie, soulignent sa «corrélation plus faible par rapport aux catégories d’actif traditionnelles» et la protection qu’il offre contre l’inflation.
Ceux du fonds immobilier, à New York, affirment que leur approche «complète avantageusement un portefeuille de titres canadiens et de titres d’infrastructures mondiaux».
Les gestionnaires institutionnels consultés regrettent cependant qu’en raison de la volatilité des marchés boursiers, ces outils de placement ne puissent pas donner autant de stabilité à un portefeuille individuel que les prises de participation directes effectuées par les grandes caisses.