Les conseillers attendent encore leur tour malgré des demandes répétées au gouvernement du Québec. Et chaque nouvelle profession qui s’ajoute à la liste fait grimper leur frustration d’un cran.
Peut-on les blâmer ? Les avantages de l’incorporation sont nombreux : meilleur contrôle du mode de rémunération (salaire ou dividende), possibilité de fractionner ses revenus avec son conjoint… On peut comprendre pourquoi les conseillers y tiennent tant, d’autant plus que leurs confrères conseillers en sécurité financière y ont droit.
Nombre d’entre eux y voient d’ailleurs une forme de concurrence déloyale, et ceux qui détiennent plusieurs permis se plaignent d’avoir à séparer leurs revenus et leurs dépenses en fonction du produit vendu, en plus d’avoir à produire deux déclarations de revenus.
«Le gouvernement nous répond que si nous voulons nous incorporer, c’est parce que nous faisons trop d’argent !» confiait récemment à Finance et Investissement Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF).
Or, tous les conseillers ne roulent pas en voiture de luxe. En fait, selon le dernier Top 11 des cabinets multidisciplinaires publié chaque année dans notre journal, moins de 20 % des conseillers en épargne collective ont un revenu brut de plus de 150 000 $ par an après déduction de leurs dépenses.
La majorité d’entre eux (56 %) ont un revenu inférieur à 100 000 $, et 20 % gagnent moins de 50 000 $ par an… Nous sommes loin des richissimes individus qui tentent de fuir leurs responsabilités fiscales.
Certes, les conseillers en placement font généralement plus d’argent (61 % gagnent entre 125 000 et 500 000 $ par an, d’après le dernier Top 9 des courtiers québécois), mais ils sont peu nombreux au Québec (environ 4 600). Voilà qui pèse bien peu dans la balance, en comparaison des 23 000 médecins québécois qui ont obtenu le droit de s’incorporer en 2007 et dont le salaire moyen frise les 300 000 $ par an.
Les conseillers qui militent en faveur de l’incorporation n’en démordent pas : le fait d’être empêchés de se constituer en société leur coûte cher, au point de menacer l’avenir du secteur de l’épargne collective.
Ils sont passés tout près du but avec le projet de loi 58, qui modifiait la Loi sur les valeurs mobilières (LVM) pour permettre l’incorporation des conseillers inscrits. Déposé par l’ancien ministre des Finances Nicolas Marceau, le projet de loi est mort au feuilleton après la victoire du Parti libéral en 2014. Depuis, la question n’est plus une des priorités du gouvernement.
Le débat a pris un nouvel élan en novembre dernier, lorsque l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) a suggéré de permettre à ses membres le versement direct de commissions à une société par actions.
L’Autorité des marchés financiers (AMF) n’a pas tardé à réagir en publiant en janvier un avis rappelant à ses courtiers inscrits qu’il leur est interdit de verser une rémunération à une société non inscrite. Autrement dit, le conseiller aura beau s’incorporer, il n’aura pas le droit de percevoir sa rémunération en valeurs mobilières par l’intermédiaire de son entreprise ! L’AMF fermait ainsi la porte de façon détournée à l’incorporation.
La balle est donc dans le camp du gouvernement du Québec. Presque partout ailleurs au Canada, les conseillers en épargne collective ont le droit de s’incorporer. Qu’attend le Québec ?
L’argument le plus souvent soulevé en défaveur de l’incorporation est la protection de l’investisseur. On craint que la responsabilité du conseiller ne soit limitée en raison du statut de personne morale conféré par l’incorporation. Or, le projet de loi 58 prévoyait déjà des dispositions qui empêchent un individu de rejeter la responsabilité de ses fautes professionnelles sur sa société. Rappelons que des dizaines d’ordres professionnels ont réussi à bien encadrer l’incorporation de leurs membres sans éluder la protection du public.
Une loi sur l’incorporation aurait aussi l’avantage de clarifier le flou entourant une pratique répandue dans l’industrie, et qui consiste pour les conseillers en sécurité financière à faire passer dans leur société d’assurance les dépenses liées aux ventes de fonds communs.
Bref, le fruit est mûr. Dans un contexte où les conseillers doivent assumer indirectement des coûts de conformité de plus en plus élevés, permettre l’incorporation pourrait leur donner un peu d’air. Plusieurs d’entre eux se voient forcés de joindre de grands groupes financiers, faute de moyens, risquant ainsi de compremettre leur indépendance. Cela vaut-il mieux pour la protection de l’investisseur ?
L’équipe de Finance et Investissement