Cette tendance n’épargne pas le Canada et encore moins le Québec, où la baisse de popularité des marchés boursiers est même plus prononcée que dans le reste du pays. Seulement 11 sociétés québécoises se sont inscrites à la cote de la Bourse de Toronto (TSX) au cours des cinq dernières années, dont aucune en 2016. Bombardier Produits Récréatifs (BRP), Stingray et Lumenpulse figurent parmi les rares entreprises à avoir fait leur entrée, tandis que le fabricant de semi-remorques Manac a préféré racheter ses actions pour s’en retirer et redevenir une entreprise privée.
Résultat : le nombre de sociétés québécoises cotées en Bourse au Canada est en déclin constant depuis la crise financière et économique de 2008, indique l’Autorité des marchés financiers (AMF). Ce nombre a chuté de 322 (2008) à 195 (2016), et cette baisse est particulièrement marquée à la Bourse de croissance TSX. Aujourd’hui, même si le poids économique du Québec au Canada est d’environ 20 %, les entreprises québécoises ne représentent plus que 8,7 % des sociétés canadiennes inscrites en Bourse.
«C’est une situation préoccupante. Un grand nombre d’entreprises se privent d’un mode de financement qui peut notamment leur permettre de faire des acquisitions ou de croître plus rapidement. Il en va de même de la création de richesse à long terme pour une société», commente Michel Magnan, professeur à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia et co-auteur d’une étude sur le premier appel public à l’épargne et les sociétés québécoises.
Michel Magnan appuie ses propos en citant en exemple Alimentation Couche-Tard, CGI ou encore Jean Coutu qui, grâce aux appels publics à l’épargne, sont devenues des entreprises d’envergure au Québec ou à l’échelle internationale et ont même donné naissance à l’expression Québec Inc.
L’impact sur Montréal comme place financière est aussi en cause. «L’expertise offerte par des équipes d’avocats, de comptables ou de spécialistes en financement s’étiole et entraîne un affaiblissement de l’écosystème financier au profit de Toronto», constate Mario Albert, directeur général de l’organisme Finance Montréal.
Abondance du financement privé
Plusieurs facteurs auraient contribué à ce déclin, constate le Groupe de travail sur le déficit d’inscriptions en Bourse des sociétés québécoises, dans son rapport intitulé L’inscription en Bourse : le maillon faible de l’écosystème québécois du financement des entreprises, publié en juin 2016.
Les nombreuses sources de financement offertes par des fonds d’investissement privés et publics au Québec expliquent en partie le moindre recours aux marchés boursiers des entreprises pour combler leurs besoins en capital. La taille croissante de la Caisse de dépôt et placement du Québec, de Desjardins Entreprises Capital régional et coopératif, des fonds de travailleurs de la FTQ et de la CSN, entre autres, ou encore l’émergence d’investisseurs comme Alexandre Taillefer et de nombreux anges financiers, témoignent de cette nouvelle alternative aux PAPE.
«La progression de notre industrie du capital de risque fait l’envie dans plusieurs autres territoires», indique le Groupe de travail, précisant que 10 G$ seraient investis annuellement au Québec en capital-actions et en quasi-capital-actions dans quelque 650 rondes individuelles de financement.
La part moyenne des investissements en capital de risque en pourcentage du PIB, tous stades et tous secteurs confondus, s’élevait ainsi à 0,24 % au Québec, par rapport à 0,23 % aux États-Unis, 0,21 % en Israël et 0,14 % dans l’ensemble du Canada, selon le rapport du Groupe de travail.
L’abondance de ce capital ne serait toutefois pas suffisante. «Les fonds d’investissement permettent d’atteindre une certaine taille mais, sauf de rares exceptions, on ne peut pas compter sur ce type de financement pour créer des entreprises de grande taille ayant la maturité pour concurrencer d’autres sociétés dans le monde», estime Mario Albert.
Autre constat : la concentration grandissante des gestionnaires de portefeuille au Canada au sein de quelques institutions financières d’envergure et la distance accrue entre les entrepreneurs et ces gestionnaires principalement situés à Toronto.
«Pour une grande banque, c’est plus difficile et moins intéressant d’agir comme courtier pour un financement de petite taille», fait valoir Louis Doyle, directeur général de Québec Bourse. Cette association, qui regroupe une cinquantaine de sociétés ouvertes québécoises, a été lancée en mars 2016 pour valoriser les marchés boursiers.
La disparition des petits courtiers québécois spécialisés en PME, qui démontraient un intérêt particulier pour les émissions de plus petite taille, est aussi soulignée. «Un entrepreneur aura moins d’intérêt envers la Bourse s’il y a moins de professionnels en courtage pour parler de financement public et d’alternative aux capitaux privés», estime Louis Doyle, qui cumule plus de 30 ans d’expérience dans les marchés des capitaux.
MICA Services financiers, qui agit comme courtier sur le marché dispensé, tire profit de la situation. «Nous sommes régulièrement sollicités par des sociétés qui veulent se financer plus simplement et modestement», dit son président Gino-Sebastian Savard. Mais la faiblesse des dossiers et le niveau de risque élevé l’incitent rarement à accepter le projet.
Louis Doyle, ancien vice-président, Montréal, de la Bourse de croissance TSX, de 2001 à 2015, croit aussi que le déclin des inscriptions de sociétés québécoises est une conséquence à long terme du transfert du marché des actions de la Bourse de Montréal lors de la restructuration de 1999.
Enfin, les coûts élevés de l’inscription en Bourse, les tracas liés à la publication des états financiers et la pression exercée par les actionnaires constitueraient également un frein.
Des pistes de solution
Le Groupe de travail propose, entre autres, la mise en place d’un nouveau programme simplifié de type régime d’épargne-actions (REA) pour redynamiser les inscriptions de sociétés québécoises en Bourse. Cette formule devra toutefois être «plus simple à gérer et à comprendre, tant pour les investisseurs que pour le gouvernement, que la dernière mouture qui a connu des ratés», prévient Michel Magnan.
L’amélioration de l’écosystème québécois du financement public passe aussi par une plus grande présence de courtiers et d’analystes financiers qui s’intéresseraient aux PME québécoises. «Une plus grande visibilité incitera les investisseurs à en parler à leurs conseillers qui, de leur côté, s’intéresseront davantage aux PME québécoises qui ont une plus petite capitalisation», souligne Louis Doyle.
Le Groupe de travail propose d’inciter les investisseurs institutionnels à mettre en place un commissionnement favorisant les analystes de PME publiques qui sont établis au Québec. Il suggère aussi d’adopter des mesures fiscales qui encouragent l’embauche d’analystes établis au Québec et qui se consacrent au marché des PME publiques.
Le Groupe de travail recommande aussi l’allègement du cadre réglementaire, sous le leadership de l’AMF, de même que la simplification des exigences comptables pour les PME publiques. Interpellée à cet égard, «l’Autorité a toujours été, et demeure, soucieuse des exigences que le cadre réglementaire applicable impose aux sociétés inscrites en Bourse», souligne son porte-parole Sylvain Théberge. L’organisme précise que les ACVM prévoient tenir au printemps une consultation relative à certaines options pouvant réduire le fardeau réglementaire applicable aux entreprises inscrites en Bourse.
Il reste que «le marché a changé et on ne retrouvera pas le même niveau d’activité qu’avant. Mais qu’il y ait moins de PAPE, c’est une chose, alors que pas du tout, c’est anormal», constate Louis Doyle.