Finance et Investissement (FI) : Comment abordez-vous votre mandat de président du conseil d’administration de l’IQPF ?
Sylvain B. Tremblay (S.B.T.) : Je prends un navire qui vogue déjà sur l’océan et auquel j’aurai à faire faire un petit bout de chemin. Je vais donc travailler en appuyant la mise en oeuvre de la planification stratégique qui a été préparée par la permanence de l’IQPF. Ce plan détermine ce qui doit être fait au cours des trois prochaines années et inclut des thèmes comme la protection du public, la relève, la bonne gouvernance, de même que l’avancement de la profession.
La reconnaissance officielle de la profession de pl. fin. est un enjeu majeur sur lequel je vais me concentrer très sérieusement au cours de la prochaine année. Je ne dis pas que mes prédécesseurs n’ont pas fait ce qu’il fallait faire, au contraire, et nous nous sommes rapprochés de notre objectif. J’ai toutefois bien l’intention de canaliser les efforts du conseil en vue d’obtenir éventuellement une reconnaissance officielle.
FI : Faites-vous référence à la création d’un ordre professionnel ?
S.B.T. : Ultimement, oui.
FI : Lors du dépôt du budget 2016-2017, le ministre des Finances Carlos Leitao a annoncé une réforme législative globale du secteur financier, qui s’articulerait à travers un projet de loi omnibus qui serait déposé cet automne. Toutefois, rien n’indique que cette réforme s’accompagnerait de la création d’un nouvel ordre professionnel.
S.B.T. : La révision de la Loi 188 était une nécessité. Au départ, cette loi devait être révisée aux cinq ans et elle n’avait pas été revue depuis 15 ans. Elle ne tenait pas compte, par exemple, des nouvelles technologies.
Ce que nous aimerions, c’est que cette loi s’appelle désormais Loi sur la distribution des produits financiers et non plus Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF). Nous croyons que la notion de services devrait être complètement exclue de cette loi. Dans cette perspective, nous pourrions éventuellement obtenir un sauf-conduit menant à la création d’un ordre professionnel. C’est pourquoi, bien qu’il soit plutôt rare que nous participions à des consultations, nous avons saisi l’occasion lors de la révision de la LDPSF pour nous faire entendre, car l’IQPF n’était pas du tout mentionné dans le rapport.
FI : L’Autorité des marchés financiers (AMF), l’Ordre des administrateurs agréés du Québec (ADMA) et l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (CPA) ont le pouvoir de retirer le titre de pl. fin. Le moment est-il venu selon vous de remettre à l’ordre du jour l’encadrement du volet conseil ?
Jocelyne Houle-LeSarge : Tout à fait ! Le propre d’un professionnel est d’être jugé par ses pairs, et ce n’est pas la situation actuelle. Nous ne disons pas que les organismes concernés font mal leur travail, mais nous réclamons que les pl. fin., qui sont des professionnels, puissent s’autoréglementer, et cela, ça passe par le système des ordres professionnels.
Nous pourrions ainsi boucler la boucle en ce qui a trait à notre mission de protection du public. Pour l’instant, nous ne pouvons y contribuer qu’à travers l’information et la formation.
FI : En 2006, l’IQPF a choisi d’imposer le baccalauréat comme exigence minimale de formation, et depuis, a sans cesse cherché à rehausser la qualité de la formation requise. Comment comptez-vous poursuivre cette évolution en matière de formation ?
S.B.T. : Il ne faut pas prétendre que nous sommes parfaits, mais je pense que la formation que nous dispensons est tout à fait adéquate, bien que certains aspects pourraient être améliorés. Maintenant, il faut comprendre que la formation et l’apprentissage s’inscrivent dans un processus qui se fait généralement au quotidien par le professionnel.
De fait, il est très difficile de maîtriser les sept domaines de la planification financière et il y aura toujours un ou deux domaines qui seront mieux maîtrisés que les autres. Par exemple, si vous me demandez de solutionner certains problèmes en planification financière, bien humblement, ma concentration étant davantage en gestion de portefeuille, certains aspects fiscaux peuvent m’échapper. Toutefois, mon réseau se compose d’une batterie de professionnels qui m’aident à régler les problèmes que mes clients sont susceptibles de rencontrer tout au long de leur vie. On parle d’ailleurs toujours de planification financière en sous-entendant l’utilisation d’un réseau, et la plupart des pl. fin., moi compris, travaillons à l’intérieur d’un réseau.
FI : Selon vous, à quels principaux défis les pl. fin. et les gens de l’industrie sont-ils susceptibles d’être confrontés au cours des prochaines années ?
S.B.T. : Il y a d’abord toute l’histoire de la mise en oeuvre de la phase deux du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2). Dans le cas des pl. fin qui distribuent des produits et services financiers, ça sera un défi de s’habituer à fonctionner avec un système beaucoup plus transparent. Je ne dis pas que les gens cachaient quoi que ce soit, mais ce sera toute une gestion lorsque les 1 000 ou 2 000 clients d’un conseiller recevront un état de compte qui affiche un rendement négatif, incluant une divulgation de commission qui pourrait alors paraître un peu extravagante. Cela risque de déclencher des questions et des appels à la fin d’un trimestre. Si l’on en juge sur ce qui s’est déroulé en Angleterre à la fin des années 1990, il se peut que le marché canadien se consolide au cours des prochaines années.
Le vieillissement de la population est un autre défi d’importance. Il y a quand même pas mal de pl. fin. au Québec, mais probablement pas suffisamment pour suffire à la tâche. Je ne crois pas qu’un pl. fin. puisse travailler avec 3 000 clients.
La technologie reste toutefois le principal défi. Que l’on pense aux Apple Pay de ce monde, à l’émergence continue des robots-conseillers et à l’utilisation croissante de la technologie blockchain, qui permet de passer outre l’intermédiation financière qui a toujours été le gagne-pain des banques. Un pl. fin. qui n’est pas à l’aise avec la technologie va devoir ramer, que ce soit pour gérer ses honoraires ou ses comptes clients, parce que de plus en plus d’acteurs de l’industrie se révèlent extrêmement efficaces avec ces outils. Néanmoins, les pl. fin. me paraissent bien positionnés pour tirer leur épingle du jeu, car c’est en valorisant la proximité avec leurs clients, notamment en embauchant plus de pl. fin., que les banques cherchent à contrer la menace suscitée par la fintech.
FI : Qu’est-ce qui vous a amené au secteur financier ?
S.B.T. : J’ai toujours été attiré par les finances personnelles et même à l’université, les finances personnelles me fascinaient. Puis, j’ai fait la rencontre de Robert Lafond. Il s’agit d’un homme qui a toujours été précurseur dans son domaine. Il était présent lors de la création de l’IQPF et il l’a même présidé. Déjà à l’époque de notre rencontre, qui remonte à 1986, il avait mis en place un service de planification financière personnelle au sein de son entreprise et je m’y suis beaucoup investi.
FI : Quel projet espérez-vous avoir terminé au terme de votre mandat ?
S.B.T. : Je vous dirais : la reconnaissance de l’IQPF à titre d’ordre professionnel, mais je ne veux pas être déçu. Donc, à la fin de mon mandat, j’aimerais avoir fait en sorte que les pl. fin. aient amélioré leur compréhension de la finance comportementale, au point de bien maîtriser cette approche afin qu’ils puissent eux-mêmes en promouvoir une meilleure compréhension autour d’eux.