Plus tard cet automne, le plus important gestionnaire indépendant du Québec, avec 128G$ en gestion dévoilera un nouveau plan stratégique qui le mènera jusqu’en 2022.
Une fois que le financier aura atteint la marque de 200G$, soit 55% de plus que les 128,9G$ de 2017, le PDG se dit disposé à passer le flambeau à un successeur, tout en conservant le contrôle du conseil d’administration et un bon bloc des actions, a-t-il confié en marge de l’évènement annuel tête à tête de CFA Montréal.
Quelques jours après la vente de Jarislowsky Fraser à la Banque Scotia pour 950 millions de dollars, la question de succession se pose pour tout gestionnaire de fonds à propriété québécoise.
«Je ne veux pas vendre, mais éventuellement je pourrais vouloir diversifier mon patrimoine. Si mes associés voulaient acheter de mes actions, je leur vendrais. En même temps, Fiera est une société ouverte et il faut respecter les règles du jeu. Si BlackRock arrivait avec une offre de 3,1 G$ par exemple (par rapport à la valeur de Fiera de 1,6G$), je pense que beaucoup d’actionnaires auraient faim», a-t-il évoqué aux convives réunis, au centre-ville de Montréal.
En tant que propriétaire-opérateur, le premier choix est d’assurer la pérennité de l’entreprise telle quelle, mais «on ne peut pas garantir que c’est ce qui va se passer», a renchéri le père de cinq enfants.
Deux cadres pourraient le remplacer au pied levé «si un autobus le happait demain», a-t-il répondu à l’animateur Miville Tremblay, directeur principal et représentant régional de la Banque du Canada.
À moyen terme, M. Desjardins élargirait ce cercle de prétendants à quatre ou cinq professionnels, sans les nommer.
Pour arriver à ses fins, le gestionnaire de portefeuille devra ajouter un actif de 25 à 30 milliards à son tableau de chasse par acquisition, indique le patron qui dit passer dix heures par semaines sur les dossiers d’acquisition. Le reste proviendra de la croissance interne d’environ 5% par année.
Fiera mène toujours une douzaine de dossiers de front qui sont à divers stades d’avancement.
«Pour la Londonienne Charlemagne Capital, spécialisée dans les marchés émergents et frontières, on s’est fréquenté 14 à 15 mois avant de se marier», a raconté M. Desjardins.
Fiera a préparé son bilan à de nouveaux achats en récoltant 169M$ d’une émission d’actions à 13$ chacune et de débentures convertibles, au grand soulagement de certains membres du conseil d’administration.
Ce placement dilue les bénéfices par action de 7%, mais allège l’endettement qui passe de 3,6 à 2,2 fois le bénéfice d’exploitation, a précisé l’analyste Scott Chan de Canaccord Genuity, en janvier.
Déjà très diversifiée avec 35 équipes de gestion et 100 stratégies de placement distinctes, Fiera aimerait ajouter à certaines de ses spécialités par région afin d’offrir une solution globale aux caisses de retraite, comme elle le fait déjà pour celle de la Banque Laurentienne.
« La diversification est essentielle, car en tout temps 3 ou 4 gestionnaires peuvent se casser la gueule. Ça fait partie de la réalité des marchés financiers »
Fiera vient par exemple d’ajouter un fonds des marchés émergents de 1,7G$US à l’offre de sa filiale américaine.
Fiera aimerait aussi greffer la gestion d’obligations des marchés émergents à Fiera Europe et la gestion d’obligations du Trésor américain à sa gestion de 12 milliards de dollars d’obligations municipales non imposables à sa filiale américaine.
La force d’attraction des placements alternatifs
Depuis cinq ans, la stratégie de diversification de M. Desjardins pousse Fiera vers les placements alternatifs qui sont de plus en plus populaires auprès des investisseurs craignant que la Bourse et les obligations deviennent moins rentables. Fiera a lancé ses propres fonds, formé des partenariats et réalisé des acquisitions.
«Les actions et les obligations sont de simples commodités. Pour espérer ajouter de la valeur et obtenir des honoraires de performance, il faut aller dans les segments de marchés les moins efficients où il y a aussi moins de concurrence», a expliqué celui qui gère encore les portefeuilles de 15 clients.
La Bourse peut offrir des rendements de 6 à 8%, mais le risque à la baisse est de l’ordre 40 à 45% après huit ans de gains, a-t-il ajouté. Fiera vise des rendements de 7,5 à 8,5% dans les infrastructures (dont 9,5% dans l’énergie renouvelable et 7% dans les petites centrales hydroélectriques), de 7,5 à 8% dans l’immobilier et de 8% avec des stratégies alternatives de revenu fixe.
Le créneau des prêts privés est l’une de ces avenues rentables à exploiter. Fiera Financement Privé, dont les prêts financent surtout la construction, des projets immobiliers et les entreprises à court terme, administre aussi un fonds de 40M$ qui prête directement aux emprunteurs américains en utilisant les plateformes en ligne, à l’image de celle de Lending Club.
La filiale d’investissement privé Fiera Comox investit dans l’agriculture en s’alliant à des fermiers-opérateurs. Son fonds vient notamment d’acheter une érablière au Vermont et une énorme ferme laitière en Nouvelle-Zélande.
«Comox n’est pas encore rentable, car nous et notre partenaire Antoine Bisson-McLernon y injectons encore du capital, mais ce sera un coup de circuit d’ici 4 à 5 ans», a assuré M. Desjardins qui vise un rendement de 9%, après les frais, dans ce créneau
Interrogé sur le prix des actifs alternatifs que de très gros acteurs reluquent, M. Desjardins a rétorqué
La société aimerait faire croître les placements alternatifs à 10% de son actif en gestion, par rapport à 6% aujourd’hui.
Interrogé par M. Tremblay sur «l’illusion de la volatilité moindre» qu’offrent placements alternatifs qui ne se négocient pas en Bourse en temps réel, M. Desjardins a répliqué que ces actifs sont justement à l’abri des émotions des investisseurs.
Bien que les placements alternatifs soient très courus par les caisses de retraite ainsi que les Brookfield Asset Management et les BlackRock de ce monde, les prix demandés ne sont pas exorbitants pour les actifs de petite et moyenne taille que privilégient ses gestionnaires.
Les fonds communs que gère Fiera pour son actionnaire la Banque Nationale pèsent peu dans la balance, mais la banque devra décider ces jours-ci si elle prolonge l’entente de gestion jusqu’en 2022 ou le résilie et verse les honoraires prévus au contrat. La filiale Gestion de portefeuille de Natcan de la Banque Nationale détient 20,8% des actions en circulation.