Explosion des commandes
Habituellement, les cycles de l’aérospatiale épousent assez bien ceux de l’ensemble de l’économie et s’étendent sur une dizaine d’années, précise Cameron Doerksen, analyste à la Financière Banque Nationale.
Toutefois, l’industrie serait présentement «emportée dans un supercycle», selon Richard Aboulafia, vice-président, analyse, chez Teal Group, à Washington.
«Une grande partie de ce supercycle tient à la montée des marchés émergents, notamment la Chine, dit-il. Mais une plus grande partie est liée aux circonstances exceptionnelles des prix très bas du pétrole et des taux d’intérêt qui écrasent les coûts du capital. Nous venons de passer 12 années remarquables.»
Et ce cycle n’est pas près de finir, croient Richard Aboulafia et Cameron Doerksen. Il est alimenté par les carnets de commandes bien garnis des deux vedettes de l’aéronautique commerciale, Boeing et Airbus. Ensemble, ces fabricants ont des commandes de plus de 11 000 aéronefs, qui leur assurent du travail pour les huit prochaines années.
Selon un rapport de Deloitte, la production d’avions commerciaux atteindra 1 420 unités en 2016, ce qui représente une hausse de 45 % par rapport à il y a cinq ans. Et cette ascension ne s’arrêtera pas. En 2020, le volume annuel atteindra 1 581 aéronefs, et en 2031, il passera le cap des 2 000 unités, une hausse de 40 % par rapport à 2016 (http://bit.ly/1Zgto68).
Cameron Doerksen souligne que l’aérospatiale constitue un secteur de «croissance cyclique, où chaque sommet du cycle est plus haut que le précédent, et où chaque creux est moins profond».
Pas d’aubaine particulière
Bien que l’aérospatiale soit l’un des principaux secteurs manufacturiers du Canada, le secteur ne présente qu’une demi-douzaine de titres en Bourse et ne constitue qu’une petite partie des actifs des fonds communs de placement. D’ailleurs, parmi les 204 entreprises présentes au Québec, seulement trois sont inscrites en Bourse : Bombardier, CAE et Héroux-Devtek.
Pour bénéficier d’une offre plus substantielle de titres, il faut donc étendre sa sélection à l’international, ce que la plupart des gestionnaires des fonds figurant dans notre tableau n’hésitent pas à faire en allant piger aux États-Unis, en Europe et en Corée du Sud.
Actuellement, le secteur ne semble présenter aucune aubaine particulière.
Selon des chiffres avancés par Cameron Doerksen, le ratio cours/bénéfice, tant des grands constructeurs d’avions (Airbus, Bombardier) que des fournisseurs (Héroux-Devtek, CAE), s’établit en moyenne à 17, au même niveau que celui du marché en général. Le constructeur Boeing fait bande à part avec un ratio de 25. Par ailleurs, le ratio moyen est plus élevé du côté des fabricants de systèmes militaires (General Dynamics, Northrop Grumman) : 19,5.
Airbus a l’avantage
L’industrie se caractérise par la domination de deux grands acteurs, Boeing et Airbus. Une situation qui plaît à un investisseur comme Chuk Wong. «Ça veut dire un meilleur contrôle des prix», note-t-il.
Le portefeuilliste accorde sa faveur à Airbus. Il en aime plus particulièrement le ratio cours-bénéfice de 9 projeté pour 2018, alors que celui projeté pour Boeing sera de 16.
«Le modèle A320 d’Airbus se porte très bien et a bénéficié de nombreuses commandes lors des récents salons internationaux, indique Chuk Wong. Il a de meilleurs résultats que le Boeing 737. Évidemment, les deux constructeurs sont très proches sur le plan technologique, mais Airbus peut être souvent avantagé par les cours euro/dollar. Un dollar américain fort favorise Airbus.»
Chuk Wong affectionne aussi le titre de Rolls-Royce, qui a connu des déboires au cours des dernières années dans ses activités de défense et de jets d’affaires. «Toutefois, la société a entrepris une restructuration et a mis en place d’importantes mesures de réduction de coûts. Je crois que son titre va bientôt devenir attrayant», dit-il.
Bombardier se replace
Loin derrière ces deux colosses, la vedette québécoise, Bombardier, reprend du poil de la bête, selon Richard Aboulafia.
Il y a deux ans à peine, Richard Aboulafia ne croyait pas que l’entreprise pourrait s’en tirer. Le constructeur se butait à trop d’obstacles.
Selon lui, Bombardier arrivait sur le marché des avions de 100 à 150 passagers avec un appareil – le CSeries – qui se distinguait trop peu. Son originalité tenait essentiellement à son moteur construit par Pratt & Whitney, qu’on allait trouver sur les avions de concurrents, dont l’A319neo d’Airbus.
Richard Aboulafia jugeait alors peu probable que les grandes compagnies aériennes voudraient acquérir un modèle totalement nouveau qui exigerait une mise à niveau complète de leur soutien technique.
De plus, Bombardier n’avait pas les reins assez solides pour offrir les rabais nécessaires afin de tenir tête à Airbus et Boeing, qui bénéficient d’importantes économies d’échelle et sont déterminés à bloquer l’entrée de Bombardier dans leur marché.
Or, Richard Aboulafia voit maintenant les perspectives de Bombardier d’un autre oeil. Le moteur de Pratt & Whitney, contre toute attente, rencontre toutes sortes de problèmes de surchauffe et de démarrage sur les appareils d’Airbus, alors «qu’il se comporte beaucoup mieux sur le CSeries, dont la conception a été optimisée pour ces moteurs», souligne le vice-président de Teal Group. La gamme Neo d’Airbus n’est composée que d’anciens modèles retouchés.
L’élément le plus positif pour Bombardier, c’est l’arrivée d’Alain Bellemare au poste de président et chef de la direction, juge Richard Aboulafia,
«Il est remarquable ! dit-il. Je n’ai jamais vu un tel revirement. Alain Bellemare a tout fait de la bonne façon, alors qu’auparavant, tout était fait de la mauvaise façon. Il comprend le besoin d’offrir des rabais. À présent, il ne reste plus qu’à obtenir l’aide d’Ottawa. Je crois que le gouvernement Trudeau n’aura pas le choix.»
Cameron Doerksen partage cet optimisme : «Bombardier est en meilleure position qu’il y a un an. Son avion s’est comporté comme promis, et les commandes faites par de grands clients, comme Air Canada et Delta, au cours de la dernière année ont donné sa légitimité au CSeries.»
Malgré l’optimisme de ces deux analystes, un investisseur comme Jason Hornett, vice-président et portefeuilliste chez Gestion de placements Franklin Bissett, ne mise pas sur Bombardier – pour l’instant. «Les chiffres de Bombardier sont encore trop pauvres, juge-t-il. Leur bêta est très haut, les bénéfices sont très variables et pratiquement inexistants pour l’instant.»
Parmi les titres canadiens, sa préférence va à MacDonald, Dettwiler and Associates (MDA), de Colombie-Britannique, spécialisée dans les satellites de communications. «Son rendement en dividende [1,95 %] est en croissance, et ses bénéfices en hausse constante ne font qu’améliorer sa valeur.» Le ratio cours/bénéfice de MDA s’établissait à 22,3 à la fin d’octobre.
Regain du militaire
Pour sa part, l’industrie militaire devrait connaître un regain de vie, après avoir pâti depuis quelques années de la réduction des budgets nationaux de défense, notamment aux États-Unis.
Ainsi, «les budgets militaires aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, au Japon et dans plusieurs pays du Moyen-Orient sont en croissance à un moment où les menaces à la sécurité nationale augmentent, peut-on lire dans le rapport de Deloitte. Les revenus dans le sous-secteur de la défense sont appelés à reprendre le chemin de la croissance en 2016».
Jason Hornett, qui alloue à l’aérospatiale 10,5 % du portefeuille du fonds Catégorie de société d’orientation américaine Franklin Bissett, détient des titres liés à la défense, comme General Dynamics, Northrop Grumman et Raytheon.
Pour sa part, Chuk Wong mise, entre autres, sur des entreprises coréennes. «Je vois l’aérospatiale et la défense comme un secteur en émergence en Corée du Sud, dit-il. Les tensions élevées avec la Corée du Nord sont un moteur de la croissance du budget de la défense, et la Corée du Sud veut maintenant développer son propre secteur de la défense.»
Des géants comme Samsung et Hyundai commencent à s’affairer dans l’équipement militaire, mais des dizaines d’autres acteurs coréens sont déjà bien établis dans le secteur. «Nous préférons un acteur indépendant comme LIG Nex1, qui fabrique notamment des systèmes de missiles air-air et air-sol, une entreprise qui passe encore sous le radar de nombreux investisseurs», précise Chuk Wong.