Le juge Louis Lacoursière a même comparé la mission de l’organisme à celle d’un ordre professionnel. En 2011, la Chambre avait entamé des procédures judiciaires contre la CIBC qui refusait de collaborer pleinement à une enquête.
Une importante victoire pour la CSF. «Cela confirme nos pouvoirs d’enquête», dit-elle. De plus, le jugement envoie un message aux institutions qui seraient tentées de faire obstacle aux enquêtes de l’organisme.
«Peu importe où les représentants exercent, ils sont sous notre juridiction. Les professionnels ont de grandes responsabilités, il est donc normal que nous ayons de vastes pouvoirs.»
Depuis 10 ans, la CSF, qui représente 32 000 membres, a consolidé son leadership en matière d’autoréglementation en multipliant les transformations : changement du modèle de son collège électoral, réduction du nombre de sections administratives, qui sont récemment passées de dix à sept.
En 2014, l’organisme terminait la migration des 20 sections régionales au sein d’une nouvelle organisation, le Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF). Tout cela par souci d’efficacité, note Marie Elaine Farley.
Nouvelle tempête
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Non. Car deux jours après notre entretien, coup de théâtre ! Le ministère des Finances du Québec publie le très attendu «Rapport sur l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers» (LDPSF), un vendredi, une heure seulement avant la fin des travaux parlementaires de l’Assemblée nationale.
Marie Elaine Farley est alors au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Adepte de vélo, elle s’apprête à pédaler à relais les quelque 1 000 kilomètres qui séparent le Pays des bleuets de la métropole. Elle a tout juste le temps de lire en diagonale les grandes lignes du document.
Dur constat : le rôle de la CSF est remis en question.
Le rapport avance que l’existence de plusieurs organismes de réglementation crée un double encadrement, lequel engendre des coûts et un fardeau administratif supplémentaires à l’industrie. Ce dédoublement aurait pour effet de semer la confusion aussi bien chez les professionnels que dans la population.
De retour à Montréal, elle confiera à Finance et Investissement que les kilomètres parcourus lui auront permis de faire le vide. Si l’avocate ne veut pas aborder la fin potentielle de la CSF, elle cache mal sa déception à l’endroit du rapport.
«Nous avons fait la preuve de notre pertinence et de notre efficacité. [La CSF], ce sont 500 enquêtes par année, et c’est l’amélioration des pratiques de nos membres grâce à l’ajout de formations continues.» Chose certaine, elle compte défendre bec et ongles l’organisme.
Elle rappelle notamment le taux de satisfaction élevé à l’égard de la Chambre, preuve de son efficacité selon elle. Le public lui accorderait sa confiance à hauteur de 87 %, alors que 91 % des membres se disent satisfaits de son travail. «C’est un taux de confiance très élevé», souligne-t-elle.
Il n’empêche que la CSF s’apprête à traverser une nouvelle tempête. Et Marie Elaine Farley pourrait bien être la personne tout indiquée pour tenir la barre, selon Lucie Granger. L’actuelle directrice générale de l’Association pour la santé publique du Québec a été à la tête de la Chambre, de sa création en 1998 jusqu’en 2003.
Elle connaît la nouvelle présidente pour l’avoir engagée à la CSF à titre d’enquêteuse. C’était en 2001. «Ce serait une erreur, à mon avis, de la considérer comme la petite nouvelle qui vient d’arriver», dit-elle, soulignant que l’avocate qui a passé l’examen du barreau en 1998 connaît tous les rouages de l’organisme.
Rôle politique
Pendant les 14 ans qu’elle a passés au sein de l’organisme, Marie Elaine Farley a en effet assumé plusieurs fonctions qui l’ont menée à piloter d’importants dossiers, entre autres la création du site Info-déonto – un outil de vulgarisation financière sur Internet – et la création et la mise en place du premier cours obligatoire en conformité.
La connaissance détaillée de l’organisme est la principale force de cette femme originaire de Trois-Rivières qui a grandi, entre autres, sur la Côte-Nord, estime Luc Labelle, président de la CSF de 2005 à 2015.
«Comme avocate, elle avait déjà au départ une excellente maîtrise des dossiers de réglementation. Ce qui est bien, c’est qu’au fil des ans, elle a développé d’autres forces comme celle de la stratégie», dit-il.
Dès 2007, Luc Labelle voyait en elle la prochaine présidente. Pourquoi ? «C’est quelqu’un qui cherche constamment à avoir une vue d’ensemble, qui n’a jamais limité sa vision à celle de son service», répond-il. Elle pense globalement et agit localement.
Luc Labelle l’a rapidement prise sous son aile en lui confiant d’importants chantiers. «La seule personne qui m’accompagnait quand je rencontrais un ministre, c’était Marie Elaine», confie-t-il. Cette preuve de confiance a permis à la jeune avocate de se faire la main aux jeux des coulisses politiques. Un atout d’importance, selon Maya Raic, PDG de la Chambre d’assurances de dommages (ChAD). «Lorsqu’on est à la tête d’un organisme, tout est politique», dit-elle avec un sourire en coin.
Pendant une décennie, Marie Elaine Farley a travaillé avec Luc Labelle. Son arrivée à la présidence s’inscrit donc sous le signe de la continuité, estime Maya Raic.
Ce qui la caractérise ? «Elle analyse à fond les dossiers. Lorsqu’elle présente quelque chose, c’est extrêmement documenté et appuyé. C’est quelqu’un de très posé […]. Par contre, lorsqu’elle croit fortement à quelque chose, elle va le défendre ardemment», répond la PDG de la ChAD.
Analytique. Rigoureuse. Intègre. Voilà le triptyque sur lequel repose la solide réputation que Marie Elaine Farley s’est forgée au fil des expériences. Des expériences qu’elle collectionne. Depuis 2007, elle siège au Comité de surveillance des fonds de placement du Barreau du Québec. Elle a également fait partie de plusieurs groupes de travail liés à la protection des épargnants.
D’ailleurs, cette réputation a mené la Ville de Montréal à lui offrir la présidence du conseil d’administration de Bixi Montréal, alors que l’organisation était en faillite. C’était en 2014.
«Il nous fallait quelqu’un d’une rigueur et d’une intégrité exceptionnelle, qui allait pouvoir rassembler et orchestrer un CA composé de membres provenant d’horizons différents», dit Pierre Desrochers, président du comité exécutif de la Ville de Montréal.
Créer des ponts
Ce défi, Marie Elaine Farley l’a relevé. Bixi Montréal roule de nouveau. L’automne dernier, Montréal annonçait la reconduction du système de vélo en libre-service pour une période de cinq ans. Ce printemps, pour la première fois de son histoire, Bixi Montréal affichait des excédents.
La présidente de la CSF y est pour quelque chose, assure Pierre Desrochers. «Elle a le sens de l’écoute et s’assure que tout le monde puisse dire ce qu’il pense tout en ayant la fermeté nécessaire pour atteindre les objectifs et obtenir des résultats.»
Sylvia Morin, vice-présidente du conseil d’administration de Bixi Montréal, présente Marie Elaine Farley comme «une perfectionniste qui va au fond des choses» : «Elle n’impose pas sa façon de faire ; c’est plutôt sa rigueur qui en impose. Elle est le chef d’orchestre qui rallie les différentes spécialisations».
Des atouts et une expérience qui, certes, lui seront utiles dans les prochains mois. Pour faire valoir la pertinence de la Chambre, elle misera sur la discussion : «Je souhaite que les réflexions se fassent dans un mode discussion, que le débat soit positif et qu’on tente de créer des ponts.»
Lorsqu’on l’interroge sur la relation de la CSF et de l’Autorité des marchés financiers (AMF), elle répond avec pragmatisme : «Est-ce que ça peut être plus fluide ? Oui, tout est perfectible. Mais je pense que nos rôles sont complémentaires».
Du même souffle, elle ajoute : «Ce ne serait pas à l’avantage du gouvernement de se départir des autorités d’autoréglementation du Québec et d’une structure aussi innovante, surtout dans un contexte où les professionnels font face à une multitude de défis».
En effet, le rôle des conseillers et des représentants gagnera en importance au cours des prochaines années, selon elle.
«Les gouvernements sabrent les programmes sociaux. Plus que jamais, c’est par le conseil qu’on va pouvoir inspirer la confiance et s’assurer que les gens sont bien protégés en ce qui concerne leur retraite et leur sécurité financière.»
Marie Elaine Farley confie qu’elle a appris de son père, professeur d’histoire, l’importance d’explorer le passé pour façonner adéquatement l’avenir. Conseil qu’elle compte appliquer au cours des prochains mois.
«Si nous retournons à la raison première qui a mené à la mise en place de la Loi 188, nous retrouvons la protection du public. Ça doit rester la priorité. On doit privilégier la structure qui va dans ce sens, et non penser à changer les structures uniquement parce que nous fonctionnons différemment du reste du pays.»