Le régulateur s’attend notamment à la mise en place d’une méthode de divulgation de renseignements par étapes plutôt qu’à une approche «globale», pour s’assurer que le client «prenne conscience des renseignements essentiels à la transaction qu’il s’apprête à conclure.»
Selon l’AMF, les clients devraient aussi être informés du fait qu’à toutes les étapes, ils peuvent obtenir des conseils d’un représentant, mais qu’il est «important» de le faire. Le régulateur québécois recommande par ailleurs qu’un droit de résolution soit prévu pour qu’un acheteur de police puisse résoudre un contrat au cours d’une «période raisonnable», sans néanmoins en spécifier la durée.
L’AMF propose aussi d’obliger les prestataires d’assurance à offrir des «outils d’auto-évaluation» aux clients pour que ceux-ci puissent évaluer leurs besoins et ainsi «prendre une décision éclairée». Finalement, selon l’AMF, le prestataire devrait aussi demander au client de confirmer «qu’il a pris connaissance et qu’il a bien compris les éléments essentiels à la validité de son consentement.»
Petit test pour les clients
Le flou de cette dernière proposition de l’AMF inquiète particulièrement Dany Bergeron, conseiller en sécurité financière chez Financière Radisson, à Rawdon. Celui-ci a déposé un mémoire dans le cadre des récentes consultations sur la modification de la Loi sur la distribution de produits et services financiers dans lequel, comme plusieurs autres, il y va de critiques, mais aussi de propositions pour rendre la vente sur Internet plus sûre pour le consommateur.
«Même si je suis foncièrement contre, il faut reconnaître que c’est une tendance lourde», affirme d’emblée Dany Bergeron en entrevue. Il se dit «extrêmement inquiet» quant aux orientations proposées, et juge que certaines étapes de validation [des connaissances du client] risquent d’être escamotées. C’est pourquoi il suggère de faire passer un court test aux acheteurs avant qu’ils puissent conclure une transaction en ligne.
Dans un «examen à choix multiple de quatre ou cinq points», Dany Bergeron propose d’interroger les clients sur les «points clés de la protection qu’ils viennent de souscrire», notamment les exclusions, les frais, le droit de résolution, etc.
Selon lui, un tel questionnaire devrait être imposé par l’AMF et mis au point par des «professionnels aguerris». «Il faut avoir une mesure qui ait des dents et ne pas s’en remettre à des concepts comme l’honneur», croit-il.
Une expérience personnalisée
Abdelouahab Mekki Berrada, professeur d’administration à l’Université de Sherbrooke et responsable de la maîtrise en gestion du commerce électronique, ne partage pas les inquiétudes de Dany Bergeron.
Il est au contraire enthousiaste à l’idée de ce nouveau développement dans le marché de l’assurance. Il ne se soucie pas outre mesure de la «complexité» de certains produits qui, selon certains, ne seraient pas adaptés à la vente en ligne. «Aujourd’hui, les gens achètent des voitures en ligne. La courbe d’apprentissage est très bonne, et le risque perçu des consommateurs est pratiquement à zéro», analyse-t-il.
Le professeur Berrada croit qu’Internet peut tout à fait répondre aux besoins pointus des consommateurs. «Le Web permet des stratégies hautement personnalisées. C’est en fait sur Internet que ces stratégies sont les plus efficaces, juge-t-il. Si vous hésitez sur une fenêtre, je peux par exemple faire apparaître une fenêtre pop-up pour vous offrir de l’aide.» Avec de bons «algorithmes», il juge que les possibilités qu’offre le Web sont «tout simplement formidables».
Dans son mémoire sur la révision de la LDPSF, le Mouvement Desjardins abonde dans le même sens que le professeur. «Les sites Internet sont si bien conçus aujourd’hui qu’il est possible pour le consommateur de bénéficier, à l’aide de rubriques, de bulles et de vidéos, entre autres, d’informations de qualité permettant une prise de décision éclairée et une protection adéquate», peut-on y lire.
Mauvais message au client
Chez Industrielle Alliance (iA), on s’emballe pour ce nouveau mode de distribution, qui, d’après le mémoire que l’assureur a fait parvenir au ministère des Finances du Québec, devrait être permis tant pour l’assureur et les cabinets que pour les distributeurs.
La vente par Internet devrait aussi être autorisée, selon l’institution, pour «tous les produits appropriés pour ce mode de distribution», notamment les rentes et les régimes d’épargne. (Lire aussi le texte MRCC 2 en page 9)
iA insiste néanmoins sur l’importance du conseil, et juge qu’il est important de rappeler au client «l’utilité des conseils d’un représentant».
André Roy, président de PMT Roy Assurances et services financiers, qui signait lui aussi un mémoire dans lequel il mettait l’accent sur le «service après-vente», qu’il juge primordial en assurance, se préoccupe néanmoins du signal qu’on envoie aux conseillers. «J’engage des jeunes qui font trois ans de cégep, dont un an pour l’assurance seulement, qui se font dire maintenant qu’on peut se passer de leurs conseils», déplore-t-il.
Quand on lui suggère que les clients seront peut-être en mesure de s’informer eux-mêmes sur le Web et de prendre une décision éclairée, comme ils le font pour d’autres types de produits, André Roy sursaute.
«Moi aussi, je magasine les autos sur Internet, mais je ne connais personne qui prend plaisir à magasiner une police d’assurance. C’est ennuyant comme la pluie, l’assurance ! Ce n’est pas comme de se demander si on achètera une deux portes ou une quatre portes !» dit-il en riant.
Deux poids, deux mesures
Dany Bergeron s’indigne de son côté de l’éventualité d’une imposition de deux «ensembles de règles». «Avant de vendre un produit à un client, je lui pose 50 questions. Si je ne le fais pas, une sanction me pend au nez. Sur Internet, c’est le far west.»
Luc Pellerin, vice-président et actuaire désigné chez UV Mutuelle, admet pour sa part que «c’est tout un paradigme qu’il faut changer. On dit souvent que l’assurance vie, ça se vend, mais ça ne s’achète pas.»
Si la rapidité d’une transaction devenait le principal critère pour satisfaire le client, Luc Pellerin prévient que ce dernier pourrait perdre au change. Si le processus de prise d’information est limité, les prix sur Internet seront plus élevés, selon lui.
«Dans le monde de l’assurance, tout le monde sait très bien que si je pose moins de questions, les risques sont plus élevés et la prime suit», rappelle-t-il.