Le budget du ministre des Finances Carlos Leitão ajoute d’autres mesures défavorables. L’élimination, à compter de janvier 2017, de la DPE pour les entreprises de trois employés ou moins des secteurs des services, y compris les services financiers, en est une majeure, selon plusieurs fiscalistes.
«C’est la mesure la plus marquante. Plusieurs de nos clients, non seulement tous les médecins incorporés, les dentistes, mais aussi les travailleurs autonomes, perdront un avantage», affirme Daniel Laverdière, directeur principal, planification financière et services conseils, Banque Nationale Gestion privée 1859.
Même son de cloche de la part de Luc Lacombe, fiscaliste et associé chez Raymond Chabot Grant Thornton : «C’est une mesure importante qui semble être passée inaperçue en raison de la façon dont le budget était présenté».
Plus précisément, pour les entreprises visées, la totalité du revenu imposable sera imposée au taux général d’imposition des sociétés, qui est de 11,9 % en ce moment, plutôt qu’à 8 % sur les premiers 500 000 $ de revenu et à 11,9 % sur l’excédent. Cette mesure étant applicable en 2017, le taux de 11,9 % sera alors de 11,8 %, car Québec souhaite l’abaisser graduellement à 11,5 % en 2020.
«Les médecins vont continuer de s’incorporer. Cela pourrait faire en sorte que leur rémunération penchera davantage vers le salaire au lieu du dividende», estime Daniel Laverdière.
Le ministère des Finances prévoit économiser 571 M$ sur quatre ans grâce à cette réduction. L’ajustement de la DPE touchera environ 75 000 entreprises, dont 42 000 qui ne comptent aucun employé.
Profits réduits
Certains cabinets en services financiers de trois employés ou moins perdront cet avantage fiscal.
«Ce n’est pas un drame pour ceux que ça va toucher. Certains conseillers voudront peut-être se regrouper, ayant chacun une adjointe, pour contourner la situation, mais je doute qu’il y ait plus d’associations qu’il n’y en avait auparavant», croit Gino Savard, président de Mica services financiers.
Maxime Gauthier, chef de la conformité pour Mérici Services financiers, n’est pas prêt à dire que les conséquences de cette mesure seront majeures, mais il estime qu’on ne doit pas non plus la prendre à la légère.
«Pour ceux que la mesure touche, c’est de l’argent supplémentaire qui sera envoyé au gouvernement, ou encore un profit avant impôt qui vient de disparaître. Le seuil des avantages de l’incorporation est repoussé, il faut faire le calcul intelligemment, parce qu’il vient de changer», mentionne-t-il.
«C’est comme si le gouvernement voulait faire disparaître la petite et moyenne entreprise (PME). Il n’arrête pas de dire que le moteur de l’économie [québécoise] est la très petite entreprise, alors j’ai un peu de difficulté à comprendre», dit Guy Duhaime, président de Groupe financier Multi Courtage.
De son côté, Carlos Leitão ne croit pas que les changements apportés à la DPE auront des impacts négatifs sur les petites entreprises. Il reste cependant ouvert à des correctifs «dans certains segments», au besoin.
«La réforme de la DPE est un resserrement fiscal, mais ne nuirait pas aux entreprises, qui peuvent « s’organiser différemment ». Nous voulions rétablir une certaine justice fiscale», a-t-il dit en marge d’une conférence donnée devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
Baume
Les entrepreneurs touchés par la réduction de la DPE bénéficieront toutefois d’un allégement de 521 M$ sur quatre ans.
«Le budget 2015-2016 prévoit une réduction graduelle du taux de la cotisation au Fonds des services de santé (FSS) à compter du 1er janvier 2017 pour toutes les PME oeuvrant dans les secteurs des services et de la construction dont la masse salariale est inférieure à 5 M$», lit-on dans le budget Leitão.
Les PME dont la masse salariale totale est de 1 M$ ou moins verront leur taux de cotisation diminuer progressivement, passant de 2,7 à 2,25 %. Celles dont la masse salariale est supérieure à 1 M$, mais inférieure à 5 M$, seront assujetties à un taux de cotisation croissant linéairement entre 2,25 % et 4,26 %.
Piger dans les centres financiers
En ce qui concerne le domaine financier, le gouvernement du Québec semble suivre la logique de la réforme «à coût nul» présentée par le fiscaliste Luc Godbout et son équipe dans la semaine qui a précédé le dépôt du budget.
Il donne de la main gauche tout en reprenant de la main droite. En effet, s’il souligne dans son budget 2015-2016 la réussite de Finance Montréal en renouvelant une deuxième fois son financement d’un million de dollars sur cinq ans, il va aussi chercher des fonds en modifiant le crédit d’impôt remboursable pour les centres financiers internationaux (CFI) implanté en 2010. Ce crédit sera remplacé presque entièrement par un crédit non remboursable. Les CFI peuvent déduire de leur impôt à payer 24 % des salaires admissibles de leurs employés.
Cette modification représente une économie de 9,9 M$ sur cinq ans pour le gouvernement du Québec. Le rapport de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise (CEFQ) présidée par Luc Godbout avait fait une analyse du crédit dans sa forme première. Selon elle, les retombées fiscales qui y sont attribuables étaient insuffisantes pour justifier son maintien.
Le crédit d’impôt aurait néanmoins permis d’attirer des activités de gestion financière ou d’arrière-guichet qui n’auraient pas été implantées sans l’aide fiscale, lit-on dans le plan budgétaire.
Dans son premier budget, Carlos Leitão avait déjà réduit de 20 % le crédit aux CFI.
Armés différemment
Bien qu’elles n’aient pas d’effet important sur les clients fortunés, certaines mesures significatives du rapport Godbout, adoptées dans le dernier budget avec des ajustements, viennent modifier la planification financière de ménages à faibles revenus.
Le ministère des Finances a notamment annoncé la mise en place d’un bouclier fiscal plus généreux que celui proposé par Luc Godbout. À compter du 1er janvier 2016, un ménage pourra déduire de son revenu familial 75 % de trois montants, soit l’augmentation du revenu net familial, l’augmentation du revenu de travail et un plafond de 2 500 $ pour chaque conjoint. Chaque couple sera ainsi soumis à une réduction maximale de 75 % de 5 000 $, 3 750 $ pour le calcul de certains crédits.
«En diminuant le revenu familial net, la réduction des transferts sociofiscaux est moins importante. Ainsi, le ménage admissible recevra une aide fiscale qui lui permettra de récupérer au plus 75 % de la perte de ses transferts à l’égard de la prime au travail et du crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants», explique-t-on dans le budget.
Essentiellement, les revenus qui sont considérés correspondent à la somme des revenus d’emploi et des revenus nets d’entreprise du ménage.
Cependant, le fiscaliste et directeur de la planification financière et fiscale chez SFL Cité de Montcalm, Dany Provost, fait remarquer que le bouclier n’est qu’une arme de défense éphémère : «La deuxième année, le gouvernement ne fera pas référence à la réduction de l’année précédente. Il se fiera aux revenus réels du particulier de l’année précédente. Donc, le contribuable n’aura pas de pause l’année suivante pour assimiler la hausse. Il reste que la mesure vise à faire en sorte que les travailleurs ne quittent pas le marché du travail», spécifie-t-il.
Luc Lacombe précise que l’impact de cette mesure se fera sentir pour les ménages dont le revenu oscille entre 35 000 $ et 50 000 $ par an. Il a aussi noté le report de l’âge d’admissibilité au crédit d’impôt en raison de l’âge de 65 à 70 ans. «Les gens plus nantis n’y ont toutefois pas droit, puisque la mesure est modulée en fonction du revenu», rappelle-t-il. Cette mesure sert à financer d’un autre côté la bonification du crédit pour les travailleurs d’expérience pour une valeur de près de 80 M$.
En collaboration avec Richard Cloutier et Frédéric Roy