En effet, les conseillers qui refusaient de payer des amendes trop salées n’avaient qu’à quitter l’industrie et évitaient ainsi la sanction pécuniaire. Résultat : ce sont, selon l’année, entre 14 et 36 % des d’amendes infligées à des conseillers par l’OCRCVM au Canada qui sont perçues. Pour les 12 mois se terminant au 31 mars 2013, l’autorégulateur avait imposé quelque 2,7 M$ en amendes.
Au Québec, ce taux varie entre 17 et 46 % selon l’année. L’OCRCVM relève toutefois que la totalité des amendes imposées aux courtiers est payée.
Les amendes constituent un élément important de l’arsenal de dissuasion de l’organisme d’autoréglementation.
Une étude du Centre d’études en droit économique (CÉDÉ) de l’Université Laval portant sur 133 décisions disciplinaires rendues de 2006 à 2010 par l’organisme relevait que des amendes étaient imposées dans 95 % des décisions.
Dans la moitié des cas, les décisions imposaient des amendes inférieures à 50 000 $, tandis que dans l’autre moitié, les amendes dépassaient cette somme. Pour le quart de toutes les décisions examinées, le montant de l’amende était supérieur à 100 000 $.
Jusqu’à l’été dernier, l’OCRCVM n’avait aucun pouvoir exécutoire lui permettant de forcer les conseillers à payer les amendes imposées. S’ils refusaient, on pouvait tout au plus suspendre leur droit de pratique.
L’absence de pouvoir exécutoire était causée par un oubli dans la rédaction du titre VI de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers (LAMF), qui délègue des pouvoirs réglementaires à l’OCRCVM : impossible pour l’autorégulateur de faire homologuer ses décisions par les tribunaux et ainsi d’obtenir que les amendes soient payables par les coupables s’ils quittent l’industrie.
L’OCRCVM a bien tenté d’homologuer ses sanctions dans le passé. Toutefois, l’organisme s’est buté à une fin de non-recevoir des tribunaux. En 2011, un jugement de la Cour d’appel du Québec confirmait même que l’OCRCVM ne pouvait homologuer une décision sur sanction.
Devant cet échec sur le plan judiciaire, l’organisme de réglementation s’est tourné vers le gouvernement du Québec pour obtenir un changement législatif. Il vient de l’obtenir. L’ajout d’un article à la LAMF rend désormais l’homologation possible.
Meilleure perception
La vice-présidente pour le Québec de l’OCRCVM, Carmen Crépin, se montre satisfaite de ce nouveau pouvoir : «Quand on applique la sanction, on transmet un message important pour tout le monde sur la réglementation !»
En Alberta, la seule autre province où l’OCRCVM peut faire homologuer ses décisions, le taux de perception des amendes est de 60 à 70 %.
À la Chambre de la sécurité financière (CSF), qui a le pouvoir de faire homologuer ses décisions disciplinaires, le taux de récupération dépasse les 60 %. À l’AMF, on a récupéré 94,6 % des 86,6 M$ imposés en amendes, selon une compilation fournie à Finance et Investissement.
Quant au Bureau de décision et de révision (BDR), l’organisme a perçu 81 % des 607 500 $ de sanctions imposées.
Les amendes imposées en vertu du régime pénal ne sont pratiquement pas payées, le taux étant de 10 %. Les plaintes pénales sont déposées contre des filous qui ont souvent fait faillite, ce qui rend la perception difficile.
«Nous voyons cela comme un développement positif», commente Richard Morin, directeur pour le Québec de l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières, le lobby de l’industrie du plein exercice.
«Parce que la confiance des investisseurs envers leur conseiller financier repose sur le respect des règles qui sont mises en place pour protéger les investisseurs. C’est dans l’intérêt de l’industrie que les gens qui contreviennent aux règles en paient le prix», poursuit Richard Morin, qui salue la persévérance de l’OCRCVM pour faire aboutir ce dossier.
Dissuasives ?
«En pratique, les gens qui sont le plus susceptibles de contrevenir aux règles sont déjà un peu marginaux dans l’industrie, observe Richard Morin. Ils ont des difficultés financières, c’est pourquoi ils contreviennent aux règles. Donc, les probabilités que ces gens-là quittent l’industrie sont élevées. Quand on fait 1 M$ par année, on ne quitte pas l’industrie pour une amende de 10 000 $. C’était important qu’on bouche ce trou-là.»
L’impact dissuasif des sanctions pécuniaires est remis en question par les chercheurs de l’Université Laval.
«Si elles paraissent dissuasives, il est nécessaire de comparer ces amendes avec la richesse patrimoniale des intimés pour savoir si les amendes prononcées sont réellement dissuasives», écrit Clément Mabit, chercheur au CÉDÉ, dans un ouvrage sur le régime de sanctions disciplinaires encadrant le courtage de plein exercice.
En outre, le chercheur doute de cet effet dissuasif lorsque les amendes sont payées par l’employeur. Dans une série d’entrevues réalisées par les chercheurs du CÉDÉ avec des représentants et des enquêteurs, ces deux groupes remettaient en question l’efficacité des sanctions pécuniaires. C’est du moins ce que constate l’équipe de la chercheuse Raymonde Crête, directrice du CÉDÉ de l’Université Laval, qui a analysé la jurisprudence applicable aux infractions commises dans le milieu des services financiers.
Selon les chercheurs, les conseillers et les inspecteurs considèrent que le fait de connaître les sanctions spécifiques n’est pas dissuasif. Il vaudrait mieux se renseigner sur la prévention pour éviter les fautes, plutôt que sur la punition de celles-ci.
Dans une précédente entrevue avec Finance et Investissement au sujet de cette étude, la professeure Crête relevait que «quelques-uns [des représentants] croient que […] les amendes [sont] comme un coup d’épée dans l’eau : la peur de « perdre sa licence » d’exercice, et donc sa source de revenus», est considérée comme une meilleure solution (voir aussi le texte «Québec donne des munitions à l’OCRCVM», en p. 32. )
En collaboration avec Guillaume Poulin-Goyer