«Selon la pensée dominante, ce marché est coûteux et il faut en sortir.»

Symptôme probable de la cacophonie dont parle Ross Healy, dans son «Global Fund Manager Survey» du 15 juillet, Bank of America Merrill Lynch affirme que «l’optimisme face à la reprise est stable et que le consensus s’attend encore à une croissance et à des rendements accrus ainsi qu’à un dollar américain plus fort. Trois investisseurs sur quatre pensent que l’économie se renforcera au cours des 12 prochains mois.»

Cependant, le rapport indique en même temps que la confiance des investisseurs commence à s’effriter.

L’allocation en actions a atteint son deuxième plus haut niveau en 13 ans et «l’enthousiasme de l’été va probablement être suivi d’une correction à l’automne».

Indicateurs troublants

Quelques ténors du pessimisme boursier alignent des indices inquiétants. Mark Cook, un négociateur d’expérience, a mis au point son indicateur Cook Cumulative Tick qui lui a permis de prédire les krachs boursiers de 1987, 2000 et 2008.

Cet indicateur compare l’indice NYSE Tick, un indice de la tendance générale du marché, avec le prix des actions.

«En seulement deux occasions, le prix des actions et le NYSE Tick ont divergé aussi radicalement, a déclaré Mark Cook au site MarketWatch.com du Wall Street Journal, au début d’août 2014. La première fois a été au premier trimestre de 2000, la deuxième fois, au troisième trimestre de 2007. La troisième fois a été en avril 2014…»

Pour cette raison, Mark Cook entrevoit une correction de 20 % et plus du marché boursier de New York au cours des 12 prochains mois.

Mark Faber, auteur du bulletin Boom, Doom & Gloom, voit les choses plus précipitamment. Les marchés américains devraient avoir plongé de 20 à 30 % d’ici la fin de septembre, affirme-t-il.

«N’oubliez pas que plusieurs titres ont déjà baissé de 10 %, écrit-il sur son blogue. Les constructeurs résidentiels ont baissé de 15 %. Les transporteurs aériens viennent de perdre 10 %. Nous ne sommes donc pas dans un marché uniformément fort. Le Russell 2000, qui représente 2 000 entreprises, est en baisse de 2 % pour l’année.»

Correction en vue

Jean-Pierre Couture, économiste et stratège, marchés émergents, chez Hexavest, à Montréal, voit venir lui aussi une importante correction, mais refuse de la quantifier ou de lui assigner une échéance. Selon sa lecture, de nombreux signes témoignent d’un marché en surchauffe.

Par exemple, deux indices sont près de leurs sommets historiques. D’une part, l’indice CAPE (Cyclically Adjusted Price Earnings), qui établit la moyenne des ratios cours-bénéfices sur les dix dernières années, était à 25,3 au début d’août, tout près du pic de 27 qu’il a atteint en 2007.

D’autre part, le total des emprunts sur marge dans les comptes d’investissement aux États-Unis se situe présentement à 2,6 % du PIB américain. «On a dépassé le niveau de 2007 et on atteint le sommet de 2000 qui a été de 2,8 %», ajoute Jean-Pierre Couture.

Par ailleurs, alors que la montée des titres à partir de 2010 reflétait une hausse des bénéfices des entreprises, depuis 2012, elle reflète presque uniquement une croissance des ratios financiers. C’est dire que la montée actuelle des cours ne reflète pas le bénéfice actuel.

Enfin, selon une compilation d’Hexavest, la capitalisation boursière totale aux États-Unis, excluant les sociétés financières, représente 130 % du PIB.

C’est deux fois plus élevé que la moyenne historique et le deuxième plus haut niveau après le sommet de la bulle technologique alors que ce pourcentage avait atteint 150 %.

Marchés en dents de scie

Face à cette «cacophonie» du pessimisme, comme l’appelle Ross Healy, les optimistes rétorquent que «l’évaluation actuelle des marchés, quoique élevée, n’est nullement excessive», signale ce vétéran qui cumule 49 ans de métier.

«Je viens de revoir les quatre derniers sommets boursiers de 1987, 1998, 2000 et 2008, ajoute-t-il, et je ne vois aujourd’hui aucune des conditions qui prédominaient alors.»

À environ 16, le ratio cours/bénéfices anticipé des douze prochains mois est dans une zone encore confortable, note Benoît Durocher, vice-président exécutif et stratège économique en chef chez Addenda Capital, à Montréal. «C’est quand on approche d’un ratio de 20, dit-il, qu’on peut parler d’un marché où l’enthousiasme est à sens unique.»

Même dans le secteur technologique, où les multiples sont parfois démesurés, on est loin de l’exubérance irrationnelle de 2000.

«L’autre jour, Janet Yellen [présidente de la Réserve fédérale des États-Unis] avertissait que le ratio cours/bénéfices moyen du Nasdaq était de 35», rappelle Richard Beaulieu, vice-président et économiste principal chez Addenda. Mais quand le NASDAQ était à 5400 en 2000, les multiples étaient de 134 !»

Si le marché ne subissait pas de correction majeure, que nous réserve l’avenir ? «On s’attend à des mouvements en dents de scie pour le reste de l’année, acquiesce Mathieu D’Anjou, économiste principal au Mouvement Desjardins. Mais on prévoit encore une croissance annuelle des marchés de 5 à 10 % pour les prochaines années. Pour le S&P/TSX on prévoit de 2014 à 2018 un gain moyen annuel de 8,4 % et de 6 % pour le S&P 500.»