Il arrive ainsi que des cabinets qui pratiquent le transfert fassent l’acquisition d’un autre cabinet, où les conseillers n’avaient pas la possibilité de se prévaloir de cette option.
Plusieurs cabinets ont pour politique de ne pas permettre les transferts, tout simplement.
Autant de situations potentielles créent parfois des prises de bec entre un conseiller et son courtier. Et parce que les situations contestées sont très souvent tendues, nombre des informations que nous avons recueillies ne l’ont été qu’en raison de la promesse d’anonymat.
Plusieurs dans l’industrie connaissent des histoires de litiges entre un conseiller et son courtier lors d’un transfert.
Un conseiller qui a quitté un réseau indépendant pour la concurrence relate l’anecdote suivante : «Nous nous étions entendus plusieurs semaines à l’avance pour le transfert, mais [le patron du courtier] a attendu la dernière minute» avant d’enclencher le processus. Tout a été fait en catastrophe, ce qui a fait perdre quelques clients au conseiller, qui estime qu’il a ainsi fait l’objet de représailles. «Il n’a pas tenu parole.»
Le risque du cédant
En règle générale, «les indépendants l’appliquent sans problème entre eux, sauf lorsque les conseillers sont rattachés à des réseaux captifs», observe Michel Boutin, président de Mérici Services Financiers, à Sherbrooke.
C’est que le transfert en bloc a pour but d’éviter les tracas administratifs. Mais pas toujours.
«Il y a un risque pour le cabinet cédant», explique Robert Frances, président de Peak, selon qui c’est une des raisons pour lesquelles l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) en interdit la pratique chez ses membres ailleurs qu’au Québec.
«Imaginons qu’un client quitte la firme avec son conseiller pour un autre cabinet, et qu’un mois et demi plus tard, il se plaigne de la composition de son portefeuille. Mais il n’a pas reçu de service depuis plus d’un mois et porte plainte.»
La réglementation veut que dans ce cas précis, le cabinet cédant soit tenu pour responsable, et ce, même s’il n’a pas eu accès au client pendant la période litigieuse, puisque celui-ci est pris dans un transfert.
Le hic, c’est qu’en vertu de la réglementation, tant qu’un nouveau formulaire d’ouverture de compte n’a pas été rempli auprès du cabinet acquéreur, c’est le vendeur qui est responsable.
Une situation que déplore Robert Frances, qui aimerait bien que la réglementation édicte que la responsabilité du client soit d’emblée transférée à l’acheteur.
La diversité des pratiques et des attitudes face au transfert en bloc serait un terreau fertile pour les mésententes. Plusieurs conseillers déplorent ainsi les pratiques de l’un ou l’autre des cabinets québécois.
«C’est une pratique qui est acceptée par l’AMF. Ce n’est pas une obligation. C’est une pratique d’affaires qui fonctionne jusqu’au moment où un cabinet dira que chez lui, on ne le fera plus. Je n’aurais aucune chance d’obtenir gain de cause [s’il décidait de porter la situation à l’attention des tribunaux]», confie le directeur de la conformité d’un cabinet.
Selon lui, ce sont surtout les cabinets nationaux, membres de l’ACCFM, qui refusent systématiquement ces pratiques.
Dans certains réseaux, «il est admis que c’est le directeur de succursale qui décide si le transfert se fera», explique quant à lui le directeur des ventes d’un cabinet concurrent.
Il arriverait même parfois qu’un directeur de succursale se serve du transfert en bloc comme d’un atout pour conserver un conseiller.
«On peut imaginer qu’un directeur rendra la chose difficile à un conseiller, qui jugera alors qu’il est moins coûteux pour lui de rester», spécule Léon Lemoine, directeur des investissements chez Lafond Services financiers.
Les transferts en bloc seraient-ils effectués à la tête du client ? «Les questions humaines n’ont rien à voir là-dedans», rétorque Robert Frances, de Peak. Selon lui, ce serait surtout une affaire de mauvaise compréhension des contrats qui lient un conseiller à son courtier.
«Malheureusement, les conseillers ne connaissent pas tous ces détails et pensent que cela dépend du courtier, mais il s’agit de situations commerciales. Si le conseiller qu’on a acquis avait un contrat stipulant qu’il ne pouvait pas bénéficier du transfert en bloc, c’est comme ça. Notre politique c’est de permettre le transfert lorsqu’on le peut.»